Sommaire
- ENERGIE - DES SOLUTIONS POUR PRODUIRE SANS DETRUIRE L’ENVIRONNEMENT
"Il n’y a pas de crise de l’Energie, mais simplement une crise d’Ignorance"
B.Fuller- Nikola TESLA
LE PROBLÈME DE L’INTENSIFICATION
DE L’ÉNERGIE HUMAINE
(1900) - Le moteur de l’humanité - L’énergie du mouvement -
Les trois manières d’intensifier l’énergie humaine-
- Parmi la variété infinie de phénomènes que la Nature offre à nos sens, le
seul à nous frapper réellement d’étonnement et d’admiration est cette activité
incroyablement complexe que, dans son ensemble, nous appelons la vie humaine.
Son origine mystérieuse porte le voile d’un passé éternellement brumeux, sa
nature nous est incompréhensible à cause de sa complexité infinie, et son but
est caché dans les profondeurs insondables du futur. D’où vient-elle ? Qui
est-elle ? Vers quoi tend-elle ? Ce sont les grandes questions auxquelles les
sages de tous les temps ont cherché à répondre.
La science moderne dit : le Soleil est notre passé, la Terre est notre présent
et la Lune notre futur. Issus d’une masse incandescente, nous nous
transformerons en une masse gelée. Les lois de la Nature sont impitoyables ;
très vite nous sommes entraînés immanquablement vers notre perte. D’après Lord
Kelvin, notre espérance de vie serait relativement courte, soit de quelque six
millions d’années, après quoi la lumière éclatante du soleil se sera éteinte, sa
chaleur fécondante aura disparu et notre propre Terre ne sera plus qu’un bloc de
glace, fonçant dans la nuit éternelle. Toutefois, ne désespérons pas. Il
subsistera toujours une faible étincelle de vie et il se pourrait que, sur une
étoile lointaine, s’allume un nouveau feu. En effet, il semblerait que cette
possibilité séduisante soit tout à fait réaliste, si l’on en juge les superbes
expérimentations du professeur Dewar avec l’air liquide, qui ont prouvé que les
germes de la vie organique ne sont pas détruits par le froid, quelle que soit
son intensité ; par conséquent, ils peuvent voyager dans l’espace
interstellaire. En attendant, notre route s’illumine des lumières éclatantes des
sciences et des arts, dont l’intensité ne cesse d’augmenter ; ils font naître
des merveilles et nous offrent des plaisirs qui nous aident grandement à oublier
notre funeste destin.
Bien que nous n’arrivions pas à comprendre la vie humaine, nous savons avec
certitude qu’elle est mouvement, de quelque nature qu’il soit. On ne peut parler
de mouvement qu’en présence d’un corps qui est mû et d’une force qui le fait
bouger. Partant, qui dit vie, dit masse animée par une force. Toute masse a son
inertie et toute force cherche à perdurer. En raison de ces propriétés et
conditions universelles, un corps quelconque, qu’il soit à l’arrêt ou en
mouvement, aura tendance à rester en l’état, tandis qu’une force se manifestant
où que ce soit et pour quelque raison que ce soit, engendre une force opposée
équivalente, ce qui veut dire qu’immanquablement tout mouvement dans la nature
doit être rythmique. Il y longtemps déjà que cette vérité toute simple a été
énoncée par Herbert Spencer, quoique son raisonnement fût quelque peu différent.
Elle est corroborée par toutes nos perceptions - par le mouvement d’une planète,
le flux et le reflux des marées, par les répercussions de l’air, le balancement
d’un pendule, les oscillations d’un courant électrique, et par tous les
phénomènes infiniment variés de la vie organique. La vie humaine, dans son
ensemble n’en atteste-t-elle pas ? La naissance, la croissance, la vieillesse et
la mort d’un individu, d’une famille, d’une race ou d’une nation, sont-elles
autre chose qu’un cycle ? Toutes les manifestations de la vie, même dans ses
apparences les plus complexes - et l’homme en est un bel exemple -, même si
elles sont compliquées et impénétrables, ne sont donc que des mouvements qui
doivent être gouvernés par les mêmes lois mécaniques que celles qui régissent
l’ensemble de l’univers physique.
Lorsque nous parlons de l’homme, notre conception doit être celle de l’humanité
constituant un tout, et avant de mettre en pratique des méthodes scientifiques
pour analyser son mouvement, nous devons d’abord l’accepter en tant que réalité
physique. Mais qui donc douterait encore aujourd’hui que ces millions
d’individus, avec leurs innombrables différences de types et de caractères, ne
forment qu’une seule entité, une unité ? Bien que libres de penser et d’agir,
nous sommes reliés entre nous comme les étoiles dans le firmament, par des liens
résistant à toute épreuve. Ces liens, nous ne pouvons pas les voir, mais les
ressentir. Si je me coupe le doigt, j’aurai mal ; ce doigt est une partie de mon
corps. Si je vois un ami souffrir, je souffre aussi ; mon ami et moi ne faisons
qu’un. Et si je vois un ennemi se faire abattre, j’en ai de la peine, bien qu’il
ne soit qu’un amas de matière dont je ne me soucie pas plus que de tous les
autres amas de matière dans l’univers. N’est-ce pas la preuve que chacun de nous
n’est qu’une partie d’un tout ?
Ce concept est défendu par les doctrines religieuses les plus sages depuis des
siècles, probablement parce que, non seulement il peut garantir la paix et
l’harmonie entre les hommes, mais il incarne parallèlement une vérité bien
fondée. Les bouddhistes l’expriment d’une manière, les chrétiens d’une autre,
bien qu’ils disent tous deux la même chose : nous ne faisons qu’un. Toutefois,
les preuves métaphysiques ne sont pas les seules que nous puissions avancer pour
défendre cette idée. La science, elle aussi, reconnaît que les individus sont en
connexion les uns avec les autres, bien que ce ne soit pas tout à fait dans le
même sens où elle reconnaît que les soleils, planètes et lunes d’une
constellation ne forment qu’un seul corps ; il ne fait aucun doute que dans un
futur plus ou moins proche, nous en aurons des confirmations expérimentales,
lorsque nos moyens et méthodes d’analyse psychiques et d’autres états et
phénomènes seront hautement perfectionnés. En outre, cette grande entité humaine
est éternelle. Les individus sont éphémères, les races et les nations
apparaissent puis disparaissent, mais l’humanité survit. C’est en cela même que
réside la différence majeure entre un individu et le tout. C’est également en
cela que l’on peut trouver une explication partielle à beaucoup de ces
merveilleux phénomènes héréditaires qui sont le fruit d’innombrables siècles
d’influences minimes mais continues.
Partons du principe que l’humanité est une masse poussée par une force. Bien que
ce mouvement n’ait pas un caractère de translation qui impliquerait un
déplacement dans l’espace, il est soumis aux lois générales de la mécanique, et
l’énergie associée à cette masse est mesurable, selon des principes bien connus,
en multipliant la moitié du produit de la masse par le carré d’une vitesse
donnée. Un boulet de canon, par exemple, possède au repos une certaine quantité
d’énergie sous forme de chaleur que nous pouvons mesurer de la même manière.
Nous disons que le boulet est constitué d’un nombre incalculable d’infimes
particules appelées atomes ou molécules, qui vibrent ou tournoient les uns
autour des autres. Nous déterminons leurs masses et leurs vitesses et calculons,
à partir de là, l’énergie de chacun de ces minuscules systèmes ; en additionnant
le tout, nous obtenons une idée de toute l’énergie thermique contenue dans le
boulet qui, apparemment, est au repos. C’est de cette manière purement théorique
que nous pouvons alors calculer cette énergie, en multipliant la moitié de la
masse totale - c’est à dire la moitié de la somme de toutes les petites masses -
par le carré d’une vitesse déterminée par la vitesse de chaque particule. C’est
de cette même manière que nous pouvons envisager de mesurer l’énergie humaine,
soit en multipliant la moitié de la masse humaine par le carré d’une vitesse que
nous ne sommes pas encore en mesure de calculer. Toutefois, cette lacune
n’affectera pas l’exactitude des conclusions que je vais en tirer et qui
découlent d’un principe rationnel selon lequel toute la nature est gouvernée par
les mêmes lois de masse et de force.
Cependant, l’humanité n’est pas une masse quelconque, constituée d’atomes et de
molécules tournoyants, ne contenant que de l’énergie thermique. Elle est une
masse avec certaines qualités supérieures, en raison du principe de vie créatif
qui la caractérise. Sa masse, comme l’eau d’une vague dans l’océan, est
continuellement renouvelée, la nouvelle remplaçant l’ancienne. En outre, elle
grandit, se perpétue et meurt ; il y a donc altération indépendante du volume et
de la densité de la masse. Et ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est qu’elle
peut augmenter ou réduire la vitesse de son mouvement, grâce à son pouvoir
mystérieux de s’approprier plus ou moins d’énergie d’une autre substance et de
la transformer en énergie motrice. Toutefois, nous pouvons ignorer ces
changements très lents et prétendre que l’énergie humaine se mesure par la
moitié du produit de sa masse par le carré d’une certaine vitesse hypothétique.
Cependant, quelle que soit notre manière de calculer cette vitesse, et quelle
que soit l’unité de sa mesure, nous devons, en accord avec ce concept, arriver à
la conclusion que le grand problème de la science est, et sera toujours,
d’intensifier cette énergie ainsi définie. Il y a quelques années, je fus
aiguillonné par la lecture de cet excellent ouvrage de Draper, "L’Histoire du
développement intellectuel en Europe", qui décrit l’évolution de l’homme de
manière très vivante, et je réalisai que le premier devoir de tout homme de
science était de trouver une réponse à cet éternel problème. Je vais tenter de
décrire brièvement certains des résultats de mes propres investigations. - Prenons le Diagramme A : M représente la masse de l’humanité. Cette masse
est poussée en avant par une force f et repoussée par une autre force R,
partiellement force de friction et partiellement force négative, qui agit dans
la direction opposée et qui freine le mouvement de la masse. Une telle force
antagoniste est présente dans tout mouvement et il faut en tenir compte. La
différence entre ces deux forces est la force effective qui donne une vitesse V
à la masse M dans le sens de la flèche sur la ligne représentant la force f.
Conformément à ce qui a été dit plus haut, l’énergie humaine sera déterminée par
le produit ½M V2 = ½ MV x V, M représentant la totalité de la masse de
l’humanité, selon l’acception ordinaire du terme "masse", et V étant une vitesse
hypothétique que, en l’état actuel de la science, nous sommes incapables de
définir ou de déterminer avec précision. C’est pourquoi, intensifier l’énergie
humaine, revient à augmenter ce produit et, comme nous allons le voir sous peu,
il n’existe que trois manières d’atteindre ce résultat : elles sont représentées
dans le Diagramme A. La première manière figure en haut du diagramme et il
s’agit d’augmenter la masse (représentée par le cercle en pointillés), tandis
que les deux forces en opposition ne changent pas. La deuxième manière figure au
milieu du diagramme et il s’agit ici de réduire la valeur de la force de
freinage R à une valeur r, tandis que la masse et la force d’impulsion ne
changent pas. La troisième manière, représentée par la figure en bas du
diagramme, consiste à augmenter la valeur de la force d’impulsion f à une valeur
F, alors que la masse et la force de freinage R ne changent pas. Manifestement,
il existe des limites absolues en ce qui concerne l’accroissement de la masse ou
la réduction de la force de freinage ; toutefois, la force d’impulsion, elle,
peut être intensifiée à l’infini. Chacune de ces trois possibilités présente une
facette différente du problème majeur de l’intensification de l’énergie humaine
; nous allons maintenant analyser ses trois parties distinctes, dans l’ordre.
- Parmi la variété infinie de phénomènes que la Nature offre à nos sens, le
-
- Première question : comment augmenter la masse
humaine ? - La combustion de l’azote dans l’atmosphère.-
- Il existe manifestement deux façons d’augmenter la masse de l’humanité :
premièrement, en stimulant et soutenant les forces et conditions qui permettent
son développement et deuxièmement en faisant obstacle à et en réduisant celles
qui ont tendance à la diminuer. La masse pourra augmenter à condition qu’elle
surveille attentivement sa santé, en se nourrissant convenablement, en
respectant la modération, en régulant ses habitudes, en promouvant le mariage,
en surveillant constamment les enfants et, d’une manière plus générale, en
respectant les nombreuses règles et lois des religions et de l’hygiène.
Toutefois, une nouvelle masse peut se joindre à l’ancienne selon trois
possibilités. Soit la nouvelle masse a la même vitesse que l’ancienne, soit elle
a une vitesse inférieure ou supérieure. Pour obtenir une idée de l’importance
relative de ces trois possibilités, imaginez un train, comptant une centaine de
locomotives, qui roule sur des rails, et supposez que, pour augmenter son
énergie motrice, quatre locomotives supplémentaires viennent le compléter. Si
ces quatre locomotives avancent à la même vitesse que celle du train, l’énergie
globale sera augmentée de 4% ; si leur vitesse est égale à la moitié de celle du
train, l’augmentation ne sera que de 1% ; mais si leur vitesse est le double de
celle du train, l’augmentation de l’énergie sera de l’ordre de 16%. Cet exemple
très simple montre bien qu’il est très important que la nouvelle masse ait une
vitesse plus élevée. Ou, pour citer un autre exemple, si les enfants ont le même
degré de développement que leurs parents - c’est-à-dire s’ils représentent une
masse "de vitesse égale" - l’énergie augmentera simplement proportionnellement
au nombre d’enfants. S’ils ont une intelligence ou un développement inférieurs,
ils seront une masse "de vitesse inférieure" et l’augmentation de l’énergie ne
sera que très faible. Par contre, s’ils sont plus avancés, soit une masse "de
vitesse supérieure", alors cette nouvelle génération renforcera l’énergie
humaine globale de manière très substantielle. Il est impératif d’empêcher toute
arrivée d’une masse "de vitesse inférieure" à celle requise par cette loi que
paraphrase ce proverbe, Mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps
sain). Par exemple, le fait de ne chercher qu’à développer la musculature comme
cela se pratique dans certains de nos lycées, me semble équivalent à un apport
de masse de "vitesse inférieure" et je ne le conseille pas, quoique mon point de
vue fût différent lorsque j’étais moi-même étudiant. La première chose à faire
est de pratiquer des exercices physiques avec modération, afin d’assurer un bon
équilibre entre le corps et l’esprit, et le plus haut rendement intellectuel.
L’exemple ci-dessus montre que l’objectif le plus important est celui de
l’éducation, ou de l’augmentation de la "vitesse" de la masse nouvellement
arrivée.
À l’inverse, il n’est guère besoin de préciser que tout ce qui va à l’encontre
des doctrines religieuses et des lois d’hygiène tend à réduire la masse. Le
whisky, le vin, le thé, le café, le tabac et autres excitants sont responsables
de la baisse de la durée de vie de nombreuses personnes et devraient être
utilisés avec modération. Toutefois, je ne pense pas qu’il soit judicieux de
supprimer des habitudes ancrées depuis des générations en appliquant des mesures
rigoureuses. Il est plus sage de prêcher la modération que l’abstinence. Nous
sommes devenus dépendants de ces stimulants, et s’il est nécessaire de faire des
réformes, elles devront être lentes et graduelles. Ceux qui consacrent toute
leur énergie dans de tels buts feraient mieux de se tourner vers d’autres
directions où ils seraient plus utiles, comme par exemple la distribution d’une
bonne eau potable.
Pour chaque personne qui succombe aux effets d’un stimulant, il y en a au moins
mille qui meurent des conséquences de l’absorption d’eau polluée. Ce liquide
précieux, qui diffuse tous les jours une nouvelle vie dans nos corps, est
parallèlement le principal vecteur des maladies et de la mort. Les germes de la
destruction qu’il véhicule sont des ennemis d’autant plus menaçants qu’ils
œuvrent subrepticement. Ils décident de notre sort pendant que nous vivons et
jouissons de cette vie. La majorité des gens sont tellement ignorants ou peu
attentifs dans leur consommation d’eau et les conséquences de ces négligences
sont tellement désastreuses, qu’un philanthrope qui se consacrerait à informer
ceux qui se nuisent de la sorte, ne pourrait pas se rendre plus utile. Si l’eau
potable était systématiquement purifiée et stérilisée, la masse humaine
augmenterait de manière considérable. Il faudrait faire respecter une consigne
très stricte - qui pourrait être renforcée par le vote d’une loi -, à savoir de
faire bouillir ou de stériliser l’eau dans tous les ménages et lieux publics. Le
simple filtrage est insuffisant pour prévenir toute infection. Toute la glace à
usage interne devrait être préparée artificiellement à partir d’une eau
parfaitement stérile. S’il est généralement reconnu qu’il est très important
d’éliminer les germes pathogènes de l’eau potable dans les villes, on ne fait
cependant pas grand chose pour améliorer la situation actuelle, dans la mesure
où l’on n’a pas encore découvert de méthode satisfaisante pour stériliser de
grandes quantités d’eau. Grâce à des appareils électriques perfectionnés, il
devient aujourd’hui possible de produire de l’ozone à bas coût et en grandes
quantités, et ce désinfectant idéal semble être une solution heureuse à ce
problème crucial.
La passion des jeux, le stress des affaires et l’excitation - principalement
celle en milieu boursier - sont grandement responsables de la réduction de la
masse, d’autant plus que les individus concernés sont des unités de valeur
supérieure. L’incapacité de dépister les premiers symptômes d’une maladie et le
fait de négliger cette dernière avec désinvolture, représentent d’importants
facteurs de mortalité. En relevant soigneusement les moindres signes d’un danger
imminent et en ciblant consciencieusement tous nos efforts pour s’en prévenir,
nous suivrions non seulement les sages lois de l’hygiène dans l’intérêt de notre
bien-être et la réussite de nos entreprises, mais nous agirions parallèlement au
nom d’un devoir moral plus élevé. Chacun devrait considérer son corps comme le
cadeau précieux de quelqu’un qui l’aime par-dessus tout, comme une merveilleuse
œuvre d’art, dont la beauté et la maîtrise dépassent l’entendement humain, d’une
délicatesse et d’une fragilité telles qu’un mot, un souffle, un regard, voire
une pensée, est susceptible de la blesser. La malpropreté qui engendre la
maladie et la mort est non seulement autodestructrice, mais aussi une habitude
hautement immorale. En préservant notre corps de toute infection, en veillant à
sa bonne santé et à sa pureté, nous exprimons notre vénération pour les
principes supérieurs qui l’habitent. Celui qui suit les règles d’hygiène dans
cet esprit, témoigne d’une grande exigence morale. Le relâchement des mœurs est
un mal terrible qui empoisonne l’esprit comme le corps et qui est responsable de
la grande réduction de la masse humaine dans certains pays. De nombreux
penchants et coutumes actuels entraînent des résultats pareillement nuisibles.
Par exemple, la vie en société, l’éducation moderne et les ambitions des femmes
qui ont tendance à les éloigner de leurs tâches ménagères et à se comporter
comme des hommes, vont obligatoirement les détourner de l’idéal élevé qu’elles
représentent, réduire leur pouvoir de création artistique et entraîner la
stérilité et un affaiblissement général de la race. Je pourrais citer un millier
de maux supplémentaires mais, dans l’ensemble et relativement au sujet qui nous
préoccupe, ils n’égaleraient jamais ce seul autre, à savoir le manque de
nourriture engendré par la pauvreté, la misère et la famine. Des millions
d’individus meurent chaque année faute de nourriture et, partant, la masse ne
peut pas augmenter. Même dans nos communautés plus évoluées et malgré les
nombreuses œuvres caritatives, cela reste, selon toute vraisemblance, le fléau
majeur. Je n’entends pas par-là le manque absolu de nourriture, mais celui d’une
alimentation équilibrée et saine.
Un des problèmes les plus importants d’aujourd’hui est donc d’arriver à obtenir
de la bonne nourriture en grande quantité. En règle générale, l’élevage de
bétail comme moyen de subvenir aux besoins de nourriture est répréhensible,
parce que, compte tenu de ce que j’ai dit plus haut, cela conduirait
inévitablement à un complément de masse de plus "faible vitesse". Il est
certainement préférable de cultiver des légumes et c’est pourquoi je pense que
le végétarisme est le meilleur moyen de se débarrasser des habitudes barbares
actuelles. Il est manifeste que nous sommes capables de survivre en ne mangeant
que des végétaux et même d’améliorer notre potentiel de travail. De nombreuses
races, qui ne se nourrissent pratiquement que de végétaux, affichent une forme
et une force physiques supérieures. Il ne fait aucun doute que certains
végétaux, comme la farine d’avoine, sont plus économiques que la viande et sont
mieux adaptés qu’elle pour atteindre de hautes performances mécaniques et
mentales. En outre, une telle nourriture éprouve incontestablement moins nos
organes de digestion et a une valeur inestimable, dans la mesure où elle nous
nourrit mieux et nous rend plus sociables. En raison de ces faits, il faudrait
tout mettre en œuvre pour que cesse cet abattage gratuit et cruel des animaux,
qui témoigne de mœurs subversives. Afin de nous libérer des instincts et
appétits bestiaux qui nous avilissent, il faut s’attaquer à leurs racines mêmes
: nous devrions réformer radicalement notre comportement face à la nourriture.
Il semblerait qu’il n’y ait aucun besoin philosophique de nourriture. Il est
tout à fait envisageable que des êtres organisés puissent vivre sans nourriture
et puiser dans le milieu environnant toute l’énergie dont ils ont besoin pour le
bon équilibre de leurs fonctions vitales. Un cristal nous apporte la preuve très
nette de l’existence d’un principe vital formateur, et bien que nous soyons
incapables de comprendre la vie d’un cristal, il n’en est pas moins un être
vivant. À côté des cristaux, il se pourrait qu’il y ait d’autres formes de vie
matérielles et individualisées, peut-être de constitution gazeuse ou composées
de substances encore plus ténues. En raison de cette possibilité - voire
probabilité - nous ne pouvons pas, d’amblée, renier l’existence de formes de vie
organisées sur une autre sphère, tout simplement parce que nous pensons que ses
facteurs planétaires ne permettent pas l’existence de la vie telle que nous la
concevons. Par ailleurs, nous ne pouvons pas prétendre avec certitude que
certaines de ces formes de vie n’existent pas ici, dans notre monde, au milieu
de nous, car leur constitution et leur manifestation de vie sont susceptibles
d’être d’une nature telle, que nous sommes incapables de les percevoir.
Évidemment, on pourrait envisager de produire une nourriture artificielle comme
moyen d’augmenter la masse humaine ; toutefois, une démarche dans ce sens ne me
paraît pas raisonnable, du moins pour le moment. Il n’est pas certain que ce
type d’alimentation nous soit salutaire. Nos habitudes sont le produit
d’adaptations séculaires continues et nous ne pouvons pas les changer de manière
radicale, sans risquer de devoir subir des conséquences imprévues et, selon
toute probabilité, désastreuses. Une expérience aussi équivoque ne devrait pas
être tentée. Il me semble que le meilleur moyen de parer aux ravages du mal,
serait de trouver des moyens pour augmenter la rentabilité des sols. C’est
pourquoi la préservation des forêts est d’une importance qu’il ne faudrait pas
sous-estimer ; parallèlement, il faudrait grandement préconiser l’utilisation de
l’énergie hydraulique pour la transmission de l’électricité, ce qui, de bien des
façons, éviterait que le bois ne serve de combustible et, partant, la
déforestation. Toutefois, tous ces moyens ne permettent que des progrès limités.
Pour que la terre devienne plus productive, elle a besoin d’être fertilisée plus
efficacement par des moyens artificiels. Partant, le problème de la production
alimentaire se réduit à celui de la recherche du meilleur fertilisant. Nous ne
savons toujours pas ce qui a rendu le sol fertile. Expliquer son origine
reviendrait probablement à expliquer l’origine de la vie elle-même. La roche qui
s’est désintégrée sous l’effet de l’humidité, de la chaleur, du vent et des
intempéries, n’a pas pu, à elle seule, entretenir la vie. Une condition
quelconque et inexpliquée a dû surgir, portant en elle un nouveau principe, qui
permit la formation de la première couche susceptible d’entretenir des
organismes inférieurs, comme la mousse. Les mousses alors contribuèrent par leur
vie et leur mort à enrichir la qualité porteuse de vie du sol, ce qui permit à
d’autres organismes plus complexes de se développer, et ainsi de suite, jusqu’à
ce que s’épanouissent finalement des végétaux plus développés et la vie animale.
Bien que les théories relatives à la fertilisation originelle du sol soient
toujours controversées, force est de constater que le sol ne peut pas entretenir
la vie indéfiniment et qu’il faut trouver le moyen de lui redonner les
substances qui lui ont été retirées par les végétaux. Les composés d’azote sont
les plus importantes et les plus précieuses de toutes ces substances et c’est
pourquoi leur production à bas coût est la clé qui résoudra le problème majeur
de la nourriture. Notre atmosphère est une source inépuisable d’azote et si nous
savions l’oxyder et produire ces composés, l’humanité en serait le premier
bénéficiaire.
Cela fait très longtemps que cette idée trotte dans la tête des scientifiques,
mais jusqu’ici ils n’ont pas trouvé de moyens vraiment efficaces pour atteindre
ce but. Le problème est d’autant plus ardu que l’azote a une inertie
exceptionnelle et qu’il ne se laisse même pas combiner avec l’oxygène.
Cependant, voilà que l’électricité vient au secours des scientifiques : les
capacités de réaction en sommeil dans cet élément, peuvent être stimulées par un
courant électrique adéquat. De la même manière qu’un morceau de charbon, bien
qu’ayant été en contact avec l’oxygène pendant des siècles sans jamais brûler,
va se combiner à lui lorsqu’il aura été allumé, l’azote excité par l’électricité
va s’enflammer. Toutefois, je n’ai pas réussi à produire des décharges
électriques susceptibles d’exciter de manière efficace l’azote atmosphérique
jusqu’à une date relativement récente, bien que, déjà en mai 1891, j’aie
expliqué lors d’une conférence scientifique, une nouvelle forme de décharge, ou
flamme électrique appelée "feu électrique de St Elme" qui, en plus de son
potentiel de produire de l’ozone en abondance, possède aussi les qualités
exactes pour exciter des réactions chimiques. Cette décharge, ou flamme,
mesurait alors seulement de 7,5 cm à 10 cm de long, son action chimique était
tout aussi faible et, par conséquent, le processus de l’oxydation de l’azote fut
un échec. Le problème était de savoir comment intensifier la réaction. Il
fallait, manifestement, produire des courants électriques d’un certain type,
afin de rendre le processus de l’ignition de l’azote plus efficace.
J’ai réalisé mes premiers progrès après avoir découvert que la réaction chimique
de la décharge pouvait être considérablement amplifiée en utilisant des courants
de fréquence ou de taux vibratoire extrêmement élevé. Ce fut un nouveau pas
important, mais dans la pratique, il ne m’a pas permis d’aller beaucoup plus
loin. J’allai donc étudier, dans une étape suivante, les effets de la tension
électrique des impulsions du courant, de leurs formes d’onde et autres traits
caractéristiques. Puis j’analysai l’influence de la pression atmosphérique et de
la température, celle de la présence d’eau et d’autres éléments, et c’est ainsi
que, progressivement, j’allai assurer les meilleures conditions pour déclencher
la plus forte réaction chimique de la décharge et obtenir le plus haut degré
d’efficacité du processus. Évidemment, les progrès furent lents ; toutefois
j’avançai, petit à petit. La flamme devint de plus en plus grande et son effet
d’oxydation de plus en plus intense. Alors qu’elle ne fut au début qu’une
étincelle insignifiante de quelques centimètres de long, elle se transforma en
un merveilleux phénomène électrique, un feu rugissant, dévorant l’azote dans
l’atmosphère et mesurant entre 18 m et 21 m. Ce qui ne fut donc initialement
qu’une hypothèse devint lentement, presque imperceptiblement, une réalité. Je
n’en ai pas encore fini de mes travaux, loin s’en faut, mais si vous vous
reportez à la figure 1, dont le titre est révélateur, vous verrez à quel point
mes efforts ont été récompensés. La décharge qui est visible sous la forme d’une
flamme a été produite par des oscillations électriques intenses qui passent par
la bobine et qui excitent violemment les molécules électrifiées dans l’air. Cela
permet de créer une puissante réaction entre deux constituants de l’atmosphère
habituellement indifférents l’un à l’autre, qui se combinent très vite, sans que
soit prise une mesure additionnelle quelconque pour intensifier la réaction
chimique de la décharge. Lors de la production de composés d’azote selon ce
procédé, il faudra évidemment veiller à utiliser tous les moyens qui permettent
d’amplifier l’intensité de la réaction et l’efficacité du processus. Par
ailleurs, il faudra prendre les dispositions nécessaires pour fixer les
composants qui se seront formés, parce qu’ils sont en général instables, l’azote
redevenant inerte en très peu de temps. La vapeur est un moyen simple et
efficace pour fixer les composés de façon permanente. Les résultats obtenus
montrent qu’il est possible d’oxyder l’azote dans l’air en quantités illimitées,
en n’utilisant qu’une puissance mécanique bon marché et des appareils
électriques très simples. De nombreux composés d’azote peuvent être produits à
travers le monde de cette manière, à bas coût, et en quantité voulue ; et grâce
à ces composés, le sol pourra être fertilisé et sa productivité ne cessera
d’augmenter. C’est ainsi que l’on pourra obtenir une abondance de nourriture
saine et bon marché, naturelle, et à laquelle nous sommes déjà habitués. Cette
nouvelle source inépuisable de nourriture sera d’un secours inestimable pour
l’humanité, car elle va contribuer à l’augmentation de la masse humaine et à une
intensification énorme de son énergie. J’espère que bientôt le monde verra
naître une industrie qui, d’ici quelque temps, atteindra une importance
comparable à celle de l’industrie sidérurgique.
- Il existe manifestement deux façons d’augmenter la masse de l’humanité :
- 1 : "Pour brûler l’azote dans l’atmosphère " Ce résultat fut obtenu par la
décharge d’un oscillateur électrique de 12 millions de volts. La tension
électrique alternant 100 000 fois par seconde, excite l’azote normalement inerte
et provoque sa combinaison avec l’oxygène. La décharge ressemblant à une flamme
sur la photo mesure près de 20 m.
-
- Deuxième question : comment réduire la force
freinant la masse de l’humanité ? - La science des "téléautomates".-
- Comme je l’ai déjà dit plus haut, la force qui ralentit l’humanité dans sa
marche est en partie une force de friction et en partie une force négative. Pour
illustrer la différence entre ces deux forces, je dirai, par exemple, que
l’ignorance, la bêtise et l’imbécillité sont des forces de pure friction, ou des
résistances, dépourvues de toute tendance directionnelle. Quant aux fantasmes, à
la démence, aux tendances autodestructrices, au fanatisme religieux, et aux
types de comportement analogues, ce sont tous des forces à caractère négatif,
qui agissent dans des directions bien définies. Afin de réduire, voire de
vaincre ces forces de freinage dissemblables, il faut utiliser diverses méthodes
radicalement différentes. Par exemple, on sait ce dont un fanatique est capable,
et on peut prendre des mesures préventives, on peut lui expliquer, le convaincre
et même le remettre dans le droit chemin et changer son vice en vertu ; mais il
est impossible de prévoir les actes d’une brute ou d’un imbécile et on est
obligé d’agir avec lui comme on le ferait avec une masse inerte, sans jugeote,
déchaînée par les éléments furieux. Une force négative sous-entend la présence
de quelque talent, qui est parfois remarquable, bien que mal orienté, mais qu’il
est possible de maîtriser et de dompter à l’avantage de la personne. Par contre,
une force de friction sauvage sous-entend immanquablement des dégâts. Par
conséquent, la première réponse d’ordre général à la question ci-dessus est : il
faut remettre toutes les forces négatives dans le droit chemin et réduire toutes
les forces de friction.
Il ne fait aucun doute que, parmi toutes les résistances de friction, celle qui
retarde le plus la progression de l’humanité est l’ignorance. Ce n’est pas sans
raison que le sage Bouddha a dit : "l’ignorance est la plus grande plaie dans ce
monde." La friction qui résulte de l’ignorance, et qui est largement amplifiée
par les nombreuses langues et nationalités, ne peut être réduite que par la
diffusion de la connaissance et la réunification de tous les éléments
hétérogènes de l’humanité ; ce devrait être notre objectif principal. Bien que
l’ignorance ait retardé la marche en avant de l’homme dans le passé, il est
manifeste qu’aujourd’hui, ce sont les forces négatives qui prédominent. Parmi
elles sévit une force beaucoup plus importante que les autres, à savoir les
organisations militaires. Si nous considérons les millions d’individus - souvent
les plus capables d’un point de vue mental et physique et qui sont le fleuron de
l’humanité - contraints à une vie d’inactivité et de non-productivité, si nous
considérons les immenses sommes d’argent nécessaires à l’entretien quotidien des
armées et des machines de guerre qui demande un gros investissement humain, et
tous ces efforts inutiles consacrés à la production d’armes et d’instruments de
destruction, les pertes humaines et l’entretien d’un esprit barbare, il y a de
quoi être consterné devant cet énorme gâchis résultant de ce contexte
déplorable. Comment pouvons-nous combattre au mieux ce terrible fléau ?
Les lois et l’ordre public nécessitent le maintien de forces organisées. Aucune
communauté ne peut exister et prospérer sans une discipline rigoureuse. Chaque
pays doit pouvoir se défendre au besoin. La situation actuelle n’est pas le
fruit du passé, et un changement radical ne peut pas s’opérer dès demain. Si les
nations procédaient au désarmement en même temps, il est plus que probable que
s’ensuivrait une situation pire que la guerre elle-même. La paix universelle est
un très bel objectif, toutefois il ne peut être atteint d’un seul coup. Nous
avons vu dernièrement que même les efforts les plus nobles des hommes investis
de la plus grande puissance mondiale, n’ont pratiquement eu aucun effet. Et ce
n’est pas étonnant, car l’instauration de la paix universelle est, pour le
moment, matériellement impossible. La guerre est une force négative qui ne peut
pas être transmuée en énergie positive, sans passer d’abord par les phases
intermédiaires. C’est comme si l’on cherchait à faire tourner en sens opposé une
roue en mouvement, sans d’abord la freiner, l’arrêter et la faire repartir dans
l’autre sens.
On a prétendu que le perfectionnement d’armes de destruction massive mettrait un
terme aux guerres. J’ai partagé ce sentiment moi-même pendant très longtemps,
mais aujourd’hui je m’aperçois que c’est une grosse erreur. De tels
développements en modifieront le déroulement, mais ils ne les empêcheront pas.
Au contraire, je pense que chaque invention d’une arme nouvelle et chaque
nouvelle recherche dans cette direction, ne font qu’appâter de nouveaux talents
et compétences et attiser une nouvelle ardeur, car elles représentent un
aiguillon et sont donc génératrices d’une force d’impulsion pour de nouveaux
développements. Prenons comme exemple la découverte de la poudre à canon.
Pouvons-nous imaginer un changement plus radical que celui qui a fait suite à
cette découverte ? Imaginons que nous vivions à cette époque : n’aurions-nous
pas pensé que le temps des guerres était révolu, maintenant que l’armure du
chevalier devenait un accessoire ridicule et que la force physique et l’adresse,
jusque-là vitales, perdaient toute leur valeur ? Pourtant, la poudre à canon n’a
pas arrêté les guerres, bien au contraire, ce fut un stimulant puissant. Je ne
crois pas non plus que les guerres pourront un jour cesser par le truchement de
quelque développement scientifique ou idéologique, aussi longtemps que règneront
des conditions semblables ou analogues à celles d’aujourd’hui, car la guerre est
elle-même devenue une science et elle en appelle à certains sentiments les plus
sacrés dont l’homme soit capable. En fait, on peut se demander si un homme qui
refuserait de se battre au nom d’un principe élevé serait bon à quoi que ce
soit. Ce n’est pas l’esprit qui fait l’homme, ni le corps du reste ; c’est
l’esprit et le corps. Nos vertus et nos faiblesses sont inséparables, comme le
sont l’énergie et la matière. L’homme n’existe pas en dehors de cette dualité.
Un autre argument de poids entendu fréquemment, dit que les guerres deviendront
bientôt impossibles, sous prétexte que les moyens de défense surpassent les
moyens d’attaque. Cette assertion est conforme à une loi fondamentale qui, en
substance, dit qu’il est plus facile de détruire que de construire. Cette loi
définit les compétences et la place de l’homme. Parce que s’il était plus facile
de construire que de détruire, rien n’arrêterait plus l’homme de créer et
d’accumuler sans limites. Cette conjoncture est impossible sur notre terre. Si
un être avait un tel pouvoir, il ne serait pas un homme, mais un dieu. La
défense aura toujours l’avantage sur l’offensive, mais il me semble qu’elle ne
suffise pas pour arrêter les guerres. Il est possible de rendre les ports
imprenables en mettant en place de nouveaux systèmes de défense, toutefois
ceux-ci ne vont pas empêcher deux navires de guerre de s’affronter en haute mer.
Et puis, si nous allons au bout de ce raisonnement, nous arriverons à la
conclusion qu’il vaudrait mieux pour l’humanité que les rapports de force entre
l’attaque et la défense soient inversés. Car si chaque pays, même le plus petit,
pouvait s’entourer d’un mur complètement infranchissable et pouvait défier le
reste du monde, on arriverait à une situation extrêmement défavorable au progrès
de l’humanité. C’est en abolissant toutes les barrières qui séparent les peuples
et les pays que la civilisation peut avancer le mieux.
D’autres encore prétendent que l’avènement de l’industrie aéronautique va
favoriser la paix universelle. Cependant, je crois que là aussi, on se fourvoie
totalement. Cette industrie va certainement émerger bientôt, mais elle ne
changera rien à la situation. En fait, je ne vois pas pourquoi une grande
puissance comme la Grande-Bretagne ne règnerait pas sur les airs comme sur les
mers. Je ne voudrais pas que l’on me prenne pour un prophète, toutefois, je suis
sûr que dans les prochaines années naîtra une "puissance de l’air" et que son
centre ne sera pas loin de New York. Néanmoins, les hommes continueront
joyeusement de se battre.
Dans l’idéal, le développement du principe de guerre devrait finalement conduire
à la transformation de toute l’énergie de guerre en une énergie explosive
purement potentielle, comme celle d’un condensateur électrique. De cette
manière, l’énergie de guerre pourrait être conservée sans peine ; de quantité
nettement moindre, elle pourrait cependant être beaucoup plus efficace.
Quant à la sécurité d’un pays face à une invasion étrangère, il est intéressant
de relever qu’elle ne dépend que du nombre relatif - et non absolu - des
individus et de l’importance de leurs forces et que, si chaque pays réduisait sa
puissance de guerre dans les mêmes proportions, la sécurité s’en trouverait
inchangée. C’est pourquoi il faudrait un traité international, dont l’objectif
serait de réduire ces forces de guerre à un minimum - qui reste absolument
indispensable, en raison de l’éducation toujours imparfaite des masses. C’est le
premier pas sensé, si on cherche à réduire la force qui freine l’humanité dans
sa progression.
Heureusement, il est impossible que les conditions actuelles perdurent
indéfiniment, car un nouveau facteur commence à s’imposer. Les choses vont
changer pour le mieux, c’est imminent, et je vais maintenant tenter de vous
montrer ce qui, selon moi, sera la première avancée vers l’instauration de
relations pacifiques entre les pays et par quels moyens elle pourra finalement
être réalisée.
Remontons aux tout débuts, lorsque la loi du plus fort était la seule loi.
L’étincelle de la raison n’existait pas encore et le faible était totalement à
la merci du plus fort. Le faible alors commença à apprendre à se défendre. Il se
servit d’une massue, de pierres, d’une lance, d’une fronde, d’un arc et de
flèches et, au fil du temps, l’intelligence vint remplacer la force physique
comme facteur décisif dans ses affrontements. Son caractère sauvage fut petit à
petit tempéré par l’apparition de sentiments plus nobles et ainsi,
imperceptiblement, après des siècles de progrès continus, nous avons passé de la
bataille sauvage de la bête aveugle à ce que nous appelons "la guerre civilisée"
d’aujourd’hui, au cours de laquelle les antagonistes se serrent les mains, se
parlent avec courtoisie et fument des cigares durant les trêves, prêts à
reprendre le conflit meurtrier au premier signal. Laissez dire les pessimistes,
car c’est la preuve manifeste que l’homme a fait de grands et heureux progrès.
Et maintenant, quelle est la prochaine étape dans cette évolution ? Il n’est pas
encore question de paix, loin de là. Le prochain changement qui devrait
naturellement suivre les développements modernes, est la réduction continue du
nombre d’individus engagés dans les guerres. Les dispositifs de guerre auront
une puissance extrêmement grande, mais ne demanderont que peu d’hommes pour les
manœuvrer. Cette évolution permettra la mise en place progressive d’une machine
ou d’un mécanisme nécessitant de moins en moins d’opérateurs militaires, et il
va de soi que les grandes unités lourdes, lentes et difficilement gérables
seront abandonnées. L’objectif principal sera d’obtenir un dispositif de guerre
ayant une vitesse et une puissance énergétique maximum. Les pertes humaines
deviendront toujours plus faibles et, finalement, le nombre des personnes
engagées dans les conflits diminuera ; le combat s’exercera alors seulement
entre les machines, il n’y aura plus de sang versé, et les nations en seront les
spectateurs concernés et présomptueux. Lorsque cette situation heureuse sera
effective, la paix sera assurée. Toutefois, quel que soit le degré de perfection
que l’on va apporter aux canons à tir rapide, aux canons de haute puissance, aux
projectiles explosifs, aux torpilleurs ou à d’autres dispositifs de guerre, quel
que soit leur degré de pouvoir destructif, cette condition ne pourra jamais être
atteinte avec ce type de développement. Tous ces instruments ont besoin
d’opérateurs : les machines ne peuvent pas se passer des hommes. Leur objectif
est de tuer et de détruire. Leur puissance réside dans leur capacité à faire le
mal. Aussi longtemps que les hommes se rencontreront sur des champs de bataille,
le sang sera versé. Et le sang versé entretiendra toujours des passions
barbares. Afin de briser cet esprit implacable, il faut renverser la vapeur,
faire adopter un tout nouveau principe, quelque chose qui n’a jamais existé en
temps de guerre : un principe qui, forcément, inévitablement, va transformer la
bataille en simple spectacle, en pièce de théâtre, un conflit sans sang versé.
Pour atteindre ce résultat, il faudra pouvoir se passer des hommes : les
machines devront se battre entre elles. Mais comment atteindre ce qui paraît
impossible ? La réponse est pourtant assez simple : construire une machine
capable de se comporter comme si elle faisait partie d’un être humain - pas un
simple appareil mécanique fait de leviers, de vis, de roues, de pièces
intermédiaires et rien de plus, mais une machine possédant un principe
supérieur, qui lui permettra de fonctionner comme si elle était pourvue
d’intelligence, d’expérience, de raisonnement, de jugement, bref, d’un cerveau !
Je suis arrivé à cette conclusion après une vie de réflexions et d’observations,
et je vais maintenant vous décrire brièvement comment j’ai réussi à accomplir ce
qui, au début, ne semblait être qu’un rêve irréalisable.
Il y a très longtemps, lorsque j’étais un petit garçon, je souffrais de troubles
singuliers qui, semble-t-il, étaient dus à une extraordinaire excitabilité de la
rétine. Je voyais apparaître des images qui étaient tellement persistantes
qu’elles troublaient ma vue des objets réels et entraient en interférence avec
mes pensées. Lorsqu’on prononçait un mot devant moi, l’image de son concept se
présentait alors de manière vivante devant mes yeux et, très souvent, il m’était
impossible de dire si l’objet que je voyais était réel ou non. Ce phénomène me
gênait beaucoup et m’angoissait, et j’ai tout essayé pour me débarrasser de ce
sort. Mes tentatives furent vaines pendant longtemps et, je m’en souviens très
bien, ce n’est que vers l’âge de 12 ans que j’ai réussi, pour la première fois,
à effacer par la force de ma volonté une image qui s’était présentée. Je n’ai
jamais été aussi heureux mais, malheureusement (du moins c’est ce que je pensais
à l’époque), mes troubles réapparurent et mon anxiété avec eux. C’est alors que
mes observations dont je parlais plus haut ont commencé.
Je remarquai, notamment, que chaque fois que l’image d’un objet apparaissait
devant mes yeux, j’avais vu auparavant quelque chose qui me faisait penser à
lui. Au début, je crus que c’était accidentel, cependant je me suis vite aperçu
qu’il n’en était rien. Une impression visuelle, reçue consciemment ou non,
précédait invariablement l’apparition de l’image. Peu à peu, mon désir de
trouver, à chaque fois, ce qui était à l’origine de cette apparition d’images,
se transforma bientôt en besoin. J’observai ensuite que, si ces images suivaient
ma perception de quelque chose, mes pensées, elles aussi, étaient conditionnées
de la même manière. Et là encore, j’eus le même désir de savoir quelle image
avait déclenché mes pensées ; la recherche de cette impression visuelle
originelle devint bientôt ma seconde nature. Cela devint un automatisme mental
pour ainsi dire et, au fil des ans, cette pratique continue et presque
inconsciente développa mon aptitude à localiser à chaque fois et, en règle
générale, instantanément l’impression visuelle qui déclenchait mes pensées.
Toutefois, ce n’est pas tout. Peu de temps après, je m’aperçus que mes
mouvements s’exécutaient de la même manière, et à force de recherches,
d’observations, de vérifications continues, année après année, je fus très
heureux de pouvoir prouver, quotidiennement, par chacune de mes pensées et
chacun de mes mouvements, que je suis un automate capable de se mouvoir, que ces
mouvements ne font que répondre à des stimuli externes qui impressionnent mes
organes sensoriels, et que je pense, agis et me déplace en conséquence. Je ne me
souviens que d’un cas ou deux dans toute ma vie, où je fus incapable de
localiser la première impression qui suggéra un mouvement, une pensée, ou même
un rêve.
Fort de ces expériences, il m’est tout naturellement venu l’idée, il y a très
longtemps, de construire un automate qui me représenterait d’un point de vue
mécanique et qui réagirait comme je le fais aux influences extérieures, mais
bien sûr d’une manière beaucoup plus primitive. Par ailleurs, il me fallait
équiper cet automate d’une force motrice, d’organes de mouvement, d’organes de
commande et d’un ou plusieurs organes sensoriels, adaptés de telle façon qu’ils
puissent être excités par des stimuli externes. Je pensais que cette machine
allait exécuter ses mouvements comme un être humain, dans la mesure où elle
possédait toutes ses principales caractéristiques, ou composants, mécaniques.
Pour compléter ce modèle, seules manquaient alors la capacité de croissance, de
propagation et, surtout, l’intelligence. Dans ce cas précis, néanmoins, la
capacité de croissance n’était pas nécessaire, puisque l’on peut construire une
machine dont le développement est terminé, pour ainsi dire. Quant à sa capacité
de propagation, on peut pareillement s’en passer, puisque dans un modèle
mécanique, elle concerne seulement le processus de fabrication. Peu importe que
l’automate soit constitué de chair et de sang ou de bois et de métal, pourvu
qu’il soit capable de remplir toutes les tâches d’un être intelligent. Pour
cela, il lui fallait un élément correspondant au mental qui contrôlerait tous
les mouvements et opérations, et le ferait agir en toutes circonstances
inattendues, en toute connaissance de cause, avec bon sens, jugeote et
expérience. Il m’était facile d’incorporer cet élément dans la machine, en lui
transmettant ma propre intelligence et ma propre compréhension. Je développai
donc cette invention, et une nouvelle science venait de naître, à laquelle on
donna le nom de "Téléautomatique", ce qui veut dire art de contrôler à distance
les mouvements et opérations des automates. (Nous dirions aujourd’hui la
robotique)
Ce principe pouvait évidemment être appliqué à tout type de machine se déplaçant
sur terre, sur mer ou dans les airs. Lorsque je le mis en pratique la toute
première fois, je choisis un sous-marin (voir figure 2). À l’intérieur, se
trouvait une batterie à accumulation qui fournissait la puissance motrice.
L’hélice, actionnée par un moteur, représentait l’organe de locomotion. Le
gouvernail, actionné par un autre moteur alimenté également par la batterie,
représentait les organes de commande. Quant à l’organe sensoriel, j’ai d’abord
pensé utiliser un dispositif sensible aux rayons lumineux, comme une pile de
sélénium, pour représenter l’œil humain. Toutefois, après réflexion suite à des
difficultés expérimentales et autres, j’en conclus que le contrôle de l’automate
ne pouvait pas s’effectuer de manière entièrement satisfaisante par la lumière,
la chaleur radiante, les radiations hertziennes, ou par des rayons en général,
c’est-à-dire par des perturbations qui passent en lignes droites à travers
l’espace. Une des raisons était que tout obstacle entrant dans le champ entre
l’opérateur et l’automate empêcherait le contrôle de ce dernier. Une autre
raison était que l’appareil sensitif, représentant l’œil, devait être placé dans
une position bien définie par rapport à l’appareil de contrôle à distance, et
cette obligation limitait grandement le contrôle. Une troisième raison très
importante était qu’avec l’utilisation de rayons il deviendrait difficile, voire
impossible, de transmettre à l’automate des caractéristiques personnelles ou qui
le distinguerait d’autres machines de ce type. Il fallait que l’automate réponde
à un seul signal, tout comme une personne répond à un nom. Tous ces facteurs
m’ont amené à penser que l’appareil sensoriel de la machine devait correspondre
à l’oreille plutôt qu’à l’œil d’un être humain, car dans ce cas, ses actions
pourraient être contrôlées indépendamment d’éventuels obstacles, sans avoir à
tenir compte de sa position par rapport à l’appareil de contrôle à distance et,
enfin et surtout, il resterait sourd et insensible, comme un serviteur fidèle, à
tous les signaux, sauf à celui de son maître. Donc, pour le contrôle de
l’automate, il devenait impératif d’utiliser à la place des rayons, des ondes ou
des perturbations qui se propagent dans toutes les directions à travers
l’espace, comme les sons, ou qui suivent des lignes de moindre résistance,
quoique courbes. Je suis arrivé à mes fins en utilisant un circuit électrique
placé à l’intérieur du bateau, et en l’ajustant ou en l’ "accordant" exactement
sur les vibrations électriques de même nature que celles qui lui étaient
transmises par un "oscillateur électrique" à distance. Ce circuit en réagissant,
quoique faiblement, aux vibrations transmises, influait sur des aimants et
d’autres dispositifs qui commandaient les mouvements de l’hélice et du
gouvernail, ainsi que les opérations de nombreux autres appareils.
- Comme je l’ai déjà dit plus haut, la force qui ralentit l’humanité dans sa
- 2 : "Le premier Téléautomate utilisable en pratique". Machine dont tous les
mouvements physiques et de translation, toutes les opérations du mécanisme
intérieur sont contrôlés à distance, sans fil. Le sous-marin représenté sur la
photo n’a pas d’équipage, il contient sa propre force motrice, son moteur à
propulsion et de direction et de nombreux autres accessoires, qui sont tous
contrôlés à distance et sans fil, par la transmission de vibrations électriques
vers un circuit intégré dans le bateau et réglé de manière qu’il ne réponde qu’à
ces seules vibrations.- C’est avec ces moyens très simples que je viens de décrire que
l’intelligence, l’expérience et la capacité de jugement de l’opérateur à
distance - son mental, pour ainsi dire - furent incorporés dans cette machine
qui, partant, devenait capable de se mouvoir et d’effectuer toutes ses
opérations avec bon sens et intelligence. Elle se comportait tout comme l’aurait
fait une personne qui, les yeux bandés, obéit aux directives qu’elle reçoit par
son ouïe.
Les automates qui ont été construits jusqu’à ce jour avaient "un mental
emprunté", si l’on peut dire, car chacun n’était qu’une partie de l’opérateur à
distance qui leur transmettait ses ordres intelligents ; toutefois cette science
est encore balbutiante. Bien que cela ne soit pas concevable à l’heure actuelle,
mon but est de démontrer que l’on peut inventer un automate qui aurait son
"propre mental", et par-là j’entends qu’il sera indépendant de tout opérateur,
livré entièrement à lui-même et capable de réagir à des facteurs externes
affectant ses organes sensoriels et d’effectuer une grande diversité d’actes et
d’opérations, comme s’il était pourvu d’intelligence. Il sera capable de suivre
un trajet préétabli, ou d’obéir à des ordres donnés longtemps à l’avance. Il
sera capable de discerner entre ce qu’il doit ou ne doit pas faire, de faire des
expériences ou, en d’autres termes, d’enregistrer des impressions qui auront un
rôle décisif dans ses actions subséquentes. En fait, j’ai déjà conçu un tel
plan.
Bien que j’aie construit cette invention il y a de nombreuses années, et que je
l’aie très souvent expliquée aux visiteurs lors de démonstrations dans mon
laboratoire, ce n’est que bien plus tard, et après que je l’eus perfectionnée,
qu’elle devint connue et que - et c’est tout naturel - elle donna lieu à des
polémiques et fut l’objet de rapports sensationnels. Cependant, la plupart des
gens n’ont ni saisi la véritable signification de cette nouvelle science, ni
reconnu l’immense potentiel du principe sous-jacent. Pour autant que j’aie pu en
juger des nombreux commentaires qui fusèrent alors, les résultats que j’ai
obtenus étaient considérés comme étant parfaitement impossibles. Même les rares
personnes qui étaient prêtes à admettre la faisabilité de mon invention, ne lui
accordaient pas plus de valeur qu’à une torpille autopropulsée, destinée à faire
sauter des navires de guerre, mais dont le succès n’était pas garanti. Comme il
existe des torpilles guidées par des fils électriques et des moyens de
communication sans fil, on en a déduit, d’une manière générale, que j’avais
simplement réussi à diriger un tel bateau avec des rayons hertziens ou autres.
Si mes résultats devaient se limiter à cela, mes progrès auraient, en effet, été
bien minces. Toutefois, la science que j’ai développée ne se contente pas de
faire changer de direction un navire en déplacement ; elle offre les moyens de
contrôler parfaitement, à tous égards, les innombrables mouvements de
translation, comme toutes les opérations de tous les organes internes d’un
automate individualisé, quel que soit leur nombre. Les critiques du contrôle de
l’automate à distance émanaient de personnes qui n’ont aucune idée des
merveilleux résultats que l’on peut obtenir en utilisant des vibrations
électriques. La science avance lentement, et il est difficile de faire face à,
et d’accepter, de nouvelles vérités. Évidemment, ce principe permet de
développer des armes tant pour la défense que pour l’attaque, et leur puissance
de destruction est d’autant plus grande que la méthode peut être utilisée aussi
bien dans les sous-marins que dans l’aéronavale. Il n’y a pratiquement pas de
limites quant à la quantité d’explosifs qu’une telle machine peut transporter,
ou à la distance à laquelle elle peut frapper, et il est quasiment impossible
d’échouer. En outre, la puissance de cette nouvelle méthode ne réside pas
uniquement dans son pouvoir de destruction. Elle introduit dans les guerres un
élément qui jusqu’ici n’a jamais existé : une machine de combat sans équipage,
qui peut servir les assaillants comme les défenseurs. Les développements
continus dans cette direction doivent finalement faire de la guerre un combat
entre machines, sans hommes et sans victimes - une situation qu’il est
impossible d’atteindre sans cette nouvelle invention mais qui, à mon avis, est
nécessaire en tant que préliminaire à une paix durable. L’avenir dira si j’ai eu
raison ou tort. J’ai exposé mes idées sur ce sujet avec une profonde conviction,
quoique en toute humilité.
L’instauration de relations pacifiques durables entre les pays serait le
meilleur moyen de réduire la force qui empêche l’humanité d’avancer et, partant,
serait la meilleure solution à cet important problème de l’humanité. Le rêve
d’une paix universelle se réalisera-t-il jamais ? Espérons-le. Lorsque toute
l’obscurité sera dissipée à la lumière de la science, lorsque toutes les nations
n’en feront qu’une et que le patriotisme sera l’égal de la religion, lorsque
tous parleront la même langue, qu’il n’y aura plus qu’un seul pays, un seul but,
alors le rêve sera devenu réalité.
- C’est avec ces moyens très simples que je viens de décrire que
-
- Troisième question : comment augmenter la force
d’accélération de la masse humaine ? - L’exploitation de l’énergie solaire.-
- Des trois solutions possibles au problème majeur de l’intensification de
l’énergie humaine, celle-ci est de loin la plus importante, non seulement à
cause de sa signification intrinsèque, mais aussi parce qu’elle est en rapport
intime avec tous les nombreux facteurs et conditions qui déterminent la marche
de l’humanité. Afin de procéder avec méthode, il va falloir que je m’étende sur
tous les facteurs qui, depuis le début de mes recherches, m’ont permis de
trouver une solution, et qui m’ont conduit, petit à petit, aux résultats que je
vais décrire maintenant. En ce qui concerne les forces majeures qui déterminent
la marche en avant, il serait intéressant de revenir, dans un premier temps, sur
l’étude analytique que j’ai faite, ne serait-ce que pour donner une idée de
cette "vitesse" hypothétique qui, comme cela a été dit au début, sert à mesurer
l’énergie humaine ; toutefois, si j’allais au fond de la chose maintenant, comme
je désirerais le faire, cela me conduirait hors du cadre du sujet présent. Il me
suffit de préciser que la résultante de toutes ces forces va toujours dans la
direction de la raison et que c’est donc elle qui détermine, à tout moment, la
direction de la marche de l’humanité. Cela signifie que tous les efforts
entrepris dans le domaine scientifique, qu’ils soient d’ordre rationnel, utile
ou pratique, doivent aller dans le sens dans lequel se déplace l’humanité.
L’homme pratique et rationnel, le scientifique, l’homme d’affaires, le
philosophe, le mathématicien ou le prévisionniste doit soigneusement planifier
son travail, pour que ses effets aillent dans la direction de ce mouvement, car
c’est alors qu’il sera le plus efficace ; c’est dans cette connaissance et cette
compétence que réside le secret de son succès. Toute nouvelle découverte, toute
nouvelle expérience ou tout nouveau facteur qui vient enrichir notre
connaissance et qui est du domaine de la raison, aura des répercussions sur ce
dernier et partant changera la direction du mouvement ; toutefois, celui-ci
devra toujours aller dans le sens de la résultante de tous ces efforts qu’à ce
moment-là nous estimons sensés, c’est-à-dire protecteurs de l’homme, utiles,
profitables ou pratiques. Ces efforts concernent notre vie quotidienne, nos
besoins et notre bien-être, notre travail et nos affaires, et ce sont eux qui
font avancer l’humanité.
Toutefois, lorsque nous regardons ce monde affairé tout autour de nous, cette
masse complexe qui journellement palpite d’activités, que voyons-nous, si ce
n’est un immense rouage d’horloge actionné par un ressort ? Dès que nous nous
levons le matin, nous sommes bien obligés de constater que tout ce qui nous
entoure a été fabriqué par des machines : l’eau que nous utilisons a été pompée
hors du sol par l’énergie vapeur ; notre petit-déjeuner vient de très loin par
train ; les ascenseurs dans nos maisons et bureaux, les voitures qui nous y
emmènent, fonctionnent tous à l’énergie ; lorsque nous faisons nos courses et
dans toutes nos occupations journalières, nous dépendons encore d’elle ; tous
les objets qui nous entourent nous en parlent ; et le soir, lorsque nous
rentrons dans nos habitations fabriquées par les machines, tout le confort
matériel de notre maison, notre poêle bien chaud et nos lampes nous rappellent,
de peur que nous ne l’oubliions, combien nous sommes dépendants de l’énergie. Et
si par malheur les machines s’arrêtent, lorsque la ville est paralysée par la
neige ou que les activités qui entretiennent la vie sont arrêtées par quelque
phénomène temporaire, nous réalisons avec effroi qu’il nous serait impossible de
vivre sans énergie motrice. Énergie motrice veut dire travail. C’est pourquoi
intensifier la force d’accélération de la marche de l’humanité signifie exécuter
plus de travail.
Nous pouvons donc dire que les trois solutions possibles au gros problème de
l’accroissement de l’énergie humaine, peuvent se résumer en trois mots :
nourriture, paix et travail. Pendant des années, j’ai réfléchi et médité, je me
suis égaré dans des spéculations et des théories en considérant l’humanité comme
une masse mue par une force, comparant son mouvement inexplicable avec un
mouvement mécanique ; cependant, en appliquant les lois rudimentaires de la
mécanique à l’analyse de ce dernier, j’ai finalement trouvé ces solutions, et
j’ai réalisé qu’elles m’avaient déjà été enseignées dans ma petite enfance. Ces
trois mots sont les piliers du christianisme. Leur signification scientifique et
leur sens sont devenus clairs pour moi : la nourriture doit augmenter la masse,
la paix doit ralentir la force de freinage, et le travail doit intensifier la
force d’accélération de la marche de l’humanité. Ce sont les trois seules
solutions possibles à cet important problème, et chacune d’elles a la même
fonction et vise le même but, à savoir l’intensification de l’énergie humaine. À
la lumière de ceci, nous serons obligés de reconnaître que la religion
chrétienne est remplie de sagesse, d’une profondeur scientifique et d’un grand
sens pratique, et qu’elle est en contraste très net avec les autres religions.
Elle est immanquablement le résultat d’expérimentations pratiques et
d’observations scientifiques conduites pendant des siècles, alors que d’autres
religions semblent issues de seuls raisonnements abstraits. Ses commandements
principaux et récursifs sont le travail, d’inlassables efforts utiles et
enrichissants, entrecoupés de périodes de repos et de récupération dans le but
d’atteindre une plus grande efficacité. C’est donc à la fois le christianisme et
la Science qui nous inspirent pour que nous donnions le meilleur de nous-mêmes,
afin d’augmenter les performances de l’humanité. C’est ce problème, qui est le
plus important de tous les problèmes de l’humanité, que j’aimerais approfondir
maintenant.
- Des trois solutions possibles au problème majeur de l’intensification de
-
- La source de l’énergie humaine - Les trois méthodes
d’exploitation de l’énergie solaire.-
- Posons-nous tout d’abord la question suivante : d’où vient toute cette force
motrice ? Quel est le ressort qui fait tout avancer ? Nous voyons l’océan monter
et descendre, les rivières s’écouler, le vent, la pluie, la grêle et la neige
battre contre nos fenêtres, les trains et les bateaux à vapeur partir et revenir
; nous entendons le cliquetis des véhicules, les rumeurs dans les rues ; nous
touchons, sentons et goûtons, et nous philosophons sur tout cela. Tous ces
mouvements, depuis le flux de l’immense océan jusqu’à celui, très subtil,
engendré par notre pensée, ont tous la même origine. Toute cette énergie émane
d’un seul centre, d’une seule source : le soleil. Le soleil est le ressort qui
fait tout avancer. Le soleil entretient toutes les vies humaines et fournit aux
hommes leur énergie. Voici donc une nouvelle réponse à la grande question qui
nous préoccupe : pour augmenter la force d’accélération de la marche de
l’humanité, il faut mettre plus d’énergie solaire à son service. Nous honorons
et vénérons ces grands hommes du passé dont les noms rappellent leurs succès
immortels et qui furent des bienfaiteurs de l’humanité : le réformateur
religieux et ses maximes de vie remplies de sagesse, le philosophe et ses
profondes vérités, le mathématicien et ses formules, le physicien et ses lois,
l’explorateur avec ses principes et secrets arrachés à la nature, l’artiste et
ses œuvres d’art ; mais qui l’honore, lui, le plus grand de tous - qui connaît
seulement son nom ? - celui qui, pour la première fois, a utilisé l’énergie
solaire pour faciliter le travail d’un prochain plus faible que lui ? Ce fut le
premier acte philanthropique dans l’histoire de l’humanité et ses conséquences
furent inestimables.
L’homme disposait, depuis les tout débuts déjà, de trois possibilités pour
exploiter l’énergie solaire. L’homme des cavernes, quand il réchauffait ses
membres engourdis par le froid autour d’un feu qu’il avait réussi à allumer, se
servait de l’énergie solaire emmagasinée dans son combustible. Lorsqu’il portait
un fagot dans sa caverne pour y faire un feu, il transportait l’énergie solaire
emmagasinée d’un endroit à un autre pour ensuite l’utiliser. Lorsqu’il hissait
la voile sur son embarcation, il utilisait l’énergie solaire transmise à
l’atmosphère ou au milieu environnant. Il ne fait aucun doute que la première
utilisation citée est la plus ancienne. La découverte fortuite du feu apprit à
l’homme sauvage à apprécier sa chaleur bienfaisante. Ensuite est probablement
née en lui l’idée de transporter les braises rougeoyantes dans son abri. Et
finalement, il apprit à se servir de la force des courants rapides de l’eau et
de l’air. Il est caractéristique que dans les développements modernes les
progrès se soient effectués dans le même ordre. L’utilisation de l’énergie
emmagasinée dans le bois ou le charbon ou, d’une manière plus générale, dans les
combustibles, conduisit à l’invention de la machine à vapeur. Ensuite, de grands
progrès furent réalisés dans le cadre du transport de l’énergie, avec
l’utilisation de l’électricité, qui permettait de transmettre l’énergie d’un
point à un autre sans avoir à transporter le combustible. Mais pour ce qui est
de l’utilisation de l’énergie dans le milieu ambiant, il semblerait qu’aucun
progrès n’ait encore été réalisé.
Les derniers résultats des développements dans ces trois domaines sont :
premièrement, la combustion froide de charbon dans une pile ; deuxièmement,
l’utilisation efficace de l’énergie du milieu environnant ; et troisièmement, la
transmission de l’énergie électrique sans fil vers n’importe quel lieu. Quel que
soit le moyen pour arriver à ces résultats, leur application pratique nécessite
un emploi massif de fer, et ce métal inestimable jouera sans aucun doute un rôle
essentiel dans les développements à venir dans ces trois domaines. Si nous
réussissons à brûler du charbon par un processus froid et si nous obtenons donc
de l’énergie électrique d’une manière efficace et peu coûteuse, nous aurons
souvent besoin de moteurs électriques dans le cadre de nos utilisations
pratiques de cette énergie, c’est-à-dire de fer. Pour tirer l’énergie du milieu
et pour utiliser cette énergie, nous aurons besoin de machines, donc encore de
fer. Si nous voulons transmettre l’énergie électrique sans fil à une échelle
industrielle, nous serons appelés à utiliser de nombreux générateurs
d’électricité, donc encore une fois, du fer. Quoi que nous décidions de faire,
le fer sera vraisemblablement, encore plus que par le passé, la ressource
principale pour atteindre nos objectifs dans un futur proche. Il est difficile
de dire pendant combien de temps son règne durera, car aujourd’hui déjà
l’aluminium apparaît comme un rival menaçant. Pour le moment et parallèlement à
la recherche de nouvelles sources d’énergie, il est essentiel de progresser dans
la fabrication et l’utilisation du fer. De gros progrès sont possibles dans ces
derniers domaines et ils sont susceptibles d’augmenter considérablement la
productivité de l’humanité.
- Posons-nous tout d’abord la question suivante : d’où vient toute cette force
-
- Les grandes possibilités offertes par le fer pour
augmenter la productivité de l’humanité - Le terrible gaspillage dans la
fabrication du fer.-
- De nos jours, le fer est de loin le facteur de progrès le plus important. Il
contribue, plus que tout autre produit industriel, à accélérer la marche de
l’humanité. L’utilisation de ce métal est devenue tellement courante et sa
relation avec tout ce qui concerne notre vie est si intime, qu’il nous est
devenu aussi indispensable que l’air que nous respirons. Son nom est synonyme
d’utilité. Bien que l’influence du fer soit importante dans le développement
actuel de l’humanité, sa contribution effective à la force poussant l’humanité
en avant, est largement inférieure à ce qu’elle pourrait être. Tout d’abord,
telle quelle est menée actuellement, sa fabrication engendre un énorme
gaspillage de combustible, c’est-à-dire d’énergie. Par ailleurs, une partie
seulement du fer obtenu est utilisée à des fins utiles. Une bonne partie va
créer des résistances de friction, tandis qu’une autre grande partie va servir à
développer des forces négatives qui retardent grandement l’avancée de
l’humanité. C’est ainsi que la force négative de la guerre est presque
entièrement constituée de fer. Il est impossible d’estimer avec précision
l’ordre de grandeur de cette force de freinage la plus importante de toutes,
mais elle est certainement très considérable. Si, par exemple, 10 représente la
force d’impulsion positive actuelle résultant de toutes les utilisations utiles
du fer, je ne pense pas exagérer en estimant la force négative de la guerre
autour de 6, en considérant toutes ses influences et résultats négatifs. Sur la
base de ces estimations, la force d’impulsion effective du fer agissant dans la
bonne direction, sera la différence entre les deux nombres, soit 4. Mais si la
fabrication des machines de guerre cessait, par le biais de l’instauration de la
paix universelle, et si toutes les luttes pour la suprématie entre les pays se
transformaient en compétition commerciale productive, durable et saine, la force
d’impulsion positive apportée par le fer se mesurerait par la somme des deux
nombres, soit 16, ce qui veut dire que cette force serait du quadruple de sa
valeur actuelle. Bien sûr, cet exemple est juste donné pour que l’on ait une
idée de l’énorme augmentation de la productivité de l’humanité, qui pourrait
résulter d’une réforme radicale des industries sidérurgiques fournissant
l’artillerie.
Une autre économie d’énergie tout aussi inestimable pourrait être obtenue en
parant à l’énorme gaspillage de charbon qui est inévitablement lié aux
techniques de production de fer actuelles. Dans certains pays, comme la Grande
Bretagne, on commence à ressentir les douloureux effets de ce gaspillage de
combustible. Le prix du charbon ne cesse d’augmenter et les pauvres en souffrent
de plus en plus. Bien que nous soyons loin de "l’épuisement des mines de
charbon" tant redouté, la charité nous ordonne d’inventer de nouvelles méthodes
de production de fer, qui n’impliqueront pas de gaspillage barbare de ce
matériau précieux, dont nous tirons aujourd’hui la plus grande partie de notre
énergie. Il est de notre devoir de réserver ces stocks d’énergie aux générations
futures, ou du moins, de ne pas y toucher aussi longtemps que nous n’avons pas
trouvé le moyen de brûler le charbon de manière plus économique. Nos descendants
auront besoin de plus de combustible que nous. Nous devrions être capables de
fabriquer le fer dont nous avons besoin en utilisant l’énergie solaire, en ne
gaspillant pas de combustible du tout. L’idée de faire fondre le minerai de fer
avec des courants électriques obtenus à partir de chutes d’eau a, évidemment,
déjà surgi dans l’esprit de ceux qui travaillent dans ce sens. J’ai moi-même
passé beaucoup de temps à tenter de développer un procédé qui soit fonctionnel
et qui permettrait de produire du fer à peu de frais. Après avoir étudié ce
sujet plus à fond, j’ai découvert qu’il n’était pas rentable de fondre le
minerai directement avec le courant électrique et, partant, j’ai développé une
méthode qui est beaucoup plus économique.
- De nos jours, le fer est de loin le facteur de progrès le plus important. Il
-
- Un nouveau procédé permettant une production
économique du fer.-
- Avec ce projet industriel, tel que je l’avais développé il y a six ans, il
s’agissait d’utiliser le courant électrique obtenu à partir de chutes d’eau, non
pour faire fondre directement le minerai, mais pour décomposer l’eau dans un
premier temps. Afin de réduire les coûts de l’installation, je voulais produire
le courant dans des dynamos simples et très bon marché, que j’avais conçues
spécialement dans ce but. Il s’agissait de brûler ou de re-combiner l’hydrogène
libéré lors de la décomposition par électrolyse, avec l’oxygène de l’air, et non
avec l’oxygène dont il venait d’être séparé. De cette manière, la presque
totalité de l’électricité qui avait servi à la fission de l’eau était regagnée
sous forme de chaleur grâce à sa liaison avec l’hydrogène. C’est cette chaleur
qui devait servir à faire fondre le minerai. J’avais l’intention d’utiliser
l’oxygène obtenu comme sous-produit lors de la fission de l’eau, à d’autres fins
industrielles, ce qui aurait été certainement très rentable d’un point de vue
financier, car c’est le moyen le plus économique pour obtenir ce gaz en grandes
quantités. En tout cas, il aurait pu servir à brûler toutes sortes de déchets,
les hydrocarbures bon marché ou le charbon de mauvaise qualité que l’on ne peut
ni brûler à l’air libre, ni utiliser à d’autres fins utiles, ce qui permettait,
par ailleurs, d’obtenir beaucoup de chaleur pour faire fondre le minerai. Pour
que le procédé soit encore plus économique, j’envisageai, en outre, de prendre
des dispositions pour que le métal chaud et les produits de la combustion, en
sortant du feu, viennent chauffer le minerai avant qu’il ne soit placé dans le
feu, ce qui permettait de réduire considérablement la perte de chaleur lors de
la fonte. J’ai calculé que l’on pouvait fabriquer approximativement 20 000 kilos
de fer par cheval-vapeur, par an, avec ce procédé. J’en ai largement déduit les
pertes inévitables et la quantité citée ne représente que la moitié de celle que
l’on pourrait obtenir en théorie. Me basant sur des estimations et sur des
données pratiques se référant à un type de sable à minerai que l’on trouve en
grandes quantités dans la région des Grands Lacs et même en comptant les frais
de transport et de main d’œuvre, j’en conclus qu’en certains endroits, le fer
pouvait être fabriqué à bien moindre coût qu’avec toutes les autres méthodes
utilisées. Ce résultat pouvait s’obtenir d’autant plus facilement que l’oxygène,
obtenu à partir de l’eau, pouvait servir à d’autres fins plus profitables que
celle de faire fondre le minerai. L’installation augmenterait encore ses revenus
si la demande de ce gaz devenait plus forte et, partant, le fer deviendrait
encore meilleur marché. J’ai développé ce projet en visant essentiellement les
intérêts industriels et j’espère qu’un jour un merveilleux papillon industriel
sortira de la chrysalide poussiéreuse et endormie.
La production de fer à partir de sable à minerai par un principe de séparation
magnétique est en soi très avantageuse, puisqu’il n’y a aucune perte en charbon
; mais l’utilité de cette méthode est limitée car il faut ensuite faire fondre
le fer. Quant au concassage du minerai de fer, je pense que la seule manière
intelligente d’y procéder, serait d’utiliser la force hydraulique ou une autre
énergie obtenue autrement, sans brûler de combustible. Ce serait une grande
avancée dans la fabrication du fer, si on utilisait un procédé électrolytique
froid, car il permettrait d’extraire le fer à moindre coût et aussi de le fondre
en formes voulues, sans recourir à un combustible. Le fer, tout comme certains
autres métaux, n’a jusqu’ici pas pu être traité par électrolyse, mais il ne fait
aucun doute que ce type de procédé froid va finir par remplacer la méthode
actuelle grossière de coulée dans la métallurgie et ainsi mettre un terme à
l’énorme gaspillage de combustible nécessaire aux réchauffements répétés du
métal dans les fonderies.
Il y a quelques décennies encore, l’utilité du fer était basée presque
uniquement sur ses remarquables propriétés mécaniques ; toutefois, depuis
l’avènement de la commercialisation à grande échelle de la dynamo et des moteurs
électriques, sa valeur pour l’humanité a augmenté considérablement à cause de
ses qualités magnétiques uniques. Ces dernières ont encore été améliorées
dernièrement ; tout a commencé il y a treize ans, lorsque je découvris que la
performance d’un moteur alternatif pouvait être doublée en utilisant de l’acier
doux Bessemer, au lieu du fer laminé comme à l’accoutumée. J’ai fait remarquer
ceci à M. Albert Schmid, alors directeur d’une corporation industrielle
travaillant dans ce domaine, dont les efforts inlassables et les compétences ont
largement contribué à la suprématie de l’industrie électrique américaine. Il a
suivi mes suggestions et a construit des transformateurs en acier, qui se sont
avérés bien meilleurs. Les recherches ont alors continué sous la direction de M.
Schmid et les impuretés de "l’acier" furent éliminées petit à petit (de l’acier
il n’en portait que le nom, car, en réalité, c’était du fer doux) ; il en
résulta bientôt un produit qu’il était difficile de vouloir encore améliorer.
- Avec ce projet industriel, tel que je l’avais développé il y a six ans, il
-
- L’ère imminente de l’aluminium - Le déclin de
l’industrie du cuivre - Le grand potentiel économique de ce nouveau métal.-
- Les progrès réalisés ces dernières années sur la qualité du fer ne nous
permettent pratiquement plus d’aller plus loin. Nous ne pouvons pas espérer
augmenter sa limite de rupture, son élasticité, sa dureté ou sa malléabilité ;
quant à ses qualités magnétiques, elles sont aujourd’hui imperfectibles. Une
amélioration notoire lui a été apportée récemment, en mélangeant un faible
pourcentage de nickel au fer, mais il n’y a plus beaucoup de marge de manœuvre
pour d’autres avancées dans cette direction. De nouvelles découvertes
éventuelles, si elles ne peuvent pas augmenter de beaucoup les propriétés qui
font la valeur de ce métal, pourraient toutefois en réduire les coûts de
fabrication. Le futur immédiat du fer est assuré par son bas prix et ses
qualités mécaniques et magnétiques hors pair. Elles sont d’un ordre tel qu’aucun
autre produit ne peut le concurrencer aujourd’hui. Toutefois, il ne fait aucun
doute que d’ici quelque temps, le fer, dans beaucoup de ses domaines aujourd’hui
incontestés, devra passer le sceptre à un autre métal : l’ère future sera l’ère
de l’aluminium. Il y a 70 ans seulement que ce merveilleux métal fut découvert
par Woehler, et l’industrie de l’aluminium, qui n’a guère plus de 40 ans, attire
déjà l’attention du monde entier. Une croissance aussi rapide n’a jamais été
enregistrée dans l’histoire de la civilisation. Il y a peu de temps encore,
l’aluminium se vendait au prix exorbitant de 30 à 40 dollars la livre ;
aujourd’hui, on peut l’avoir, à volonté, pour quelques cents. Néanmoins, ce prix
sera bientôt considéré tout aussi exorbitant, car il est possible de faire de
grands progrès dans ses méthodes de fabrication. La plupart du métal est
aujourd’hui fabriquée dans de hauts-fourneaux électriques par un procédé
combinant la fusion et l’électrolyse, ce qui permet d’obtenir un certain nombre
de caractéristiques avantageuses, mais qui, bien sûr, implique une grande perte
d’électricité. Mes calculs montrent que le prix de l’aluminium pourrait être
réduit considérablement si, dans sa fabrication, on utilisait une méthode
similaire à celle que j’ai proposée pour la fabrication du fer. La fusion d’une
livre d’aluminium ne demande que 70% de la chaleur nécessaire à faire fondre une
livre de fer et comme son poids est seulement du tiers de ce dernier, on
pourrait obtenir quatre fois plus d’aluminium que de fer à partir d’une énergie
thermique donnée. Cependant, la solution idéale serait un processus de
fabrication électrolytique à froid, et j’ai misé tous mes espoirs là-dessus.
Les progrès réalisés dans l’industrie de l’aluminium vont inévitablement avoir
pour conséquence l’anéantissement de l’industrie du cuivre. Elles ne peuvent
exister et prospérer ensemble, et la dernière est condamnée sans aucun espoir de
retour. Aujourd’hui déjà, il est moins cher de transporter le courant électrique
dans des fils d’aluminium que de cuivre ; le coulage de l’aluminium est moins
onéreux et le cuivre n’a aucune chance de rivaliser dans des utilisations
domestiques ou autres. Une nouvelle baisse du prix de l’aluminium ne pourra être
que fatale pour le cuivre. Toutefois, les progrès du premier ne se feront pas
sans résistance, car, comme toujours dans des cas semblables, les grands
complexes industriels absorberont les plus petits : les énormes puissances économiques du cuivre prendront le contrôle de l’industrie de l’aluminium encore
insignifiante et l’industrie du cuivre qui tournera au ralenti va freiner
l’envolée de l’industrie de l’aluminium. Cependant, cela ne fera que retarder,
et non empêcher, la révolution imminente.
Toutefois, l’aluminium ne s’attaquera pas seulement au cuivre. Dans un futur
relativement proche, il s’engagera dans une bataille sans merci avec le fer et
ce dernier se montrera un adversaire difficile à terrasser. L’issue de ce combat
dépendra du degré de nécessité du fer dans la fabrication des machines
électriques. L’avenir seul le dira. Le magnétisme intrinsèque du fer, est un
phénomène isolé dans la nature. Bien que différentes théories aient déjà été
avancées, on ne sait toujours pas pourquoi ce métal se comporte de manière aussi
radicalement différente des autres métaux dans ce domaine. Pour ce qui est du
magnétisme, les molécules des différentes substances se comportent comme des
faisceaux creux partiellement remplis d’un liquide lourd, qui restent en
équilibre au milieu, à la manière d’un jeu de bascule en équilibre sur son
pivot. Il existe évidemment des facteurs perturbateurs dans la nature qui vont
faire que chaque molécule, ou que ce faisceau, va basculer soit dans un sens,
soit dans l’autre. Si les molécules partent dans un sens, la substance sera
magnétique ; si elles partent dans l’autre, elle ne le sera pas. Mais dans les
deux cas il y a stabilité, tout comme c’est le cas dans le faisceau creux, et
cela est dû au fait que le liquide se précipite vers la partie la plus basse. Ce
qu’il y a d’extraordinaire, c’est que les molécules de toutes les substances
connues partent dans une direction, tandis que celles du fer partent dans
l’autre. Il semble que ce métal ait une origine tout à fait différente de celle
des autres sur cette terre. Il est peu vraisemblable que l’on découvrira quelque
autre matériau meilleur marché, susceptible de rivaliser ou de surpasser le fer
quant à ses qualités magnétiques.
À moins que nous ne nous mettions à utiliser un courant électrique aux
caractéristiques radicalement différentes, le fer nous restera indispensable.
Pourtant, les avantages qui y sont liés ne sont qu’apparents. Aussi longtemps
que nous utilisons des forces magnétiques faibles, il sera de loin supérieur à
tout autre matériau ; mais si nous trouvons des moyens de produire des forces
magnétiques plus importantes, on obtiendra de meilleurs résultats sans lui. En
fait, j’ai déjà construit des transformateurs électriques dans lesquels je
n’utilise pas de fer et qui sont capables de faire dix fois plus de travail par
livre que ceux qui contiennent du fer. J’ai obtenu ces résultats en utilisant
des courants électriques de vibration très élevée, produits par une nouvelle
méthode, à la place des courants ordinaires utilisés actuellement dans
l’industrie. J’ai également réussi à faire marcher des moteurs électriques sans
fer avec ces courants à haute vibration, mais jusqu’ici, les résultats ont été
inférieurs à ceux obtenus avec les moteurs habituels contenant du fer, bien
qu’en théorie, les premiers dussent être capables de faire beaucoup plus de
travail par unité de poids que les derniers. Toutefois, les difficultés
apparemment insurmontables, qui font obstacle aujourd’hui, pourraient finalement
être surmontées, ce qui marquera la fin de l’utilisation du fer ; toutes les
machines électriques seront alors construites en aluminium et, selon toute
probabilité, à un prix ridiculement bas. Ce serait un coup sévère, voire fatal,
pour le fer. Dans d’autres branches de l’industrie, telle la construction navale
et dans tous les domaines où les structures doivent être le plus léger possible,
le progrès de ce métal sera plus rapide. Comme il convient parfaitement pour ce
type de construction, il est certain qu’il va supplanter le fer tôt ou tard. Il
est fort probable qu’au fil du temps, nous serons capables de lui donner
beaucoup de ces qualités qui font du fer un matériau de valeur.
Bien qu’il soit impossible de dire quand cette révolution industrielle aura
lieu, il ne fait aucun doute que le futur appartient à l’aluminium et qu’il
deviendra le facteur essentiel dans l’augmentation de la productivité de
l’humanité. Dans ce domaine, il a des capacités bien supérieures à celles de
tout autre métal. J’estime son potentiel économique à plus de cent fois celui du
fer. Bien qu’elle soit surprenante, cette estimation n’est pas exagérée. Tout
d’abord, il faut se rappeler que le stock d’aluminium disponible est trente fois
supérieur à celui du fer, ce qui, en soi, offre de grandes possibilités. Par
ailleurs, je le répète, ce métal est beaucoup plus maniable que le fer, ce qui
augmente sa valeur. Bon nombre de ses caractéristiques le rapprochent d’un métal
précieux, ce qui lui donne encore plus de prix. Sa conductivité électrique à
elle seule, qui est, pour un poids donné, supérieure à celle de tout autre
métal, suffirait pour qu’il soit considéré comme un des plus importants facteurs
de progrès de l’humanité. Comme il est extrêmement léger, le transport des
objets manufacturés demande beaucoup moins d’efforts. En vertu de cette
propriété, il va faire la révolution dans la construction navale et comme il va
faciliter les transports et les déplacements, il va contribuer à augmenter
sérieusement la productivité de l’humanité. Toutefois, je crois que son plus
grand potentiel économique se situera dans le domaine de l’aéronautique, car il
contribuera grandement à son avènement. Les instruments télégraphiques vont,
petit à petit, aider au développement des hommes les moins civilisés. Les
moteurs électriques et les ampoules le feront encore plus vite, cependant, les
plus grands progrès seront réalisés dans l’aviation. Les voyages vont devenir de
plus en plus faciles et ils vont être le meilleur moyen de réunir les éléments
hétérogènes de l’humanité. Nous devons, comme première étape vers ce but,
construire un accumulateur plus léger ou obtenir plus d’énergie à partir du
charbon.
- Les progrès réalisés ces dernières années sur la qualité du fer ne nous
-
- Travaux visant à obtenir plus d’énergie à partir du
charbon - La transmission de l’électricité - Le moteur à gaz - La pile à charbon
froid (soit une pile à combustible à oxydation lente).-
- Je me souviens d’un temps où je considérais la production d’électricité à
partir de la combustion de charbon dans une pile, comme la meilleure
contribution pour faire avancer l’humanité, et je suis surpris de constater
combien mon point de vue a été modifié à mesure que j’avançais dans mes travaux
dans ce domaine. Il me semble aujourd’hui que le fait de faire brûler du charbon
dans une pile - avec plus ou moins d’efficacité - n’est qu’un simple expédient,
une étape dans l’évolution vers quelque chose de plus parfait. Après tout, en
générant de l’électricité par ce moyen, nous détruisons de la matière, ce qui
est un procédé barbare. Nous devrions être capables d’obtenir de l’énergie sans
brûler de matière première. Toutefois, je suis loin de sous-estimer la valeur
d’une telle méthode de combustion. Aujourd’hui, la plupart de l’énergie motrice
vient du charbon et, soit directement, soit par ses sous-produits, il intensifie
énormément l’énergie de l’humanité. Malheureusement, dans tous les procédés
utilisés de nos jours, la majeure partie de l’énergie du combustible est
dissipée inutilement. Les meilleures machines à vapeur n’utilisent qu’une petite
fraction de l’énergie totale. Même dans les moteurs à gaz avec lesquels on peut
obtenir de meilleurs résultats - surtout avec les derniers modèles -, il y a
toujours un gaspillage barbare. Dans nos systèmes d’éclairage électrique, nous
n’utilisons que 0,33 % de toute l’énergie du combustible, et encore moins dans
l’éclairage au gaz. Dans nos diverses utilisations du charbon sur la planète,
nous n’utilisons, tout bien considéré, certainement pas plus de 2% de toute
l’énergie disponible en théorie. Celui qui arrivera à mettre un terme à ce
gaspillage fou serait un grand bienfaiteur de l’humanité, bien que la solution
qu’il apportera ne puisse pas être permanente, car elle conduirait finalement à
l’épuisement des stocks de la matière première. Des efforts sont entrepris,
principalement dans deux directions, afin d’obtenir plus d’énergie à partir du
charbon, à savoir dans la production d’électricité et celle de gaz comme
énergies motrices. Des succès notoires ont déjà été enregistrés dans ces deux
domaines.
L’arrivée des systèmes à courant alternatif pour la transmission de
l’électricité, marque le début d’une époque où l’énergie du charbon disponible
pour l’humanité devient plus économique. Évidemment, toute l’énergie obtenue à
partir de chutes d’eau permet d’économiser autant de combustible et profite à
l’humanité, et est d’autant plus rentable qu’elle ne demande que peu d’efforts
de la part de l’homme ; dans la mesure où ce procédé est le plus parfait de tous
ceux que l’on connaisse pour exploiter l’énergie solaire, il contribue de bien
des façons, à l’avancement de la civilisation. En outre, l’électricité nous
permet d’extraire beaucoup plus d’énergie du charbon que par le passé. Au lieu
de transporter le charbon vers de lointaines destinations de consommation, nous
le brûlons près des mines, produisons de l’électricité dans les dynamos et
envoyons le courant vers les villes lointaines : donc nous faisons de sérieuses
économies. Au lieu de faire fonctionner les machines à l’usine, selon la vieille
manière peu économique avec courroies et arbres, nous produisons de
l’électricité avec la vapeur et faisons marcher des moteurs électriques. C’est
ainsi qu’il n’est pas rare d’obtenir deux à trois fois plus d’énergie motrice
effective à partir du combustible, en plus de nombreux autres avantages
importants. C’est dans ce domaine, ainsi que dans celui de la transmission
d’énergie sur de grandes distances, que le système alternatif, avec sa mécanique
idéalement simple, va entraîner une révolution dans l’industrie. Toutefois, ces
progrès n’ont pas encore été ressentis dans beaucoup de domaines. Par exemple,
dans les bateaux à vapeur et les trains, les arbres et essieux sont toujours
actionnés par la puissance de la vapeur. Un plus grand pourcentage de l’énergie
thermique du charbon pourrait être transformé en énergie motrice en utilisant, à
la place des machines navales et des locomotives actuelles, des dynamos
actionnées par des machines à gaz ou à vapeur de haute pression spécialement
conçues, et en utilisant l’électricité obtenue pour la propulsion. De cette
manière, on pourrait obtenir entre 50% et 100% de plus d’énergie effective à
partir du charbon. On a du mal à comprendre pourquoi les ingénieurs n’accordent
pas plus d’attention à un fait aussi simple et évident. Ce type d’amélioration
serait particulièrement bénéfique aux bateaux à vapeur au long cours, car elle
supprimerait le bruit et augmenterait leur vitesse et leur tonnage.
Le rendement énergétique du charbon a été encore amélioré grâce aux derniers
moteurs à gaz plus perfectionnés qui, en moyenne, produisent deux fois plus
d’énergie que les meilleurs moteurs à vapeur. L’introduction des moteurs à gaz
est facilitée par l’importance de l’industrie du gaz. Comme l’utilisation de la
lumière électrique augmente, on utilise de plus en plus le gaz pour obtenir de
l’énergie thermique et motrice. Le gaz est très souvent fabriqué près des mines
de charbon et envoyé vers les lieux de consommation lointains, ce qui permet de
réaliser des économies à la fois sur les frais de transport et sur l’utilisation
de l’énergie du combustible. Les conditions actuelles en mécanique et en
électrotechnique font que la manière la plus sensée de produire de l’énergie à
partir du charbon est, bien sûr, de fabriquer le gaz près du gisement de charbon
et de l’utiliser, soit sur place, soit à distance, afin de produire de
l’électricité pour l’industrie avec des dynamos actionnées par des moteurs à
gaz. Le succès commercial d’une telle installation est largement fonction de la
construction de moteurs à gaz à grande puissance nominale de CV qui, à en juger
par les gros efforts fournis dans ce domaine, ne tarderont pas à envahir le
marché. Au lieu d’utiliser directement le charbon, comme à l’accoutumée, le gaz
sera fabriqué à partir de lui et brûlé pour économiser de l’énergie.
Néanmoins, toutes ces améliorations ne seront que des étapes intermédiaires dans
l’évolution vers quelque chose de plus parfait car, finalement, nous devrons
réussir à obtenir de l’électricité à partir du charbon d’une manière plus
directe, sans perdre beaucoup de son énergie thermique. On ne sait toujours pas
si le charbon peut être oxydé par un processus froid. Sa combinaison avec
l’oxygène produit invariablement de la chaleur et la question de savoir si
l’énergie de cette combinaison du carbone avec un autre élément peut être
transformée directement en énergie électrique, reste ouverte. Sous certaines
conditions, l’acide nitrique brûle le carbone en générant de l’électricité, mais
la solution ne reste pas froide. D’autres moyens pour oxyder le charbon ont été
proposés, toutefois, ils ne garantissent pas d’aboutir à un procédé efficace.
Moi-même ai complètement échoué dans ce domaine, mais peut-être moins que
certains qui ont "perfectionné" la pile à charbon froid. C’est au chimiste de
résoudre ce problème, et non au physicien, car celui-ci détermine à l’avance
tous ses résultats, de manière que lorsqu’il en vient aux expérimentations, il
ne peut que réussir. En chimie, bien que ce soit une science exacte, les
méthodes sûres, comme celles qui sont disponibles en physique et qui permettent
de résoudre de nombreux problèmes, n’existent pas. Dans ce domaine, les
résultats s’obtiennent plus après des expérimentations menées avec patience, que
par déduction ou calcul. Toutefois, le temps est proche où le chimiste pourra
suivre clairement une voie soigneusement tracée à l’avance et où la méthode, qui
lui permettra d’arriver aux résultats désirés, sera purement déductive. La pile
à charbon froid (soit à combustible à oxydation lente), est susceptible de
donner une grosse impulsion au développement d’appareils électriques ; elle
pourrait conduire en peu de temps à la construction d’avions d’utilisation plus
pratique et favoriser énormément l’avènement de l’automobile. Néanmoins, tous
ces problèmes et bien d’autres seraient mieux réglés - et de manière plus
scientifique - avec un accumulateur léger.
- Je me souviens d’un temps où je considérais la production d’électricité à
-
- L’énergie du milieu - Le moulin-à-vent et le moteur
solaire - L’énergie motrice extraite de la chaleur terrestre - L’électricité
issue de sources naturelles.-
- En plus des combustibles, il existe beaucoup d’autres matières dont nous
pourrions tirer de l’énergie. Par exemple, une immense quantité d’énergie est
emprisonnée dans le calcaire et on pourrait faire marcher des moteurs, si on
libérait l’acide carbonique avec de l’acide sulfurique ou d’une autre manière.
J’ai déjà construit un tel moteur et il a fonctionné de manière très
satisfaisante.
Toutefois, quelles que soient les sources d’énergie primaires dont nous allons
nous servir à l’avenir, si nous voulons être rationnels, il faudra chercher à la
produire sans brûler de matière première. Il y a longtemps que je suis arrivé à
cette conclusion, et pour obtenir ce résultat, seules deux possibilités
s’offrent à nous, comme je l’ai déjà dit plus haut : soit exploiter l’énergie
solaire existant dans le milieu environnant, soit transmettre cette énergie
solaire à distance et à travers ce milieu, depuis un endroit où elle aura pu
être obtenue sans brûler de matière première. À cette époque, j’ai tout de suite
rejeté la deuxième solution puisqu’elle est totalement inconcevable dans la
pratique, et je me suis mis à étudier les possibilités de la première.
Bien que ce soit difficile à croire, il est néanmoins un fait que l’homme,
depuis des temps immémoriaux, disposait d’un assez bon appareil qui lui
permettait d’utiliser l’énergie du milieu environnant : c’est le moulin-à-vent.
Contrairement aux idées reçues, le vent peut fournir une énergie très
considérable. Toute une série d’inventeurs, en proie à des illusions, ont passé
des années de leur vie à chercher à "exploiter les marées", et certains ont même
proposé de comprimer l’air avec l’énergie du flux et du reflux pour en obtenir
de l’énergie, sans jamais comprendre les signes que leur faisait le vieux
moulin-à-vent sur la colline, alors qu’il agitait tristement ses bras en les
priant de s’arrêter. Le fait est qu’un moteur actionné par de l’énergie
marémotrice aurait, en règle générale, une bien petite chance de rivaliser
commercialement avec le moulin-à-vent qui est, de loin, le meilleur appareil,
puisqu’il permet d’obtenir beaucoup plus d’énergie d’une manière bien plus
simple. Autrefois, l’énergie éolienne avait une valeur inestimable pour les
hommes, ne serait-ce que parce qu’elle leur permettait de traverser les mers et
les océans ; aujourd’hui, elle joue toujours un rôle très important dans les
voyages et les transports. Cependant, cette méthode idéalement simple
d’exploitation de l’énergie solaire connaît de sérieuses limites. Les appareils
sont gros par rapport à un rendement donné, et l’énergie est produite par
intermittence, ce qui nécessite son stockage et augmente les frais de
l’installation.
Toutefois, une autre manière plus intéressante pour obtenir de l’énergie, est
l’exploitation de l’énergie des rayons solaires qui, sans cesse, viennent
frapper la Terre, et dont la puissance énergétique dépasse les quatre millions
de CV par 2,5 km2. Bien que l’énergie moyenne, reçue où que ce soit chaque année
par km2, ne soit qu’une petite fraction de cette somme globale, nous
disposerions d’une source d’énergie inépuisable, si nous pouvions découvrir une
méthode efficace pour utiliser l’énergie des rayons. Le seul moyen rationnel que
je connaissais, alors que j’entamai mes investigations dans ce domaine, était
d’utiliser un type de moteur thermique ou thermodynamique, actionné par un
fluide volatil s’évaporant dans une chaudière sous la chaleur des rayons
solaires. Cependant, mes recherches plus approfondies et mes calculs ont montré
que, malgré la très grosse quantité d’énergie apparemment reçue des rayons
solaires, cette méthode ne permettait d’utiliser en pratique qu’une infime
partie de cette énergie. Par ailleurs, l’énergie fournie par le rayonnement
solaire est irrégulière et j’ai rencontré le même type de limitations qu’avec
l’utilisation du moulin-à-vent. Après avoir longuement étudié ce mode de
production d’énergie motrice à partir du soleil et compte tenu de la nécessité
d’une chaudière de gros volume, du faible rendement de la machine thermique, des
coûts supplémentaires pour stocker l’énergie et d’autres inconvénients, je suis
arrivé à la conclusion que le "moteur solaire", dans la majeure partie des cas,
ne pouvait pas être exploité à l’échelle industrielle avec succès.
Une autre manière d’obtenir de l’énergie motrice à partir du milieu sans avoir à
brûler de matière première, serait d’utiliser la chaleur emmagasinée dans la
terre, l’eau ou l’air pour faire marcher un moteur. Tout le monde sait que les
profondeurs du globe sont très chaudes ; les observations ont montré que la
température augmente d’1° C tous les 30 m. Il n’est pas inconcevable de pouvoir
surmonter les difficultés à creuser des puits et de mettre en place des
chaudières à une profondeur de quelque 3650 mètres - ce qui correspond à une
augmentation de la température d’environ 120° C - et nous pourrions certainement
exploiter la chaleur interne du globe terrestre. En fait, il ne serait même pas
nécessaire de creuser en profondeur pour utiliser la chaleur emmagasinée. Les
couches supérieures de la terre et les couches d’air qui se trouvent juste
au-dessus, ont une température suffisamment élevée pour pouvoir libérer
certaines substances extrêmement volatiles, qui pourraient remplacer l’eau dans
nos chaudières. Il ne fait aucun doute qu’un bateau puisse avancer sur l’océan
grâce à un moteur actionné par ce type de fluide volatil, sans aucune autre
énergie si ce n’est la chaleur extraite de l’eau. Toutefois, la puissance
obtenue par ce procédé serait très faible, à moins de prendre des mesures
complémentaires.
L’électricité produite par des phénomènes naturels est une autre source
d’énergie exploitable. Les éclairs contiennent d’énormes quantités
d’électricité, susceptible d’être transformée et stockée pour une utilisation
future. Il y a quelques années, j’ai publié une méthode de transformation de
l’électricité qui faciliterait la première étape de ce travail ; cependant, il
sera plus difficile de stocker l’énergie des décharges des éclairs. En outre, il
est connu que des courants électriques circulent constamment à travers la terre
et qu’il existe, entre la terre et l’air, une différence de tension électrique
qui varie en fonction de l’altitude.
À ce propos, j’ai découvert, lors d’expérimentations récentes, deux nouveaux
faits très importants. Premièrement, le mouvement axial de la Terre et
probablement aussi son mouvement de translation, génèrent de l’électricité dans
un fil qui part du sol et qui monte très haut dans les airs. Toutefois, la
quantité d’électricité qui passe continuellement dans ce fil reste minime, tant
que l’électricité ne peut pas s’écouler dans l’air. Cet écoulement sera
grandement facilité si on place, au sommet du fil, un terminal conducteur de
grande surface et comportant beaucoup d’arêtes acérées ou des pointes. Nous
pouvons donc obtenir de l’électricité de manière continue avec un simple fil qui
s’élance dans les airs, mais malheureusement, en faible quantité.
Deuxièmement, les couches supérieures de l’atmosphère sont continuellement
chargées d’électricité dont la polarité est à l’inverse de celle de la Terre.
C’est du moins ainsi que j’ai interprété mes observations, et il semblerait que
la Terre, avec son enveloppe isolante et conductrice, constitue un condensateur
électrique de grande charge contenant, probablement, une grande quantité
d’énergie électrique qui pourrait être mise au service de l’humanité si on
pouvait l’atteindre avec un fil qui monte très haut dans les airs.
Il est possible, voire probable, que d’autres sources d’énergie seront
découvertes au fil du temps, dont nous n’avons aujourd’hui aucune idée. Nous
pourrions même trouver des méthodes de mise en application de forces comme le
magnétisme ou la gravité, pour actionner des machines sans utiliser d’autres
moyens. De tels exploits, bien que très improbables, ne sont pas impossibles. Je
vais citer un exemple pour donner une parfaite idée de ce que nous pourrions
espérer, mais que nous n’atteindrons jamais. Imaginons un disque constitué d’un
quelconque matériau homogène qui tourne, en équilibre parfait et sans
frottement, sur un axe horizontal au-dessus du sol. Dans de telles conditions,
ce disque peut s’arrêter dans n’importe quelle position. Il se pourrait que l’on
découvre comment faire tourner un tel disque de manière continue et lui faire
faire un travail grâce à la force de gravité, sans aucune autre intervention de
notre part. Toutefois, il est impossible que ce disque tourne tout seul et
travaille sans l’intervention d’une force extérieure. Car si c’était possible,
nous aurions affaire à ce que l’on appelle scientifiquement un "perpetuum
mobile", une machine créant sa propre force motrice. Pour faire tourner ce
disque par la force de gravité, il suffit d’inventer un écran contre cette
force. Un tel écran empêcherait cette force d’agir sur une moitié du disque, qui
alors se mettrait à tourner. Nous ne pouvons pas renier cette possibilité, du
moins pas avant de connaître la nature exacte de la force de gravité. Supposons
que cette force soit due à un mouvement comparable à celui d’un courant d’air
venant du haut et se dirigeant vers le centre de la Terre. L’impact d’un tel
courant sur les deux moitiés du disque serait identique et c’est pourquoi,
normalement, le disque ne se mettrait pas à tourner ; mais si une moitié était
protégée par une plaque qui arrête le mouvement, alors il tournerait.
- En plus des combustibles, il existe beaucoup d’autres matières dont nous
-
- L’abandon des méthodes connues - Les possibilités
d’un moteur ou d’une machine "automatique", inanimé, et néanmoins capable, telle
une créature vivante, de puiser de l’énergie dans le milieu - La méthode de
production idéale d’une force motrice.-
- Au début de mes recherches à ce sujet et lorsque les concepts que je viens
de citer ou d’autres analogues se présentèrent à mon esprit pour la première
fois, et bien que j’ignorasse un certain nombres de faits que j’ai cités
ci-dessus, l’étude des différents moyens d’utiliser l’énergie ambiante m’a
néanmoins convaincu qu’il fallait abandonner radicalement les méthodes alors
connues, si on voulait arriver à une solution pratique parfaitement
satisfaisante. Le moulin-à-vent, le moteur solaire, la machine actionnée par la
chaleur terrestre ne permettaient d’obtenir qu’une énergie en quantité très
limitée. Il fallait découvrir un autre moyen qui permettrait d’obtenir plus
d’énergie. Il y a suffisamment d’énergie thermique dans le milieu, toutefois,
les méthodes alors connues ne permettaient que d’en extraire une petite quantité
pour alimenter un moteur. Par ailleurs, le débit de l’énergie était très faible.
En d’autres termes, le problème était de découvrir quelque nouvelle technique
qui permettrait à la fois d’utiliser plus d’énergie thermique du milieu et de
l’en extraire plus vite.
J’essayais vainement d’imaginer comment atteindre ces objectifs, lorsque je
tombai sur certaines déclarations de Carnot et de Lord Kelvin (qui, à l’époque,
s’appelait toujours Sir William Thomson) qui disaient qu’il fût pratiquement
impossible à un mécanisme inanimé ou à une machine automatique de faire
descendre la température d’une partie de l’air en dessous de celle du milieu
environnant, et de fonctionner avec la chaleur récupérée. Ces affirmations
m’intéressèrent au plus haut point. Une créature vivante pouvait, de toute
évidence, réaliser ces choses-là, et comme mes expériences passées m’ont
convaincu qu’une créature vivante n’est pas autre chose qu’un automate ou, en
d’autres termes, une "machine automatique", j’en conclus qu’il était possible de
construire une machine qui agirait pareillement. Je conçus donc le mécanisme
suivant, comme première étape pour atteindre cet objectif. Imaginons une
thermopile constituée d’un certain nombre de tiges de métal qui, posée sur le
sol atteindrait l’espace, au-delà de l’atmosphère. La chaleur d’en bas véhiculée
vers le haut par ces tiges de métal, refroidirait la terre, les mers ou les
airs, selon l’emplacement de la partie inférieure des tiges, avec comme résultat
bien connu, la génération d’un courant électrique circulant dans ces tiges. Les
deux terminaux de la thermopile pourraient alors être reliés par un moteur
électrique qui, en théorie, devrait pouvoir fonctionner sans cesse, jusqu’à ce
que le milieu en bas refroidisse au point d’atteindre la température de celle de
l’espace. Nous aurions donc un moteur inanimé qui, de toute évidence, serait
capable de refroidir une partie du milieu jusqu’en dessous de la température
ambiante et de fonctionner avec la chaleur récupérée.
Toutefois, serait-il possible d’obtenir des conditions similaires sans devoir
monter aussi haut ? Imaginons, pour les besoins de la cause, une enceinte T,
illustrée dans le diagramme B, dans laquelle l’énergie pourrait uniquement
circuler à travers un canal O, et que, d’une manière ou d’une autre, il y ait à
l’intérieur de cette enceinte un milieu possédant très peu d’énergie, tandis
qu’elle baigne dans le milieu ambiant ordinaire ayant beaucoup d’énergie. Dans
de telles conditions, l’énergie passera par le canal O, tel que l’indique la
flèche, et elle sera convertie en une autre sorte d’énergie. La question était
de savoir si de telles conditions pouvaient être obtenues ? Pourrions-nous
produire artificiellement une telle "dépression" dans laquelle l’énergie du
milieu environnant pourrait s’écouler ? Supposons que l’on puisse maintenir une
température extrêmement basse, par un procédé quelconque, dans un espace donné ;
le milieu environnant serait alors appelé à libérer de la chaleur qui pourrait
être convertie en énergie mécanique ou autre, puis utilisée. Si nous pouvions
mettre ce concept en application, nous pourrions obtenir de l’énergie de façon
continue, en tout point du globe, nuit et jour. En outre, dans l’abstrait, il
semblerait possible de créer une compensation rapide de la perturbation du
milieu et donc de puiser très rapidement de l’énergie.
Voici donc un concept qui, s’il était réalisable, offrirait une solution
heureuse au problème de l’extraction de l’énergie du milieu. Mais l’est-il
vraiment ? J’étais convaincu qu’il le fût, d’une manière ou d’une autre, et
voici l’une d’entre elles. Imaginons que nous nous trouvions à une altitude - ou
niveau - élevée, ce qui peut être représenté par la surface d’un lac de
montagne, très haut au-dessus du niveau de la mer ; ce niveau représente le zéro
absolu de la température dans l’espace interstellaire. La chaleur s’écoule avec
l’eau du niveau supérieur à un niveau inférieur et, partant, si nous pouvons
laisser s’écouler l’eau du lac jusque vers la mer, nous pouvons aussi laisser
monter la chaleur de la surface de la Terre jusque dans les régions froides
supérieures. La chaleur, tout comme l’eau, peut faire un travail en s’écoulant
vers le bas, et si nous doutions tout à l’heure de pouvoir obtenir de l’énergie
du milieu avec une thermopile, l’analogie que voilà va dissiper tout doute.
Toutefois, pouvons-nous refroidir un espace donné et faire couler en permanence
de la chaleur à l’intérieur ? Pour créer une telle "dépression" ou "trou froid",
pour ainsi dire, dans le milieu, cela reviendrait à créer dans le lac un espace
soit vide, soit rempli d’une substance beaucoup plus légère que l’eau. C’est ce
que l’on obtiendrait en plaçant une cuve dans le lac et en pompant toute l’eau
de cette dernière. Nous savons que, si ensuite - on fait retourner l’eau dans la cuve, elle serait capable de faire
exactement la même quantité de travail que celle qui fut nécessaire pour le
pompage, mais rien de plus. Par conséquent, cette double opération qui consiste
d’abord à faire sortir l’eau, puis à la laisser retomber, n’offre aucun
avantage. Cela voudrait donc dire qu’il est impossible de créer une telle
dépression dans le milieu. Mais réfléchissons un instant. La chaleur, bien que
respectant certaines lois générales de la mécanique, comme tout fluide, ne se
comporte pas comme un fluide ; c’est de l’énergie qui peut être transformée en
d’autres formes d’énergie, à mesure qu’elle passe d’un niveau supérieur à un
niveau inférieur. Pour que notre analogie mécanique soit correcte et complète,
nous devons donc partir du principe que l’eau, lors de son passage dans la cuve,
est convertie en quelque chose d’autre que nous pourrions extraire sans utiliser
d’énergie, ou alors très peu. Par exemple, si la chaleur est représentée dans
cette analogie par l’eau du lac, l’oxygène et l’hydrogène qui composent l’eau
peuvent illustrer les autres formes d’énergie par lesquelles passe la chaleur
quand elle passe du chaud vers le froid. Si ce processus de transformation de la
chaleur était absolument parfait, aucune chaleur n’arriverait au niveau
inférieur, puisqu’elle serait entièrement transformée en d’autres formes
d’énergie. Donc selon ce cas idéal, toute l’eau qui rentrerait dans la cuve
serait décomposée en oxygène et hydrogène avant d’atteindre le fond de la cuve,
avec comme résultat, que l’eau ne cesserait de couler dans la cuve qui, elle,
resterait toujours vide, puisque les gaz formés s’en seraient échappés. Nous
pourrions donc produire - moyennant initialement un certain travail pour créer
la dépression afin que la chaleur ou, en l’occurrence, l’eau puisse y entrer -
des conditions qui nous permettent d’obtenir n’importe quelle quantité d’énergie
sans aucun autre travail. Ce serait une méthode idéale pour obtenir de l’énergie
motrice. Nous ne connaissons aucun processus de conversion de chaleur aussi
parfait dans l’absolu, et par conséquent, un peu de chaleur va toujours finir
par atteindre le niveau inférieur, ce qui revient à dire que, dans notre
analogie mécanique, un peu d’eau va arriver au fond de la cuve, qui va se
remplir petit à petit, et qu’il va falloir pomper continuellement. Mais bien
évidemment, la quantité d’eau à pomper sera plus faible que celle qui y entre
ou, en d’autres termes, l’énergie nécessaire à maintenir les conditions
initiales sera moindre que celle qui est produite par la chute de l’eau, ce qui
signifie qu’une certaine énergie pourra être récoltée du milieu. Ce qui n’est
pas converti en coulant vers le bas peut être remonté avec sa propre énergie, et
ce qui est converti est pur bénéfice. Donc l’efficacité du principe que j’ai
découvert est uniquement fonction de la conversion de l’énergie dans son
écoulement vers le bas.
- Au début de mes recherches à ce sujet et lorsque les concepts que je viens
-
- Premiers efforts pour construire un moteur
automatique - L’oscillateur mécanique - Les travaux de Dewar et Linde - L’air
liquide.-
- Fort de cette découverte, je commençai à imaginer des moyens pour réaliser
mes plans et, après de longues réflexions, j’ai finalement conçu un ensemble
d’appareils qui devaient permettre d’obtenir de l’énergie du milieu par un
processus de refroidissement permanent de l’atmosphère. Ce dispositif, en
transformant en permanence la chaleur en travail mécanique, devenait de plus en
plus froid et, s’il était possible d’atteindre une température très basse de
cette manière, alors il devenait possible de produire une dépression pour cette
chaleur et d’extraire de l’énergie du milieu. Ceci semblait en contradiction
avec les affirmations de Carnot et de Lord Kelvin, que j’ai cités plus haut ;
toutefois, la théorie de ce procédé me fit penser que ce résultat pouvait être
atteint. Je crois que je suis arrivé à cette conclusion à la fin de 1883, alors
que j’étais à Paris ; c’était à une époque où mon esprit était obnubilé par une
invention que j’avais développée l’année précédente et qui, depuis, a été connue
sous le nom de "champ magnétique en rotation". Durant les années suivantes, j’ai
continué à perfectionner le projet que j’avais imaginé et à étudier ses
conditions de fonctionnement, sans faire de grands progrès toutefois.
L’introduction commerciale de l’invention que je viens de citer dans ce pays,
m’a réclamé un très gros investissement personnel jusqu’en 1889, l’année où je
repris l’idée du moteur automatique. Contrairement à ce que je croyais
initialement, l’étude des principes impliqués et mes calculs me montrèrent que
je ne pouvais pas arriver au résultat escompté dans la pratique avec les
appareils classiques. Cela me conduisit, dans un deuxième temps, à l’étude d’un
type de moteur appelé généralement "turbine" qui, de prime abord, semblait
offrir les meilleures chances pour réaliser mon idée. Toutefois, j’eus vite fait
de découvrir que la turbine non plus ne convenait pas. Mes conclusions me
montrèrent cependant que si un moteur pouvait être amené à un haut degré de
perfection, le plan, tel que je l’avais conçu, devenait réalisable, et je
décidai de développer ce type de moteur, dont l’objectif principal était de
transformer la chaleur en énergie mécanique avec le moins de perte possible. Une
propriété caractéristique de ce moteur était que le piston, qui devait faire le
travail, n’était relié à rien d’autre et qu’il était parfaitement libre de
vibrer à une vitesse énorme. Les difficultés mécaniques que je rencontrai dans
la construction de ce moteur étaient plus grandes que je ne l’avais imaginé, et
les progrès furent lents. Je continuai mes travaux jusqu’au début de 1892, date
à laquelle je me rendis à Londres pour assister aux expériences admirables du
professeur Dewar avec des gaz liquéfiés. D’autres avaient déjà liquéfié des gaz,
et notamment Ozlewski et Pictet avaient mené des expériences remarquables dans
ce domaine ; cependant, il y avait une vigueur dans le travail de Dewar qui
tenait du prodige. Ses expériences montrèrent, quoique d’une manière différente
de celle que j’avais envisagée, qu’il était possible d’atteindre de très basses
températures en transformant la chaleur en énergie mécanique et je m’en
retournai, très impressionné par ce que j’avais vu, et convaincu plus que jamais
que mon plan était réalisable. Je repris à zéro les travaux que j’avais
temporairement abandonnés et je finis bientôt par développer un moteur d’un haut
degré de perfection, que j’appelai "l’oscillateur mécanique". Dans cet appareil,
je réussis à me passer des garnitures, des soupapes et de tout graissage, et à
produire une vibration du piston tellement rapide que les arbres en acier très
résistant, qui y étaient rattachés et qui vibraient longitudinalement, se
déchirèrent en deux. En combinant ce moteur avec une dynamo d’un design spécial,
j’obtins un générateur électrique très efficace qui, grâce à la vitesse
d’oscillation invariable qu’il permettait d’atteindre, était d’une valeur
inestimable pour mesurer et déterminer les propriétés physiques. J’ai exposé
différents types de ce moteur appelé "oscillateur électrique et mécanique" au
Congrès Électrotechnique à l’exposition universelle de Chicago durant l’été
1893, lors d’une conférence dont je n’ai jamais publié le contenu, ayant été
débordé par d’autres obligations professionnelles. À cette occasion, j’ai exposé
les principes de l’oscillateur mécanique, toutefois, les fonctions originelles
de cet appareil sont publiées ici, pour la première fois.
Tel que je l’avais conçu initialement, il y avait, dans ce processus
d’utilisation de l’énergie du milieu, une combinaison de cinq éléments
essentiels et chacun d’eux dut être étudié et développé, car il n’existait aucun
appareil de ce type. L’oscillateur mécanique était le premier élément de cet
ensemble et lorsque je l’eus perfectionné, je commençai à travailler au
deuxième, qui était un compresseur à air, dont le design ressemblait à certains
égards à celui de l’oscillateur mécanique. Je rencontrai des difficultés
similaires lors de leur construction ; je m’acharnai néanmoins dans mon travail
et, vers 1894, ces deux éléments de l’ensemble étaient fin prêts. J’avais ainsi
obtenu un appareil pour comprimer l’air, pratiquement à n’importe quelle
pression, un dispositif incomparable avec les appareils ordinaires, car beaucoup
plus simple, plus petit et plus efficace. Je venais d’entamer les travaux du
troisième élément qui, en association avec les deux premiers, devait donner une
machine de réfrigération d’une simplicité et d’une efficacité exceptionnelles,
lorsque par malheur mon laboratoire fut détruit par un incendie, ce qui paralysa
mes travaux et me fit prendre du retard. Peu de temps après, le Dr Carl Linde
annonça la liquéfaction de l’air par un procédé d’auto-refroidissement,
démontrant qu’il était possible de procéder au refroidissement de l’air jusqu’à
ce qu’il devienne liquide. C’était exactement la seule preuve expérimentale dont
j’avais encore besoin pour montrer que l’on pouvait obtenir de l’énergie à
partir du milieu, de la manière dont je l’avais envisagé.
La liquéfaction de l’air obtenue par auto-refroidissement ne fut pas, comme cela
fut dit, une découverte accidentelle, mais un résultat scientifique que l’on ne
pouvait plus cacher plus longtemps et qui, selon toute vraisemblance, n’a pas pu
échapper à Dewar. Je pense que cette avancée fascinante est largement due aux
travaux extraordinaires de ce grand Écossais. Malgré tout, l’œuvre de Linde est
restée légendaire. La production de l’air liquide a été menée pendant quatre ans
en Allemagne, à une échelle beaucoup plus importante que dans tout autre pays et
cet étrange produit a été utilisé dans des buts variés. On en attendait beaucoup
à l’origine, mais jusqu’à ce jour, son utilisation est restée très modérée dans
le milieu industriel. En utilisant le type d’appareil que je suis en train de
mettre au point, les coûts deviendront probablement largement plus abordables,
toutefois, son succès commercial restera discutable. S’il est utilisé comme
réfrigérant, il n’est pas économique, sa température étant trop basse. Il est
tout aussi coûteux de maintenir un corps à basse température qu’il l’est de le
maintenir à une température très élevée ; il faut du charbon pour que l’air
puisse rester froid. L’air liquide ne peut pas encore rivaliser avec
l’électrolyse dans la fabrication de l’oxygène. Il ne convient pas comme
explosif, parce que sa basse température le rend, encore une fois, peu efficace,
et il est toujours beaucoup trop cher pour servir d’énergie motrice. Il est
cependant intéressant de relever qu’en faisant tourner un moteur à l’air
liquide, on peut gagner une certaine quantité d’énergie à partir de ce moteur
ou, en d’autres termes, à partir du milieu environnant qui maintient la chaleur
du moteur, puisque 200 livres de fonte de fer de ce dernier fournissent une
énergie d’1 CV effectif par heure. Mais ce gain du consommateur est annulé par
une perte égale du producteur.
Ces travaux, pour lesquels je m’investis depuis si longtemps, sont loin d’être
terminés. Il reste à perfectionner un certain nombre de détails mécaniques et à
maîtriser certaines difficultés d’une autre nature, et je ne peux pas espérer
construire un moteur automatique capable de tirer de l’énergie du milieu
environnant avant longtemps, même si toutes mes attentes devaient se
concrétiser. J’ai été victime, dernièrement, de circonstances qui ont retardé
mes travaux ; toutefois, ce délai fut bénéfique pour diverses raisons.
Une de ces raisons est que j’ai eu largement le temps de réfléchir à ce que
pourraient être les applications finales de ce développement. J’ai travaillé
pendant longtemps, parfaitement convaincu que la mise en pratique de cette
technique pour obtenir de l’énergie à partir du soleil, serait d’une valeur
inestimable pour l’industrie ; cependant, mes recherches incessantes dans ce
domaine ont révélé que, bien que mes attentes soient légitimes, elle sera moins
rentable commercialement que je ne le pensais.
- Fort de cette découverte, je commençai à imaginer des moyens pour réaliser
-
- La découverte de propriétés inattendues de
l’atmosphère - Des expériences étranges - Transmission d’électricité à travers
un fil, sans retour - Transmission sans fil à travers la Terre.-
- Une autre raison est que je fus amené à reconnaître que la transmission de
l’électricité, à n’importe quelle distance dans le milieu, était de loin la
meilleure solution au problème de l’exploitation de l’énergie solaire pour le
bien-être de l’humanité. J’ai cru fermement, pendant de nombreuses années, que
ce type de transmission était irréalisable à l’échelle industrielle, toutefois,
je fis une découverte qui m’a fait changer d’avis. J’ai remarqué que sous
certaines conditions, l’atmosphère qui, normalement, est un très bon isolant,
revêt des propriétés conductrices et devient donc capable de transporter
n’importe quelle quantité d’énergie électrique. Néanmoins, il me semblait que la
mise en pratique de cette découverte, soit de transporter de l’électricité sans
fil, comportait des difficultés insurmontables. Il s’agissait de produire et de
gérer des tensions électriques de plusieurs millions de volts ; il fallait
inventer et mettre au point des générateurs d’un nouveau type, capables de
résister à l’énorme stress électrique, et il fallait obtenir une sécurité totale
contre tous les dangers des courants de haute tension dans le système, avant
même de pouvoir concevoir sa mise en pratique. Tout cela demandait beaucoup de
temps et ne pouvait se faire en quelques semaines, mois ou même années. Les
travaux demandaient de la patience et des efforts soutenus et les progrès furent
lents. J’ai toutefois pu obtenir d’autres résultats de valeur au cours de ces
longs travaux, desquels je vais m’efforcer de rendre compte, en énumérant dans
l’ordre les avancées principales qui ont été réalisées .
Bien qu’inattendue, la découverte de la conductivité de l’air ne fut que le
résultat d’expériences que j’avais menées dans un domaine spécifique quelques
années auparavant. Je crois que ce fut en 1889 que des oscillations électriques
excessivement rapides m’ont offert certaines possibilités, qui m’ont déterminé à
concevoir un certain nombre d’appareils spéciaux adaptés à leur étude. La
construction de ces machines fut très difficile en raison des exigences
particulières et demanda énormément de temps et d’efforts ; toutefois mon
travail fut largement récompensé, car il m’a permis d’obtenir plusieurs
résultats tout à fait nouveaux et d’une grande importance. Une des premières
observations que je fis avec ces nouvelles machines, c’est que les oscillations
électriques d’un taux extrêmement élevé, agissent d’une manière extraordinaire
sur l’organisme humain. C’est ainsi que j’ai pu démontrer, par exemple, que de
puissantes décharges électriques de plusieurs centaines de milliers de volts,
qui alors étaient considérées comme mortelles, pouvaient traverser le corps sans
désagrément et sans conséquences préjudiciables. Ces oscillations produisirent
d’autres effets physiologiques spécifiques et, après que je les eus rendus
publics, de très bons médecins s’en emparèrent avec empressement pour les
étudier plus à fond. Ce nouveau domaine s’est montré profitable au-delà de toute
espérance et durant les quelques années qui ont suivi, les développements ont
été tels, qu’il est devenu un département important et légitime en médecine. Ces
oscillations permettent aujourd’hui d’obtenir facilement des résultats qui
auparavant étaient impossibles et elles permettent de faire facilement beaucoup
d’expériences qui, jusqu’ici, étaient du seul domaine du rêve. Je me rappelle
toujours avec délectation comment, il y a neuf ans, j’ai fait passer une
décharge d’une puissante bobine d’induction sur mon corps, pour démontrer à une
assemblée de scientifiques que ces courants électriques aux vibrations très
rapides étaient relativement inoffensifs et je me souviens de l’étonnement de
mon public. Je serais prêt aujourd’hui, avec beaucoup moins d’appréhension qu’à
cette époque, à faire passer sur mon corps toute l’énergie électrique de toutes
les dynamos aujourd’hui en fonctionnement au Niagara, soit entre 40 000 et 50
000 CV. J’ai produit des oscillations électriques d’une intensité telle, que
lorsqu’elles passaient à travers mes bras et mon buste, des fils qui étaient
reliés par mes mains se mirent à fondre et pourtant, je n’en ressentais aucune
gêne. J’ai énergisé avec ces oscillations un circuit, constitué d’épais fils de
cuivre, de manière tellement puissante que des masses de métal et même des
objets, dont la résistance électrique était bien plus grande que celle du tissu
humain, approchés ou placés dans le circuit, s’échauffèrent à une très haute
température et fondirent, souvent avec la violence d’une explosion, et pourtant,
j’ai souvent avancé ma tête dans ce même espace où régnait ce tumulte
terriblement destructeur, sans ressentir quoi que ce soit et sans effets
secondaires préjudiciables.
Par ailleurs, j’ai constaté qu’avec ce type d’oscillations on pouvait produire
de la lumière d’une manière nouvelle et plus économique, ce qui permettait
d’obtenir un système idéal d’éclairage électrique avec des tubes à vide, qui
rendait superflu le remplacement des ampoules ou des filaments incandescents, et
peut-être même l’utilisation de fils à l’intérieur d’un bâtiment. La luminosité
augmente proportionnellement à la vitesse des oscillations et, partant, son
succès commercial dépendra de la production économique de vibrations électriques
de vitesse extrêmement élevée. Dernièrement, j’ai eu beaucoup de succès dans ce
domaine et la mise sur le marché de ce nouveau système d’éclairage ne saurait
tarder.
Mes recherches m’ont conduit à de nombreux autres observations et résultats
notoires, dont l’un des plus importants fut la démonstration de la faisabilité
d’alimenter en énergie électrique un fil, sans retour. Au début, je pouvais
seulement faire passer des petites quantités d’électricité de cette nouvelle
façon, mais dans ce domaine aussi mes efforts furent couronnés de succès.
La figure 3 est une photo qui montre, comme son titre l’indique, une véritable
transmission de ce type, effectuée avec des appareils qui ont été utilisés pour
d’autres expériences, que je décris ici. On jugera du degré de perfectionnement
de mes dispositifs, car lors de ma première démonstration au début de 1891, mon
appareil ne fut capable que d’allumer une seule ampoule (ce qui alors, dit-on,
tenait du merveilleux), alors qu’aujourd’hui, je peux affirmer être capable
d’allumer, avec cette méthode, 400 à 500 ampoules, voire beaucoup plus, sans
problème. En fait, cette méthode permet de produire une quantité d’énergie
illimitée et faire fonctionner tout type d’appareil électrique.
- Une autre raison est que je fus amené à reconnaître que la transmission de
- 3 : "Expérience illustrant une alimentation en électricité avec un seul fil,
sans retour". Une ampoule à incandescence toute simple, dont un ou les deux
terminaux sont reliés au fil à l’extrémité supérieure de la bobine montrée sur
cette photo, est allumée par les vibrations électriques transmises à travers la
bobine par un oscillateur électrique qui ne fonctionne qu’avec 5% de sa
puissance maximale.- Après avoir démontré la faisabilité de ce type de transmission, il m’est
bien sûr tout naturellement venu à l’esprit d’utiliser la Terre comme
conducteur, ce qui rendait tous les câbles électriques superflus. Quelle que
soit la nature de l’électricité, elle se comporte comme un fluide
incompressible, et la Terre peut être considérée comme un immense réservoir
d’électricité, que je pensais pouvoir modifier efficacement avec un appareil
électrique soigneusement conçu. C’est pourquoi mon nouvel objectif fut de mettre
au point un dispositif spécial, susceptible d’être très efficace pour créer une
perturbation de l’électricité dans la Terre. Les progrès dans cette nouvelle
direction furent évidemment lents et les travaux décourageants, jusqu’à ce que,
finalement, je réussisse à perfectionner un nouveau type de transformateur, ou
bobine d’induction, spécialement adapté à ce but spécifique. La figure 4 vous
montrera qu’il devient ainsi possible non seulement de transmettre d’infimes
quantités d’électricité pour faire fonctionner des appareils sensibles - ce qui
fut mon premier objectif -, mais aussi des quantités appréciables d’électricité
; cette photo illustre une expérience de ce type, menée avec le même appareil.
Les résultats furent d’autant plus remarquables que la partie supérieure de la
bobine n’était pas reliée à un fil ou à une plaque pour amplifier les effets.
- Après avoir démontré la faisabilité de ce type de transmission, il m’est
- 4 : " Expérience illustrant la transmission d’énergie électrique sans fil à
travers la Terre." La bobine représentée ici, dont l’extrémité - ou terminal -
inférieure est reliée à la terre, est parfaitement réglée sur les vibrations
d’un oscillateur électrique à distance. L’ampoule est reliée à un fil
indépendant en forme de boucle et alimentée par induction par la bobine excitée
par les vibrations électriques qui lui sont transmises à travers le sol par un
oscillateur qui ne fonctionne qu’avec 5% de sa puissance maximale.
-
- La télégraphie "sans fil" - Le secret du réglage -
Des erreurs dans les études hertziennes - Un récepteur d’une merveilleuse
sensibilité.-
- Mes expériences dans ce dernier domaine furent fructueuses et elles m’ont
permis, dans un premier temps, de mettre au point un système de télégraphie sans
fil que j’ai décrit lors de deux conférences scientifiques, en février et mars
1893. Le diagramme C illustre la mécanique du système ; la partie supérieure
montre le dispositif électrique tel que je l’avais alors décrit, tandis que la
partie inférieure montre son équivalent en mécanique. Le système est extrêmement
simple dans son principe. Imaginons deux diapasons F et F1, l’un dans la station
émettrice et l’autre dans la station réceptrice ; leur branche inférieure est
reliée à un minuscule piston p qui est intégré dans un cylindre. - Les deux cylindres communiquent avec un réservoir R aux parois élastiques,
qui doit être fermé et rempli d’un fluide léger et incompressible. En butant une
des branches du diapason F de manière répétée, le petit piston p entre en
vibration, et ses vibrations se transmettent à travers le fluide jusqu’au
diapason F1 qui est "accordé" sur le diapason F, ou, en d’autres termes, qui a
la même fréquence que ce dernier. Le diapason F1 entre alors en vibration, et
cette vibration sera intensifiée par l’action continue du diapason F jusqu’à ce
que sa branche supérieure se mette à osciller fortement et établisse une
connexion électrique avec un contact fixe c’’ qui excite un dispositif
électrique ou autre, servant à enregistrer les signaux. C’est de cette manière
très simple que des messages peuvent être échangés entre les deux stations, car
un autre contact similaire c’ est prévu dans ce but, près de la branche
supérieure du diapason F, de manière que le dispositif puisse être utilisé dans
chaque station, soit comme récepteur, soit comme émetteur.
Le système électrique représenté dans la partie supérieure du diagramme C est le
même dans son principe, les deux fils ou circuits ESP et E1S1P1 qui montent à la
verticale représentent les deux diapasons et les pistons qui leur sont
rattachés. Ces circuits sont en connexion avec le sol par deux plaques E et E1
et avec deux feuilles métalliques aux sommets P et P1 qui emmagasinent
l’électricité et donc amplifient considérablement les effets. Le réservoir fermé
R, aux parois élastiques, est remplacé dans ce cas par la Terre, et le fluide
par l’électricité. Ces deux circuits sont "accordés" et opèrent exactement de la
même manière que les deux diapasons. Au lieu d’exciter le diapason F dans la
station émettrice, on génère des oscillations électriques dans le fil vertical
transmetteur ESP grâce à une source S contenue dans ce fil, qui se propagent
dans le sol et qui viennent toucher le fil vertical récepteur E1S1P1 en y
excitant les oscillations électriques correspondantes. Ce dernier fil, ou
circuit, inclut un appareil sensible ou récepteur S1 qui est alors activé et qui
active à son tour un relais ou tout autre appareil. Chaque station est
évidemment pourvue d’une source d’oscillations électriques S et d’un récepteur
sensible S1, et un dispositif simple permet d’utiliser alternativement les deux
circuits pour envoyer ou recevoir des messages.
L’accord exact entre les deux circuits garantit de gros avantages et, en fait, il est essentiel pour l’utilisation pratique du système. À cet égard, il existe
des erreurs fort répandues dans les rapports techniques concernant ce sujet qui,
en règle générale, décrivent ces circuits et dispositifs comme ayant ces atouts,
alors que visiblement leur construction même prouve que c’est impossible. Pour
atteindre des résultats maximums, il est essentiel que la longueur de chaque fil
ou circuit, depuis sa connexion avec la terre et le sommet, soit du quart de la
longueur d’onde de la fréquence électrique dans le fil ou, en d’autres termes,
égale à cette longueur multipliée par un nombre impair*. Si cette règle n’est
pas respectée, il est pratiquement impossible de prévenir les interférences et
d’assurer l’intimité des conversations. C’est en cela que réside le secret du
réglage. (* il est tout de même curieux que Tesla insiste sur ce point, car les
scientifiques d’aujourd’hui sont formels : le nombre doit être PAIR)
Pour obtenir les résultats les plus satisfaisants, il est toutefois nécessaire
de recourir à des vibrations électriques de basse fréquence. Le dispositif à
étincelles de Hertz, que les expérimentateurs utilisent généralement et qui
produit des oscillations de très haute fréquence, ne permet pas un réglage
effectif, et de légères perturbations suffisent à rendre un échange de messages
impossible. Toutefois, il existe des dispositifs efficaces, conçus par des
scientifiques, qui permettent d’obtenir un réglage presque parfait. La figure 5
montre une expérience réalisée avec le dispositif amélioré, auquel je fais
souvent référence, qui donne une idée de cette caractéristique ; elle est très
figurative et bien expliquée dans sa légende.
- Mes expériences dans ce dernier domaine furent fructueuses et elles m’ont
- 5 : "Photo de bobines réagissant à des oscillations électriques". Cette
image montre un certain nombre de bobines au réglage distinct, répondant aux
vibrations qui leur sont transmises à travers la terre depuis un oscillateur
électrique. La grande bobine à droite montrant une puissante décharge, est
accordée à la vibration de base qui est de 50 000/s ; les deux grandes bobines
verticales à deux fois plus ; la bobine blanche plus petite à quatre fois plus
et les autres bobines plus petites à des fréquences encore plus élevées. Les
vibrations produites par l’oscillateur furent tellement intenses qu’elles
influencèrent même une petite bobine accordée à une fréquence 26 fois supérieure
à celle de la fréquence de base.- Depuis que j’ai décrit les principes simples de la télégraphie sans fil,
j’ai eu de maintes occasions de remarquer que des éléments aux caractéristiques
identiques avaient été utilisés, parce qu’on pensait sincèrement que les signaux
sont transmis à des distances considérables par des rayons "hertziens". Ceci
n’est qu’un des nombreux malentendus qu’ont fait naître les études de physiciens
regrettés. Il y a environ 33 ans, Maxwell, reprenant une expérience prometteuse
que Faraday avait menée en 1845, développa une théorie idéalement simple, qui
reliait intimement la lumière, la chaleur radiante et des phénomènes
électriques, en prétendant qu’ils étaient tous dus aux vibrations d’un fluide
hypothétique d’une finesse inconcevable, appelé éther. Il n’a été fait aucune
vérification expérimentale avant que Hertz, sur les bons conseils de Helmholtz,
entreprît une série d’expérimentations à ce sujet. Hertz procéda avec une
ingéniosité et une perspicacité extraordinaires, mais ne consacra que peu
d’énergie à la perfection de son dispositif démodé. Par conséquent, il manqua
d’observer le rôle important de l’air dans ses expériences, un point que je
découvris plus tard. En répétant ses expériences, j’obtins des résultats
disparates, donc je me risquai à signaler cet oubli. La force des preuves
avancées par Hertz pour appuyer la théorie de Maxwell, résidait dans la juste
estimation des fréquences de vibration des circuits qu’il utilisait. Je maintins
néanmoins qu’il ne pouvait pas avoir obtenu les fréquences qu’il croyait. Les
vibrations obtenues avec le type d’appareils qu’il utilisait sont, en règle
générale, beaucoup plus faibles à cause de la présence de l’air, qui provoque un
effet amortissant sur les circuits électriques de vibration très rapide et de
haute tension, de la même manière qu’un fluide agit sur un diapason en
vibration. J’ai toutefois, depuis cette époque, découvert d’autres erreurs, et
je considère depuis très longtemps que ses résultats ne sont rien d’autre que
des vérifications expérimentales des conceptions poétiques de Maxwell. Les
travaux de ce grand physicien allemand furent un immense stimulus pour la
recherche actuelle en électricité, mais en même temps, ils ont dans une certaine
mesure paralysé les esprits scientifiques parce qu’ils fascinaient, et ont donc
gêné les recherches indépendantes. Chaque nouvelle découverte était présentée de
manière à correspondre avec sa théorie, et de ce fait, la vérité a souvent été,
inconsciemment, déformée.
En développant ce système de télégraphie, je n’avais qu’une idée en tête :
effectuer des communications à n’importe quelle distance sur Terre ou dans le
milieu environnant ; j’estimai cette application pratique d’une importance
transcendante, principalement à cause de l’effet psychologique qu’il ne
manquerait pas d’avoir sur toute la planète. Pour atteindre cet objectif je
pensai, dans un premier temps, utiliser des stations relais aux circuits
accordés, dans l’espoir de pouvoir envoyer des signaux sur de très grandes
distances, même avec les appareils de puissance très modérée dont je disposais
alors. J’étais persuadé, toutefois, que des appareils conçus avec soin pouvaient
envoyer des signaux en tout point du globe, quelle que fût la distance, sans
avoir à passer par des stations intermédiaires. J’ai eu cette conviction lorsque
je fis la découverte d’un singulier phénomène électrique, que j’ai décrit en
1892 lors de conférences données pour des scientifiques à l’étranger, et que
j’ai appelé le "balai en rotation". Il s’agit d’un faisceau de lumière qui se
forme, sous certaines conditions, dans une ampoule à vide et dont la sensibilité
aux influences magnétiques et électriques alentour frise, pour ainsi dire, le
surnaturel. Ce faisceau lumineux est mis en rotation par le magnétisme de la
Terre à raison de 20 000 fois par seconde ; le sens de la rotation est ici à
l’inverse de ce qu’il serait dans l’hémisphère sud, tandis que dans la région de
l’équateur magnétique, le faisceau ne tournerait pas du tout. Dans son état le
plus sensible, quoique difficile à atteindre, il répond aux influences
magnétiques et électriques à un degré incroyable. La simple contraction des
muscles du bras, soit le plus léger changement électrique dans le corps d’un
observateur debout à une certaine distance, l’affectera de manière très
perceptible. C’est dans cet état de très haute sensibilité qu’il sera également
capable d’indiquer les moindres changements magnétiques ou électriques dans la
Terre. L’observation de ce merveilleux phénomène m’impressionna outre mesure,
tant et si bien que je fus convaincu qu’il permettait d’établir facilement des
communications à n’importe quelle distance, à condition toutefois que l’appareil
soit perfectionné au point de pouvoir produire un changement d’état magnétique
ou électrique, même faible, dans le globe terrestre ou dans le milieu
environnant.
- Depuis que j’ai décrit les principes simples de la télégraphie sans fil,
-
- Développement d’un nouveau principe - L’oscillateur
électrique - Production de "mouvements" électriques immenses - La Terre répond à
l’homme - La communication interplanétaire entre dans le domaine de la
probabilité.-
- Je décidai de concentrer tous mes efforts sur cette tâche délicate, bien
qu’elle me demandât des sacrifices énormes, car les difficultés qu’il fallait
surmonter étaient telles que je savais qu’il me faudrait des années de travail.
Cela voulait dire que je devais toutefois reporter d’autres travaux dans
lesquels j’aurais préféré m’investir, mais j’avais la conviction que mes
énergies ne pouvaient pas servir un but plus noble que celui-ci ; car je pris
conscience qu’un appareil efficace de production d’oscillations électriques
puissantes était non seulement nécessaire pour atteindre mon but, mais qu’il
était aussi la clé d’autres problèmes électriques, voire humains, de la plus
haute importance. Il devait non seulement permettre de communiquer à n’importe
quelle distance sans fil, mais aussi de transmettre de grandes quantités
d’énergie, de brûler l’azote dans l’air, de produire un éclairage efficace et
d’obtenir beaucoup d’autres résultats de valeur scientifique et industrielle
inestimable. En fin de compte, j’eus la satisfaction de réaliser ce travail en
utilisant un nouveau principe, qui a le mérite d’être basé sur les merveilleuses
propriétés du condensateur électrique, l’une d’elles étant qu’il peut se
décharger ou faire exploser l’énergie emmagasinée en un laps de temps
incroyablement court. C’est pourquoi il n’a pas de rival pour sa violence
explosive. Comparée à sa décharge, une explosion de dynamite est un souffle de
phtisique. Il permet de produire les courants et les tensions électriques les
plus élevés, et la plus grande agitation dans le milieu. Une autre de ses
propriétés de valeur égale, est que sa décharge peut vibrer à la fréquence
voulue, jusqu’à atteindre plusieurs millions d’oscillations par seconde.
J’étais arrivé à la limite des fréquences productibles par d’autres moyens,
lorsque j’eus la bonne idée de recourir au condensateur. Je l’adaptai de manière
qu’il puisse se charger et se décharger alternativement très vite par une bobine
comprenant quelques tours de fil résistant, qui représentait l’enroulement
primaire d’un transformateur ou d’une bobine d’induction. Chaque fois que le
condensateur se déchargeait, le courant passait en tremblotant dans le fil
primaire et entraînait des oscillations correspondantes dans le secondaire. Je
venais donc de développer un transformateur ou bobine d’induction, basé sur un
nouveau principe, que j’appelai "l’oscillateur électrique", qui partageait les
qualités uniques caractérisant le condensateur, et permettait d’atteindre des
résultats inespérés par d’autres moyens. Ce type d’appareil perfectionné permet
aujourd’hui d’obtenir facilement des effets électriques de tout type et des
intensités inimaginables jusque-là. Cet appareil a déjà souvent été mentionné et
ses parties essentielles sont montrées sur la figure 6. Pour certains objectifs,
un puissant effet d’induction est nécessaire, pour d’autres, une montée rapide
du courant, ou une fréquence très élevée, tandis que d’autres encore
nécessiteront des "mouvements" (amplitudes) électriques immenses. Les photos des
figures 7, 8, 9 et 10 sont celles d’expériences menées avec un oscillateur de ce
type ; elles peuvent servir à illustrer certaines de ces caractéristiques et
donner une idée de l’ampleur des effets réellement produits. La légende de ces
photos me dispense de tout autre commentaire.
- Je décidai de concentrer tous mes efforts sur cette tâche délicate, bien
- 6 : "Photo des parties essentielles de l’oscillateur électrique utilisé dans
les expériences décrites." - 7 : "Expérimentation qui illustre l’effet d’induction d’un oscillateur
électrique de forte puissance." La photo montre trois ampoules à incandescences
ordinaires allumées à pleine puissance par du courant induit dans une boucle
locale, constituée d’un seul fil formant un carré de 15 m de côté et qui inclut
les ampoules, placée à 30 m du circuit primaire alimenté en énergie par
l’oscillateur. La boucle inclut également un condensateur électrique et est
exactement accordée aux vibrations de l’oscillateur, qui fonctionne à moins de
5% de sa puissance maximale. - 8 : "Expérimentation cherchant à démontrer que l’oscillateur peut provoquer
des explosions électriques de grande puissance." La bobine, qui est
partiellement représentée sur cette photo, crée, entre la Terre et un immense
réservoir, un courant électrique alternatif d’une fréquence de 100 000 cycles
par seconde. Les réglages sont tels que le réservoir se remplit complètement et
éclate à chaque alternance au moment précis où la tension électrique atteint son
maximum. La décharge fait un bruit assourdissant, vient frapper une bobine non
reliée à près de 7 m de là, et entraîne une telle agitation électrique dans le
sol qu’il se forme des étincelles de 2,5 cm de long autour d’une conduite d’eau
à 90 m du laboratoire. - 9 : "Expérimentation servant à montrer la capacité de l’oscillateur à créer
un grand courant électrique." La boule sur la photo, recouverte de métal poli
d’une surface de près de 2 m2, représente un gros réservoir d’électricité, et la
casserole en cuivre retournée en dessous au bord tranchant est une grande
ouverture par laquelle l’électricité peut s’échapper avant d’aller remplir le
réservoir. La quantité d’électricité créée est si importante que, bien que la
majeure partie s’écoule par les bords de la casserole ou par l’ouverture, la
boule ou réservoir est néanmoins vidée et remplie jusqu’à déborder en alternance
(comme le montre la décharge au sommet de la boule) 150 000 fois par seconde. - 10 : "Expérimentation illustrant l’effet d’un oscillateur électrique
produisant une énergie de 75 000 CV." La décharge qui crée un grand courant
d’air, à cause du réchauffement de l’air, est entraînée vers le haut à travers
l’ouverture dans le toit du bâtiment. Sa largeur atteint jusqu’à plus de 21 m.
La tension est de plus de 12 millions de volts et le courant alterne à raison de
130 000 fois par seconde.- Même si les résultats montrés peuvent paraître extraordinaires, ils sont
négligeables comparés à ceux que l’on peut obtenir avec des appareils conçus
selon ces mêmes principes. J’ai produit des décharges électriques dont
l’ampleur, d’un bout à l’autre, était probablement de plus de 30 m ; il ne
serait toutefois pas difficile d’obtenir des longueurs cent fois plus grandes.
J’ai produit des "mouvements" électriques d’une puissance d’environ 100 000 CV,
mais il serait facile d’obtenir des puissances de 1, de 5 ou de 10 millions CV.
Lors de ces expérimentations, j’ai obtenu des effets plus importants que tout ce
qui a jamais été produit par l’homme, et pourtant, ces résultats ne sont que
l’embryon de ce qui reste à venir.
Il est inutile de démontrer que la communication sans fil peut se faire vers
tout point du globe avec un tel dispositif et j’en ai eu la certitude absolue
par une de mes découvertes. En voici une analogie : lorsque nous parlons très
fort et que nous entendons un écho de notre voix, nous savons que les sons de la
voix ont atteint un mur à distance, ou une frontière, d’où ils ont été
réfléchis. Une onde électrique est réfléchie de la même manière qu’un son et le
même signe que transmet l’écho est transmis par un phénomène électrique appelé
onde "stationnaire", c’est-à-dire une onde dont les ventres et nœuds sont fixes.
Au lieu d’envoyer des ondes sonores vers un mur à distance, j’ai envoyé des
vibrations électriques vers un lointain obstacle sur la Terre et, au lieu que ce
soit le mur, c’est la Terre qui a répondu. À la place de l’écho, j’ai obtenu une
onde électrique stationnaire, une onde réfléchie par un point éloigné.
Les ondes stationnaires dans la terre autorisent non seulement la télégraphie
sans fil à toutes distances, mais elles nous permettront également d’obtenir des
résultats spécifiques très importants, qu’il serait impossible d’atteindre d’une
autre manière. Grâce à elles par exemple, nous pourrons produire à volonté, à
partir d’une station émettrice, un effet électrique dans toute région
particulière du globe ; nous pourrons déterminer la position relative ou le
parcours d’un objet en déplacement, comme ceux d’un bateau sur l’océan, la
distance qu’il a parcourue ou sa vitesse ; ou nous pourrons encore envoyer une
onde électrique par-dessus la Terre à la vitesse voulue, de celle d’une tortue à
celle de la lumière.
Grâce à ces développements, nous avons toutes les raisons de penser que, dans un
futur relativement proche, la plupart des messages télégraphiques
transocéaniques seront transmis sans câbles. Pour des distances plus courtes, un
téléphone "sans fil" permettra de communiquer sans l’intervention de
spécialistes. Plus la distance à franchir sera grande, plus la communication
sans fil deviendra rationnelle. Le câble est non seulement un outil fragile et
coûteux, mais il nous limite également dans la vitesse des transmissions, à
cause d’un certain facteur électrique inhérent à sa physique. Une centrale
destinée aux communications sans fil soigneusement conçue, doit pouvoir
effectuer plusieurs fois la quantité de travail d’un câble, et parallèlement,
elle sera bien moins coûteuse. Je pense que d’ici quelque temps, la
communication par câbles deviendra obsolète, car cette nouvelle méthode
permettra non seulement d’envoyer des messages plus vite et à un moindre coût,
mais elle sera aussi beaucoup plus sûre. Si l’on utilise certains moyens que
j’ai inventés pour encoder les messages, les transmissions pourront s’effectuer
dans une intimité presque parfaite.
Jusqu’à ce jour, j’ai observé les effets ci-dessus sur une distance limitée à
quelque 1000 km, mais dans la mesure où la puissance des vibrations productibles
avec un oscillateur de ce type est quasi illimitée, je suis plutôt confiant
quant à la réussite d’une telle centrale à effectuer des communications
transocéaniques. Et ce n’est pas tout. Mes mesures et calculs ont montré, qu’en
utilisant ces principes, il est parfaitement possible de produire, sur ce globe,
un " mouvement " électrique d’une telle ampleur, qu’il ne fait aucun doute qu’il
puisse être perceptible sur quelques-unes des planètes les plus proches de nous,
comme Mars ou Vénus. Cela signifie que les communications interplanétaires sont
passées du stade de la possibilité à celui de la probabilité. En fait, il ne
fait aucun doute que nous puissions produire un effet précis sur une de ces
planètes avec cette nouvelle méthode, c’est-à-dire en perturbant les conditions
électriques de la Terre. Ce moyen pour effectuer de telles communications est
toutefois fondamentalement différent de tous les autres qui ont déjà été avancés
par les scientifiques. Dans tous les cas antérieurs, l’observateur ne pouvait
utiliser dans son instrument qu’une infime partie de toute l’énergie qui arrive
sur la planète, c’est-à-dire la quantité qu’il est possible de concentrer dans
un réflecteur. Toutefois, grâce à la méthode que j’ai développée, il pourra
concentrer dans son instrument la majeure partie de toute l’énergie transmise à
la planète et les chances de pouvoir établir une communication seront alors
multipliée des millions de fois.
En plus des machines pour produire les vibrations de la puissance voulue, nous
avons besoin de moyens sensibles, capables de révéler les effets des faibles
influences exercées au-dessus de la Terre. C’est dans ce but que j’ai inventé de
nouvelles méthodes. Elles vont, entre autres, nous permettre de détecter la
présence d’un iceberg ou d’un autre objet sur la mer à une distance
considérable. Elles m’ont également permis de découvrir un phénomène terrestre
jusque là inexpliqué. Il est certain que nous pouvons envoyer un message vers
une planète et il est probable que nous obtenions une réponse, car l’homme n’est
pas la seule créature dans l’Infini, possédant un cerveau.
- Même si les résultats montrés peuvent paraître extraordinaires, ils sont
-
- La transmission sans fil de l’électricité à toutes
distances entre dans le domaine de la faisabilité - Les meilleurs moyens pour
accroître la force d’accélération de la masse humaine.-
- L’observation la plus importante que j’ai faite au cours de mes recherches,
était celle du comportement extraordinaire de l’atmosphère relatif aux
impulsions électriques de force électromotrice excessive. Les expériences
montrèrent que l’air à la pression ordinaire devenait nettement conducteur, ce
qui permettait d’envisager le projet séduisant de pouvoir envoyer, sans fil et à
de grandes distances, de grosses quantités d’électricité à des fins
industrielles ; un rêve scientifique allait donc se réaliser. D’autres études
révélèrent le fait important que la conductivité de l’air, obtenue par ces
impulsions électriques de plusieurs millions de volts, augmentait très vite à
mesure que l’air se raréfiait, ce qui veut dire que les couches d’air aux
altitudes modérées, donc facilement accessibles, sont une région parfaitement
conductrice - surpassant le cuivre - pour toutes sortes d’expérimentations avec
des courants de ce type.
La découverte de ces nouvelles propriétés de l’atmosphère permettait non
seulement d’envisager la transmission de grandes quantités d’énergie sans fil,
mais aussi, et c’est encore plus important, elle donnait la certitude que
l’énergie pouvait être transmise de cette manière plus économiquement. Avec ce
nouveau système, il importe peu - voire pas du tout - que la transmission se
fasse sur quelques kilomètres ou sur plusieurs milliers de kilomètres.
Jusqu’ici, je n’ai pas encore effectué de transmission d’une quantité
considérable d’énergie, - soit significative d’un point de vue industriel - à
une distance éloignée avec cette nouvelle méthode, cependant, j’ai fait
fonctionner plusieurs maquettes de centrales dans, précisément, les mêmes
conditions que celles qui existent dans une grande centrale de ce type, et la
faisabilité du système est parfaitement prouvée. En fin de compte, les
expériences ont montré qu’avec deux terminaux placés à pas plus de 9000 à 10 600
mètres d’altitude, ayant une tension électrique entre 15 et 20 millions de
volts, il est possible d’envoyer des milliers de CV d’énergie à des centaines
et, au besoin, à des milliers de kilomètres. Toutefois, j’espère pouvoir réduire
considérablement la hauteur des terminaux qui est aujourd’hui indispensable et,
pour ce faire, j’ai un plan qui est très prometteur. Il existe évidemment un
préjudice pour la population si l’on utilise une tension électrique de millions
de volts, car des étincelles pourraient voler jusqu’à des centaines de mètres,
mais, paradoxalement, le système, tel que je l’ai décrit dans une de mes
publications techniques, est beaucoup moins dangereux pour la population que la
plupart des circuits de distribution courants utilisés dans nos villes. Cela est
en partie confirmé par le fait que je n’ai jamais été blessé et aucun de mes
assistants non plus, bien que je mène ce type d’expériences depuis plusieurs
années.
Avant de procéder à une introduction pratique du système, il est nécessaire de
répondre à un certain nombre d’exigences essentielles. Il ne suffit pas de
construire des dispositifs capables d’effectuer ces transmissions. Les machines
doivent être telles que la transformation et la transmission de l’énergie
puissent se faire dans des conditions très économiques et pratiques. En outre,
il faut encourager les personnes qui s’engagent dans l’exploitation industrielle
des sources d’énergie naturelles, comme l’énergie hydraulique, en leur
garantissant un bénéfice sur le capital qu’ils investissent, plus grand que
celui qu’ils toucheraient en le plaçant dans l’immobilier local.
À partir du moment où l’on s’est aperçu que, contrairement aux idées reçues, les
couches facilement accessibles de l’atmosphère pouvaient être conductrices
d’électricité, la transmission d’électricité sans fil a commencé à être étudiée
rationnellement par les ingénieurs ; les travaux dans ce domaine ont, pour eux,
une importance capitale. Sa mise en pratique signifierait que l’énergie sera
disponible pour l’homme en tout point du globe, non en petites quantités comme
celles que l’on pourrait extraire du milieu environnant avec les dispositifs
adéquats, mais en quantités quasi illimitées, à partir des chutes d’eau.
L’exportation de l’énergie pourrait alors devenir la principale source de
revenus de nombreux pays bien situés comme les États-Unis, le Canada, l’Amérique
centrale et du Sud, la Suisse et la Suède. Les gens pourraient aller habiter
n’importe où, fertiliser et irriguer la terre sans difficultés, convertir des
déserts stériles en jardins, et tout le globe pourrait ainsi être transformé et
devenir un lieu plus adapté à l’humanité. S’il existe des créatures
intelligentes sur Mars, il est fort probable qu’elles ont mis cette idée en
pratique depuis longtemps, ce qui pourrait expliquer les changements à la
surface de la planète que les astronomes ont relevés. Comme l’atmosphère de
cette planète est de densité nettement inférieure à la nôtre, les travaux sont
bien plus faciles.
Il est probable que nous aurons bientôt un moteur thermique automatique
susceptible de tirer des quantités d’énergie modérées du milieu environnant. Et
la possibilité existe - quoique faible - que nous puissions obtenir de l’énergie
électrique directement du soleil. Ce serait le cas si la théorie de Maxwell
était exacte et selon laquelle des vibrations électriques de toutes les
fréquences seraient émises par le soleil. Je n’ai pas terminé mes investigations
à ce sujet. Sir William Crookes a démontré avec sa belle invention, connue sous
le nom de "radiomètre", que l’impact des rayons produirait un effet mécanique,
et cela pourrait conduire à quelques révélations importantes quant à
l’utilisation des rayons solaires par de nouveaux moyens. On est susceptible de
découvrir de nouvelles sources d’énergie et de nouvelles techniques pour puiser
l’énergie solaire, mais aucune d’elles, ni aucun développement similaire,
n’auraient autant d’importance que la transmission d’énergie à toutes distances
à travers le milieu. Je n’arrive pas à imaginer une autre avancée technique
capable de réunir les éléments variés de l’humanité de manière plus efficace que
celle-ci, ou quelque chose qui apporterait plus à l’énergie humaine ou qui
pourrait faire qu’elle soit mieux employée. Ce serait le meilleur moyen
d’augmenter la force d’accélération de l’humanité. La seule influence morale
d’un changement aussi radical serait inestimable. Néanmoins, si en tout point du
globe il devient possible de puiser de l’énergie en quantités limitées dans le
milieu environnant avec un moteur thermique automatique ou autre, les conditions
ne changeront pas. Les performances humaines seront amplifiées, mais les hommes
resteront des étrangers les uns pour les autres, comme aujourd’hui.
Je m’attends à ce que beaucoup de gens qui n’auront pas été préparés à concevoir
ces possibilités, pensent qu’elles sont loin de pouvoir être mises en pratique,
bien que, pour moi, ce soit simple et évident, parce que cela fait longtemps
qu’elles me sont familières. La réserve, voire le rejet, de certains est aussi
utile et nécessaire pour le progrès humain que la sensibilisation trop rapide ou
l’enthousiasme d’autres. Une masse qui se montre d’abord résistante à une force,
une fois mise en mouvement, contribue à accroître son énergie. Le scientifique
ne cherche pas à obtenir un résultat immédiat. Il ne s’attend pas à ce que ses
idées avancées soient acceptées facilement. Son travail est comparable à celui
du jardinier : il œuvre pour l’avenir. Sa mission est de poser les fondations
pour ceux qui lui succèderont et de montrer la voie. Il vit, il travaille et il
espère, comme ce poète qui a dit :-
- Schaff’, das Tagwerk meiner Hände,
Hohes Glück, dass ich’s vollende !
Lass, o lass mich nicht ermatten !
Nein, es sind nicht leere Träume :
Jetzt nur Stangen, diese Bäume
Geben einst noch Frucht und Schatten !
Mes mains, sans relâche, font leur travail quotidien,
Pouvoir l’accomplir, quel grand bonheur que le mien !
Oh, pourvu que jamais mon énergie ne sombre !
Non, ce ne sont pas seulement des rêves creux :
Si aujourd’hui ces arbres ne sont que des pieux,
Ils donneront un jour des fruits et de l’ombre !
"Espoir" de Goethe
- Schaff’, das Tagwerk meiner Hände,
-
- L’observation la plus importante que j’ai faite au cours de mes recherches,
-
- Nikola TESLA
ENERGIE - DES SOLUTIONS POUR PRODUIRE SANS DETRUIRE L’ENVIRONNEMENT
"Il n’y a pas de crise de l’Energie, mais simplement une crise d’Ignorance"
B.Fuller
Nikola TESLA
LE PROBLÈME DE L’INTENSIFICATION
DE L’ÉNERGIE HUMAINE
(1900)
L’importance de l’énergie solaire est soulignée
Le moteur de l’humanité - L’énergie du mouvement - Les trois manières d’intensifier l’énergie humaine
Parmi la variété infinie de phénomènes que la Nature offre à nos sens, le
seul à nous frapper réellement d’étonnement et d’admiration est cette activité
incroyablement complexe que, dans son ensemble, nous appelons la vie humaine.
Son origine mystérieuse porte le voile d’un passé éternellement brumeux, sa
nature nous est incompréhensible à cause de sa complexité infinie, et son but
est caché dans les profondeurs insondables du futur. D’où vient-elle ? Qui
est-elle ? Vers quoi tend-elle ? Ce sont les grandes questions auxquelles les
sages de tous les temps ont cherché à répondre.
La science moderne dit : le Soleil est notre passé, la Terre est notre présent
et la Lune notre futur. Issus d’une masse incandescente, nous nous
transformerons en une masse gelée. Les lois de la Nature sont impitoyables ;
très vite nous sommes entraînés immanquablement vers notre perte. D’après Lord
Kelvin, notre espérance de vie serait relativement courte, soit de quelque six
millions d’années, après quoi la lumière éclatante du soleil se sera éteinte, sa
chaleur fécondante aura disparu et notre propre Terre ne sera plus qu’un bloc de
glace, fonçant dans la nuit éternelle. Toutefois, ne désespérons pas. Il
subsistera toujours une faible étincelle de vie et il se pourrait que, sur une
étoile lointaine, s’allume un nouveau feu. En effet, il semblerait que cette
possibilité séduisante soit tout à fait réaliste, si l’on en juge les superbes
expérimentations du professeur Dewar avec l’air liquide, qui ont prouvé que les
germes de la vie organique ne sont pas détruits par le froid, quelle que soit
son intensité ; par conséquent, ils peuvent voyager dans l’espace
interstellaire. En attendant, notre route s’illumine des lumières éclatantes des
sciences et des arts, dont l’intensité ne cesse d’augmenter ; ils font naître
des merveilles et nous offrent des plaisirs qui nous aident grandement à oublier
notre funeste destin.
Bien que nous n’arrivions pas à comprendre la vie humaine, nous savons avec
certitude qu’elle est mouvement, de quelque nature qu’il soit. On ne peut parler
de mouvement qu’en présence d’un corps qui est mû et d’une force qui le fait
bouger. Partant, qui dit vie, dit masse animée par une force. Toute masse a son
inertie et toute force cherche à perdurer. En raison de ces propriétés et
conditions universelles, un corps quelconque, qu’il soit à l’arrêt ou en
mouvement, aura tendance à rester en l’état, tandis qu’une force se manifestant
où que ce soit et pour quelque raison que ce soit, engendre une force opposée
équivalente, ce qui veut dire qu’immanquablement tout mouvement dans la nature
doit être rythmique. Il y longtemps déjà que cette vérité toute simple a été
énoncée par Herbert Spencer, quoique son raisonnement fût quelque peu différent.
Elle est corroborée par toutes nos perceptions - par le mouvement d’une planète,
le flux et le reflux des marées, par les répercussions de l’air, le balancement
d’un pendule, les oscillations d’un courant électrique, et par tous les
phénomènes infiniment variés de la vie organique. La vie humaine, dans son
ensemble n’en atteste-t-elle pas ? La naissance, la croissance, la vieillesse et
la mort d’un individu, d’une famille, d’une race ou d’une nation, sont-elles
autre chose qu’un cycle ? Toutes les manifestations de la vie, même dans ses
apparences les plus complexes - et l’homme en est un bel exemple -, même si
elles sont compliquées et impénétrables, ne sont donc que des mouvements qui
doivent être gouvernés par les mêmes lois mécaniques que celles qui régissent
l’ensemble de l’univers physique.
Lorsque nous parlons de l’homme, notre conception doit être celle de l’humanité
constituant un tout, et avant de mettre en pratique des méthodes scientifiques
pour analyser son mouvement, nous devons d’abord l’accepter en tant que réalité
physique. Mais qui donc douterait encore aujourd’hui que ces millions
d’individus, avec leurs innombrables différences de types et de caractères, ne
forment qu’une seule entité, une unité ? Bien que libres de penser et d’agir,
nous sommes reliés entre nous comme les étoiles dans le firmament, par des liens
résistant à toute épreuve. Ces liens, nous ne pouvons pas les voir, mais les
ressentir. Si je me coupe le doigt, j’aurai mal ; ce doigt est une partie de mon
corps. Si je vois un ami souffrir, je souffre aussi ; mon ami et moi ne faisons
qu’un. Et si je vois un ennemi se faire abattre, j’en ai de la peine, bien qu’il
ne soit qu’un amas de matière dont je ne me soucie pas plus que de tous les
autres amas de matière dans l’univers. N’est-ce pas la preuve que chacun de nous
n’est qu’une partie d’un tout ?
Ce concept est défendu par les doctrines religieuses les plus sages depuis des
siècles, probablement parce que, non seulement il peut garantir la paix et
l’harmonie entre les hommes, mais il incarne parallèlement une vérité bien
fondée. Les bouddhistes l’expriment d’une manière, les chrétiens d’une autre,
bien qu’ils disent tous deux la même chose : nous ne faisons qu’un. Toutefois,
les preuves métaphysiques ne sont pas les seules que nous puissions avancer pour
défendre cette idée. La science, elle aussi, reconnaît que les individus sont en
connexion les uns avec les autres, bien que ce ne soit pas tout à fait dans le
même sens où elle reconnaît que les soleils, planètes et lunes d’une
constellation ne forment qu’un seul corps ; il ne fait aucun doute que dans un
futur plus ou moins proche, nous en aurons des confirmations expérimentales,
lorsque nos moyens et méthodes d’analyse psychiques et d’autres états et
phénomènes seront hautement perfectionnés. En outre, cette grande entité humaine
est éternelle. Les individus sont éphémères, les races et les nations
apparaissent puis disparaissent, mais l’humanité survit. C’est en cela même que
réside la différence majeure entre un individu et le tout. C’est également en
cela que l’on peut trouver une explication partielle à beaucoup de ces
merveilleux phénomènes héréditaires qui sont le fruit d’innombrables siècles
d’influences minimes mais continues.
Partons du principe que l’humanité est une masse poussée par une force. Bien que
ce mouvement n’ait pas un caractère de translation qui impliquerait un
déplacement dans l’espace, il est soumis aux lois générales de la mécanique, et
l’énergie associée à cette masse est mesurable, selon des principes bien connus,
en multipliant la moitié du produit de la masse par le carré d’une vitesse
donnée. Un boulet de canon, par exemple, possède au repos une certaine quantité
d’énergie sous forme de chaleur que nous pouvons mesurer de la même manière.
Nous disons que le boulet est constitué d’un nombre incalculable d’infimes
particules appelées atomes ou molécules, qui vibrent ou tournoient les uns
autour des autres. Nous déterminons leurs masses et leurs vitesses et calculons,
à partir de là, l’énergie de chacun de ces minuscules systèmes ; en additionnant
le tout, nous obtenons une idée de toute l’énergie thermique contenue dans le
boulet qui, apparemment, est au repos. C’est de cette manière purement théorique
que nous pouvons alors calculer cette énergie, en multipliant la moitié de la
masse totale - c’est à dire la moitié de la somme de toutes les petites masses -
par le carré d’une vitesse déterminée par la vitesse de chaque particule. C’est
de cette même manière que nous pouvons envisager de mesurer l’énergie humaine,
soit en multipliant la moitié de la masse humaine par le carré d’une vitesse que
nous ne sommes pas encore en mesure de calculer. Toutefois, cette lacune
n’affectera pas l’exactitude des conclusions que je vais en tirer et qui
découlent d’un principe rationnel selon lequel toute la nature est gouvernée par
les mêmes lois de masse et de force.
Cependant, l’humanité n’est pas une masse quelconque, constituée d’atomes et de
molécules tournoyants, ne contenant que de l’énergie thermique. Elle est une
masse avec certaines qualités supérieures, en raison du principe de vie créatif
qui la caractérise. Sa masse, comme l’eau d’une vague dans l’océan, est
continuellement renouvelée, la nouvelle remplaçant l’ancienne. En outre, elle
grandit, se perpétue et meurt ; il y a donc altération indépendante du volume et
de la densité de la masse. Et ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est qu’elle
peut augmenter ou réduire la vitesse de son mouvement, grâce à son pouvoir
mystérieux de s’approprier plus ou moins d’énergie d’une autre substance et de
la transformer en énergie motrice. Toutefois, nous pouvons ignorer ces
changements très lents et prétendre que l’énergie humaine se mesure par la
moitié du produit de sa masse par le carré d’une certaine vitesse hypothétique.
Cependant, quelle que soit notre manière de calculer cette vitesse, et quelle
que soit l’unité de sa mesure, nous devons, en accord avec ce concept, arriver à
la conclusion que le grand problème de la science est, et sera toujours,
d’intensifier cette énergie ainsi définie. Il y a quelques années, je fus
aiguillonné par la lecture de cet excellent ouvrage de Draper, "L’Histoire du
développement intellectuel en Europe", qui décrit l’évolution de l’homme de
manière très vivante, et je réalisai que le premier devoir de tout homme de
science était de trouver une réponse à cet éternel problème. Je vais tenter de
décrire brièvement certains des résultats de mes propres investigations.
Prenons le Diagramme A : M représente la masse de l’humanité. Cette masse est poussée en avant par une force f et repoussée par une autre force R, partiellement force de friction et partiellement force négative, qui agit dans la direction opposée et qui freine le mouvement de la masse. Une telle force antagoniste est présente dans tout mouvement et il faut en tenir compte. La différence entre ces deux forces est la force effective qui donne une vitesse V à la masse M dans le sens de la flèche sur la ligne représentant la force f. Conformément à ce qui a été dit plus haut, l’énergie humaine sera déterminée par le produit ½M V2 = ½ MV x V, M représentant la totalité de la masse de l’humanité, selon l’acception ordinaire du terme "masse", et V étant une vitesse hypothétique que, en l’état actuel de la science, nous sommes incapables de définir ou de déterminer avec précision. C’est pourquoi, intensifier l’énergie humaine, revient à augmenter ce produit et, comme nous allons le voir sous peu, il n’existe que trois manières d’atteindre ce résultat : elles sont représentées dans le Diagramme A. La première manière figure en haut du diagramme et il s’agit d’augmenter la masse (représentée par le cercle en pointillés), tandis que les deux forces en opposition ne changent pas. La deuxième manière figure au milieu du diagramme et il s’agit ici de réduire la valeur de la force de freinage R à une valeur r, tandis que la masse et la force d’impulsion ne changent pas. La troisième manière, représentée par la figure en bas du diagramme, consiste à augmenter la valeur de la force d’impulsion f à une valeur F, alors que la masse et la force de freinage R ne changent pas. Manifestement, il existe des limites absolues en ce qui concerne l’accroissement de la masse ou la réduction de la force de freinage ; toutefois, la force d’impulsion, elle, peut être intensifiée à l’infini. Chacune de ces trois possibilités présente une facette différente du problème majeur de l’intensification de l’énergie humaine ; nous allons maintenant analyser ses trois parties distinctes, dans l’ordre.
Première question : comment augmenter la masse humaine ? - La combustion de l’azote dans l’atmosphère.
Il existe manifestement deux façons d’augmenter la masse de l’humanité :
premièrement, en stimulant et soutenant les forces et conditions qui permettent
son développement et deuxièmement en faisant obstacle à et en réduisant celles
qui ont tendance à la diminuer. La masse pourra augmenter à condition qu’elle
surveille attentivement sa santé, en se nourrissant convenablement, en
respectant la modération, en régulant ses habitudes, en promouvant le mariage,
en surveillant constamment les enfants et, d’une manière plus générale, en
respectant les nombreuses règles et lois des religions et de l’hygiène.
Toutefois, une nouvelle masse peut se joindre à l’ancienne selon trois
possibilités. Soit la nouvelle masse a la même vitesse que l’ancienne, soit elle
a une vitesse inférieure ou supérieure. Pour obtenir une idée de l’importance
relative de ces trois possibilités, imaginez un train, comptant une centaine de
locomotives, qui roule sur des rails, et supposez que, pour augmenter son
énergie motrice, quatre locomotives supplémentaires viennent le compléter. Si
ces quatre locomotives avancent à la même vitesse que celle du train, l’énergie
globale sera augmentée de 4% ; si leur vitesse est égale à la moitié de celle du
train, l’augmentation ne sera que de 1% ; mais si leur vitesse est le double de
celle du train, l’augmentation de l’énergie sera de l’ordre de 16%. Cet exemple
très simple montre bien qu’il est très important que la nouvelle masse ait une
vitesse plus élevée. Ou, pour citer un autre exemple, si les enfants ont le même
degré de développement que leurs parents - c’est-à-dire s’ils représentent une
masse "de vitesse égale" - l’énergie augmentera simplement proportionnellement
au nombre d’enfants. S’ils ont une intelligence ou un développement inférieurs,
ils seront une masse "de vitesse inférieure" et l’augmentation de l’énergie ne
sera que très faible. Par contre, s’ils sont plus avancés, soit une masse "de
vitesse supérieure", alors cette nouvelle génération renforcera l’énergie
humaine globale de manière très substantielle. Il est impératif d’empêcher toute
arrivée d’une masse "de vitesse inférieure" à celle requise par cette loi que
paraphrase ce proverbe, Mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps
sain). Par exemple, le fait de ne chercher qu’à développer la musculature comme
cela se pratique dans certains de nos lycées, me semble équivalent à un apport
de masse de "vitesse inférieure" et je ne le conseille pas, quoique mon point de
vue fût différent lorsque j’étais moi-même étudiant. La première chose à faire
est de pratiquer des exercices physiques avec modération, afin d’assurer un bon
équilibre entre le corps et l’esprit, et le plus haut rendement intellectuel.
L’exemple ci-dessus montre que l’objectif le plus important est celui de
l’éducation, ou de l’augmentation de la "vitesse" de la masse nouvellement
arrivée.
À l’inverse, il n’est guère besoin de préciser que tout ce qui va à l’encontre
des doctrines religieuses et des lois d’hygiène tend à réduire la masse. Le
whisky, le vin, le thé, le café, le tabac et autres excitants sont responsables
de la baisse de la durée de vie de nombreuses personnes et devraient être
utilisés avec modération. Toutefois, je ne pense pas qu’il soit judicieux de
supprimer des habitudes ancrées depuis des générations en appliquant des mesures
rigoureuses. Il est plus sage de prêcher la modération que l’abstinence. Nous
sommes devenus dépendants de ces stimulants, et s’il est nécessaire de faire des
réformes, elles devront être lentes et graduelles. Ceux qui consacrent toute
leur énergie dans de tels buts feraient mieux de se tourner vers d’autres
directions où ils seraient plus utiles, comme par exemple la distribution d’une
bonne eau potable.
Pour chaque personne qui succombe aux effets d’un stimulant, il y en a au moins
mille qui meurent des conséquences de l’absorption d’eau polluée. Ce liquide
précieux, qui diffuse tous les jours une nouvelle vie dans nos corps, est
parallèlement le principal vecteur des maladies et de la mort. Les germes de la
destruction qu’il véhicule sont des ennemis d’autant plus menaçants qu’ils
œuvrent subrepticement. Ils décident de notre sort pendant que nous vivons et
jouissons de cette vie. La majorité des gens sont tellement ignorants ou peu
attentifs dans leur consommation d’eau et les conséquences de ces négligences
sont tellement désastreuses, qu’un philanthrope qui se consacrerait à informer
ceux qui se nuisent de la sorte, ne pourrait pas se rendre plus utile. Si l’eau
potable était systématiquement purifiée et stérilisée, la masse humaine
augmenterait de manière considérable. Il faudrait faire respecter une consigne
très stricte - qui pourrait être renforcée par le vote d’une loi -, à savoir de
faire bouillir ou de stériliser l’eau dans tous les ménages et lieux publics. Le
simple filtrage est insuffisant pour prévenir toute infection. Toute la glace à
usage interne devrait être préparée artificiellement à partir d’une eau
parfaitement stérile. S’il est généralement reconnu qu’il est très important
d’éliminer les germes pathogènes de l’eau potable dans les villes, on ne fait
cependant pas grand chose pour améliorer la situation actuelle, dans la mesure
où l’on n’a pas encore découvert de méthode satisfaisante pour stériliser de
grandes quantités d’eau. Grâce à des appareils électriques perfectionnés, il
devient aujourd’hui possible de produire de l’ozone à bas coût et en grandes
quantités, et ce désinfectant idéal semble être une solution heureuse à ce
problème crucial.
La passion des jeux, le stress des affaires et l’excitation - principalement
celle en milieu boursier - sont grandement responsables de la réduction de la
masse, d’autant plus que les individus concernés sont des unités de valeur
supérieure. L’incapacité de dépister les premiers symptômes d’une maladie et le
fait de négliger cette dernière avec désinvolture, représentent d’importants
facteurs de mortalité. En relevant soigneusement les moindres signes d’un danger
imminent et en ciblant consciencieusement tous nos efforts pour s’en prévenir,
nous suivrions non seulement les sages lois de l’hygiène dans l’intérêt de notre
bien-être et la réussite de nos entreprises, mais nous agirions parallèlement au
nom d’un devoir moral plus élevé. Chacun devrait considérer son corps comme le
cadeau précieux de quelqu’un qui l’aime par-dessus tout, comme une merveilleuse
œuvre d’art, dont la beauté et la maîtrise dépassent l’entendement humain, d’une
délicatesse et d’une fragilité telles qu’un mot, un souffle, un regard, voire
une pensée, est susceptible de la blesser. La malpropreté qui engendre la
maladie et la mort est non seulement autodestructrice, mais aussi une habitude
hautement immorale. En préservant notre corps de toute infection, en veillant à
sa bonne santé et à sa pureté, nous exprimons notre vénération pour les
principes supérieurs qui l’habitent. Celui qui suit les règles d’hygiène dans
cet esprit, témoigne d’une grande exigence morale. Le relâchement des mœurs est
un mal terrible qui empoisonne l’esprit comme le corps et qui est responsable de
la grande réduction de la masse humaine dans certains pays. De nombreux
penchants et coutumes actuels entraînent des résultats pareillement nuisibles.
Par exemple, la vie en société, l’éducation moderne et les ambitions des femmes
qui ont tendance à les éloigner de leurs tâches ménagères et à se comporter
comme des hommes, vont obligatoirement les détourner de l’idéal élevé qu’elles
représentent, réduire leur pouvoir de création artistique et entraîner la
stérilité et un affaiblissement général de la race. Je pourrais citer un millier
de maux supplémentaires mais, dans l’ensemble et relativement au sujet qui nous
préoccupe, ils n’égaleraient jamais ce seul autre, à savoir le manque de
nourriture engendré par la pauvreté, la misère et la famine. Des millions
d’individus meurent chaque année faute de nourriture et, partant, la masse ne
peut pas augmenter. Même dans nos communautés plus évoluées et malgré les
nombreuses œuvres caritatives, cela reste, selon toute vraisemblance, le fléau
majeur. Je n’entends pas par-là le manque absolu de nourriture, mais celui d’une
alimentation équilibrée et saine.
Un des problèmes les plus importants d’aujourd’hui est donc d’arriver à obtenir
de la bonne nourriture en grande quantité. En règle générale, l’élevage de
bétail comme moyen de subvenir aux besoins de nourriture est répréhensible,
parce que, compte tenu de ce que j’ai dit plus haut, cela conduirait
inévitablement à un complément de masse de plus "faible vitesse". Il est
certainement préférable de cultiver des légumes et c’est pourquoi je pense que
le végétarisme est le meilleur moyen de se débarrasser des habitudes barbares
actuelles. Il est manifeste que nous sommes capables de survivre en ne mangeant
que des végétaux et même d’améliorer notre potentiel de travail. De nombreuses
races, qui ne se nourrissent pratiquement que de végétaux, affichent une forme
et une force physiques supérieures. Il ne fait aucun doute que certains
végétaux, comme la farine d’avoine, sont plus économiques que la viande et sont
mieux adaptés qu’elle pour atteindre de hautes performances mécaniques et
mentales. En outre, une telle nourriture éprouve incontestablement moins nos
organes de digestion et a une valeur inestimable, dans la mesure où elle nous
nourrit mieux et nous rend plus sociables. En raison de ces faits, il faudrait
tout mettre en œuvre pour que cesse cet abattage gratuit et cruel des animaux,
qui témoigne de mœurs subversives. Afin de nous libérer des instincts et
appétits bestiaux qui nous avilissent, il faut s’attaquer à leurs racines mêmes
: nous devrions réformer radicalement notre comportement face à la nourriture.
Il semblerait qu’il n’y ait aucun besoin philosophique de nourriture. Il est
tout à fait envisageable que des êtres organisés puissent vivre sans nourriture
et puiser dans le milieu environnant toute l’énergie dont ils ont besoin pour le
bon équilibre de leurs fonctions vitales. Un cristal nous apporte la preuve très
nette de l’existence d’un principe vital formateur, et bien que nous soyons
incapables de comprendre la vie d’un cristal, il n’en est pas moins un être
vivant. À côté des cristaux, il se pourrait qu’il y ait d’autres formes de vie
matérielles et individualisées, peut-être de constitution gazeuse ou composées
de substances encore plus ténues. En raison de cette possibilité - voire
probabilité - nous ne pouvons pas, d’amblée, renier l’existence de formes de vie
organisées sur une autre sphère, tout simplement parce que nous pensons que ses
facteurs planétaires ne permettent pas l’existence de la vie telle que nous la
concevons. Par ailleurs, nous ne pouvons pas prétendre avec certitude que
certaines de ces formes de vie n’existent pas ici, dans notre monde, au milieu
de nous, car leur constitution et leur manifestation de vie sont susceptibles
d’être d’une nature telle, que nous sommes incapables de les percevoir.
Évidemment, on pourrait envisager de produire une nourriture artificielle comme
moyen d’augmenter la masse humaine ; toutefois, une démarche dans ce sens ne me
paraît pas raisonnable, du moins pour le moment. Il n’est pas certain que ce
type d’alimentation nous soit salutaire. Nos habitudes sont le produit
d’adaptations séculaires continues et nous ne pouvons pas les changer de manière
radicale, sans risquer de devoir subir des conséquences imprévues et, selon
toute probabilité, désastreuses. Une expérience aussi équivoque ne devrait pas
être tentée. Il me semble que le meilleur moyen de parer aux ravages du mal,
serait de trouver des moyens pour augmenter la rentabilité des sols. C’est
pourquoi la préservation des forêts est d’une importance qu’il ne faudrait pas
sous-estimer ; parallèlement, il faudrait grandement préconiser l’utilisation de
l’énergie hydraulique pour la transmission de l’électricité, ce qui, de bien des
façons, éviterait que le bois ne serve de combustible et, partant, la
déforestation. Toutefois, tous ces moyens ne permettent que des progrès limités.
Pour que la terre devienne plus productive, elle a besoin d’être fertilisée plus
efficacement par des moyens artificiels. Partant, le problème de la production
alimentaire se réduit à celui de la recherche du meilleur fertilisant. Nous ne
savons toujours pas ce qui a rendu le sol fertile. Expliquer son origine
reviendrait probablement à expliquer l’origine de la vie elle-même. La roche qui
s’est désintégrée sous l’effet de l’humidité, de la chaleur, du vent et des
intempéries, n’a pas pu, à elle seule, entretenir la vie. Une condition
quelconque et inexpliquée a dû surgir, portant en elle un nouveau principe, qui
permit la formation de la première couche susceptible d’entretenir des
organismes inférieurs, comme la mousse. Les mousses alors contribuèrent par leur
vie et leur mort à enrichir la qualité porteuse de vie du sol, ce qui permit à
d’autres organismes plus complexes de se développer, et ainsi de suite, jusqu’à
ce que s’épanouissent finalement des végétaux plus développés et la vie animale.
Bien que les théories relatives à la fertilisation originelle du sol soient
toujours controversées, force est de constater que le sol ne peut pas entretenir
la vie indéfiniment et qu’il faut trouver le moyen de lui redonner les
substances qui lui ont été retirées par les végétaux. Les composés d’azote sont
les plus importantes et les plus précieuses de toutes ces substances et c’est
pourquoi leur production à bas coût est la clé qui résoudra le problème majeur
de la nourriture. Notre atmosphère est une source inépuisable d’azote et si nous
savions l’oxyder et produire ces composés, l’humanité en serait le premier
bénéficiaire.
Cela fait très longtemps que cette idée trotte dans la tête des scientifiques,
mais jusqu’ici ils n’ont pas trouvé de moyens vraiment efficaces pour atteindre
ce but. Le problème est d’autant plus ardu que l’azote a une inertie
exceptionnelle et qu’il ne se laisse même pas combiner avec l’oxygène.
Cependant, voilà que l’électricité vient au secours des scientifiques : les
capacités de réaction en sommeil dans cet élément, peuvent être stimulées par un
courant électrique adéquat. De la même manière qu’un morceau de charbon, bien
qu’ayant été en contact avec l’oxygène pendant des siècles sans jamais brûler,
va se combiner à lui lorsqu’il aura été allumé, l’azote excité par l’électricité
va s’enflammer. Toutefois, je n’ai pas réussi à produire des décharges
électriques susceptibles d’exciter de manière efficace l’azote atmosphérique
jusqu’à une date relativement récente, bien que, déjà en mai 1891, j’aie
expliqué lors d’une conférence scientifique, une nouvelle forme de décharge, ou
flamme électrique appelée "feu électrique de St Elme" qui, en plus de son
potentiel de produire de l’ozone en abondance, possède aussi les qualités
exactes pour exciter des réactions chimiques. Cette décharge, ou flamme,
mesurait alors seulement de 7,5 cm à 10 cm de long, son action chimique était
tout aussi faible et, par conséquent, le processus de l’oxydation de l’azote fut
un échec. Le problème était de savoir comment intensifier la réaction. Il
fallait, manifestement, produire des courants électriques d’un certain type,
afin de rendre le processus de l’ignition de l’azote plus efficace.
J’ai réalisé mes premiers progrès après avoir découvert que la réaction chimique
de la décharge pouvait être considérablement amplifiée en utilisant des courants
de fréquence ou de taux vibratoire extrêmement élevé. Ce fut un nouveau pas
important, mais dans la pratique, il ne m’a pas permis d’aller beaucoup plus
loin. J’allai donc étudier, dans une étape suivante, les effets de la tension
électrique des impulsions du courant, de leurs formes d’onde et autres traits
caractéristiques. Puis j’analysai l’influence de la pression atmosphérique et de
la température, celle de la présence d’eau et d’autres éléments, et c’est ainsi
que, progressivement, j’allai assurer les meilleures conditions pour déclencher
la plus forte réaction chimique de la décharge et obtenir le plus haut degré
d’efficacité du processus. Évidemment, les progrès furent lents ; toutefois
j’avançai, petit à petit. La flamme devint de plus en plus grande et son effet
d’oxydation de plus en plus intense. Alors qu’elle ne fut au début qu’une
étincelle insignifiante de quelques centimètres de long, elle se transforma en
un merveilleux phénomène électrique, un feu rugissant, dévorant l’azote dans
l’atmosphère et mesurant entre 18 m et 21 m. Ce qui ne fut donc initialement
qu’une hypothèse devint lentement, presque imperceptiblement, une réalité. Je
n’en ai pas encore fini de mes travaux, loin s’en faut, mais si vous vous
reportez à la figure 1, dont le titre est révélateur, vous verrez à quel point
mes efforts ont été récompensés. La décharge qui est visible sous la forme d’une
flamme a été produite par des oscillations électriques intenses qui passent par
la bobine et qui excitent violemment les molécules électrifiées dans l’air. Cela
permet de créer une puissante réaction entre deux constituants de l’atmosphère
habituellement indifférents l’un à l’autre, qui se combinent très vite, sans que
soit prise une mesure additionnelle quelconque pour intensifier la réaction
chimique de la décharge. Lors de la production de composés d’azote selon ce
procédé, il faudra évidemment veiller à utiliser tous les moyens qui permettent
d’amplifier l’intensité de la réaction et l’efficacité du processus. Par
ailleurs, il faudra prendre les dispositions nécessaires pour fixer les
composants qui se seront formés, parce qu’ils sont en général instables, l’azote
redevenant inerte en très peu de temps. La vapeur est un moyen simple et
efficace pour fixer les composés de façon permanente. Les résultats obtenus
montrent qu’il est possible d’oxyder l’azote dans l’air en quantités illimitées,
en n’utilisant qu’une puissance mécanique bon marché et des appareils
électriques très simples. De nombreux composés d’azote peuvent être produits à
travers le monde de cette manière, à bas coût, et en quantité voulue ; et grâce
à ces composés, le sol pourra être fertilisé et sa productivité ne cessera
d’augmenter. C’est ainsi que l’on pourra obtenir une abondance de nourriture
saine et bon marché, naturelle, et à laquelle nous sommes déjà habitués. Cette
nouvelle source inépuisable de nourriture sera d’un secours inestimable pour
l’humanité, car elle va contribuer à l’augmentation de la masse humaine et à une
intensification énorme de son énergie. J’espère que bientôt le monde verra
naître une industrie qui, d’ici quelque temps, atteindra une importance
comparable à celle de l’industrie sidérurgique.
1 : "Pour brûler l’azote dans l’atmosphère " Ce résultat fut obtenu par la décharge d’un oscillateur électrique de 12 millions de volts. La tension électrique alternant 100 000 fois par seconde, excite l’azote normalement inerte et provoque sa combinaison avec l’oxygène. La décharge ressemblant à une flamme sur la photo mesure près de 20 m.
Deuxième question : comment réduire la force freinant la masse de l’humanité ? - La science des "téléautomates".
Comme je l’ai déjà dit plus haut, la force qui ralentit l’humanité dans sa
marche est en partie une force de friction et en partie une force négative. Pour
illustrer la différence entre ces deux forces, je dirai, par exemple, que
l’ignorance, la bêtise et l’imbécillité sont des forces de pure friction, ou des
résistances, dépourvues de toute tendance directionnelle. Quant aux fantasmes, à
la démence, aux tendances autodestructrices, au fanatisme religieux, et aux
types de comportement analogues, ce sont tous des forces à caractère négatif,
qui agissent dans des directions bien définies. Afin de réduire, voire de
vaincre ces forces de freinage dissemblables, il faut utiliser diverses méthodes
radicalement différentes. Par exemple, on sait ce dont un fanatique est capable,
et on peut prendre des mesures préventives, on peut lui expliquer, le convaincre
et même le remettre dans le droit chemin et changer son vice en vertu ; mais il
est impossible de prévoir les actes d’une brute ou d’un imbécile et on est
obligé d’agir avec lui comme on le ferait avec une masse inerte, sans jugeote,
déchaînée par les éléments furieux. Une force négative sous-entend la présence
de quelque talent, qui est parfois remarquable, bien que mal orienté, mais qu’il
est possible de maîtriser et de dompter à l’avantage de la personne. Par contre,
une force de friction sauvage sous-entend immanquablement des dégâts. Par
conséquent, la première réponse d’ordre général à la question ci-dessus est : il
faut remettre toutes les forces négatives dans le droit chemin et réduire toutes
les forces de friction.
Il ne fait aucun doute que, parmi toutes les résistances de friction, celle qui
retarde le plus la progression de l’humanité est l’ignorance. Ce n’est pas sans
raison que le sage Bouddha a dit : "l’ignorance est la plus grande plaie dans ce
monde." La friction qui résulte de l’ignorance, et qui est largement amplifiée
par les nombreuses langues et nationalités, ne peut être réduite que par la
diffusion de la connaissance et la réunification de tous les éléments
hétérogènes de l’humanité ; ce devrait être notre objectif principal. Bien que
l’ignorance ait retardé la marche en avant de l’homme dans le passé, il est
manifeste qu’aujourd’hui, ce sont les forces négatives qui prédominent. Parmi
elles sévit une force beaucoup plus importante que les autres, à savoir les
organisations militaires. Si nous considérons les millions d’individus - souvent
les plus capables d’un point de vue mental et physique et qui sont le fleuron de
l’humanité - contraints à une vie d’inactivité et de non-productivité, si nous
considérons les immenses sommes d’argent nécessaires à l’entretien quotidien des
armées et des machines de guerre qui demande un gros investissement humain, et
tous ces efforts inutiles consacrés à la production d’armes et d’instruments de
destruction, les pertes humaines et l’entretien d’un esprit barbare, il y a de
quoi être consterné devant cet énorme gâchis résultant de ce contexte
déplorable. Comment pouvons-nous combattre au mieux ce terrible fléau ?
Les lois et l’ordre public nécessitent le maintien de forces organisées. Aucune
communauté ne peut exister et prospérer sans une discipline rigoureuse. Chaque
pays doit pouvoir se défendre au besoin. La situation actuelle n’est pas le
fruit du passé, et un changement radical ne peut pas s’opérer dès demain. Si les
nations procédaient au désarmement en même temps, il est plus que probable que
s’ensuivrait une situation pire que la guerre elle-même. La paix universelle est
un très bel objectif, toutefois il ne peut être atteint d’un seul coup. Nous
avons vu dernièrement que même les efforts les plus nobles des hommes investis
de la plus grande puissance mondiale, n’ont pratiquement eu aucun effet. Et ce
n’est pas étonnant, car l’instauration de la paix universelle est, pour le
moment, matériellement impossible. La guerre est une force négative qui ne peut
pas être transmuée en énergie positive, sans passer d’abord par les phases
intermédiaires. C’est comme si l’on cherchait à faire tourner en sens opposé une
roue en mouvement, sans d’abord la freiner, l’arrêter et la faire repartir dans
l’autre sens.
On a prétendu que le perfectionnement d’armes de destruction massive mettrait un
terme aux guerres. J’ai partagé ce sentiment moi-même pendant très longtemps,
mais aujourd’hui je m’aperçois que c’est une grosse erreur. De tels
développements en modifieront le déroulement, mais ils ne les empêcheront pas.
Au contraire, je pense que chaque invention d’une arme nouvelle et chaque
nouvelle recherche dans cette direction, ne font qu’appâter de nouveaux talents
et compétences et attiser une nouvelle ardeur, car elles représentent un
aiguillon et sont donc génératrices d’une force d’impulsion pour de nouveaux
développements. Prenons comme exemple la découverte de la poudre à canon.
Pouvons-nous imaginer un changement plus radical que celui qui a fait suite à
cette découverte ? Imaginons que nous vivions à cette époque : n’aurions-nous
pas pensé que le temps des guerres était révolu, maintenant que l’armure du
chevalier devenait un accessoire ridicule et que la force physique et l’adresse,
jusque-là vitales, perdaient toute leur valeur ? Pourtant, la poudre à canon n’a
pas arrêté les guerres, bien au contraire, ce fut un stimulant puissant. Je ne
crois pas non plus que les guerres pourront un jour cesser par le truchement de
quelque développement scientifique ou idéologique, aussi longtemps que règneront
des conditions semblables ou analogues à celles d’aujourd’hui, car la guerre est
elle-même devenue une science et elle en appelle à certains sentiments les plus
sacrés dont l’homme soit capable. En fait, on peut se demander si un homme qui
refuserait de se battre au nom d’un principe élevé serait bon à quoi que ce
soit. Ce n’est pas l’esprit qui fait l’homme, ni le corps du reste ; c’est
l’esprit et le corps. Nos vertus et nos faiblesses sont inséparables, comme le
sont l’énergie et la matière. L’homme n’existe pas en dehors de cette dualité.
Un autre argument de poids entendu fréquemment, dit que les guerres deviendront
bientôt impossibles, sous prétexte que les moyens de défense surpassent les
moyens d’attaque. Cette assertion est conforme à une loi fondamentale qui, en
substance, dit qu’il est plus facile de détruire que de construire. Cette loi
définit les compétences et la place de l’homme. Parce que s’il était plus facile
de construire que de détruire, rien n’arrêterait plus l’homme de créer et
d’accumuler sans limites. Cette conjoncture est impossible sur notre terre. Si
un être avait un tel pouvoir, il ne serait pas un homme, mais un dieu. La
défense aura toujours l’avantage sur l’offensive, mais il me semble qu’elle ne
suffise pas pour arrêter les guerres. Il est possible de rendre les ports
imprenables en mettant en place de nouveaux systèmes de défense, toutefois
ceux-ci ne vont pas empêcher deux navires de guerre de s’affronter en haute mer.
Et puis, si nous allons au bout de ce raisonnement, nous arriverons à la
conclusion qu’il vaudrait mieux pour l’humanité que les rapports de force entre
l’attaque et la défense soient inversés. Car si chaque pays, même le plus petit,
pouvait s’entourer d’un mur complètement infranchissable et pouvait défier le
reste du monde, on arriverait à une situation extrêmement défavorable au progrès
de l’humanité. C’est en abolissant toutes les barrières qui séparent les peuples
et les pays que la civilisation peut avancer le mieux.
D’autres encore prétendent que l’avènement de l’industrie aéronautique va
favoriser la paix universelle. Cependant, je crois que là aussi, on se fourvoie
totalement. Cette industrie va certainement émerger bientôt, mais elle ne
changera rien à la situation. En fait, je ne vois pas pourquoi une grande
puissance comme la Grande-Bretagne ne règnerait pas sur les airs comme sur les
mers. Je ne voudrais pas que l’on me prenne pour un prophète, toutefois, je suis
sûr que dans les prochaines années naîtra une "puissance de l’air" et que son
centre ne sera pas loin de New York. Néanmoins, les hommes continueront
joyeusement de se battre.
Dans l’idéal, le développement du principe de guerre devrait finalement conduire
à la transformation de toute l’énergie de guerre en une énergie explosive
purement potentielle, comme celle d’un condensateur électrique. De cette
manière, l’énergie de guerre pourrait être conservée sans peine ; de quantité
nettement moindre, elle pourrait cependant être beaucoup plus efficace.
Quant à la sécurité d’un pays face à une invasion étrangère, il est intéressant
de relever qu’elle ne dépend que du nombre relatif - et non absolu - des
individus et de l’importance de leurs forces et que, si chaque pays réduisait sa
puissance de guerre dans les mêmes proportions, la sécurité s’en trouverait
inchangée. C’est pourquoi il faudrait un traité international, dont l’objectif
serait de réduire ces forces de guerre à un minimum - qui reste absolument
indispensable, en raison de l’éducation toujours imparfaite des masses. C’est le
premier pas sensé, si on cherche à réduire la force qui freine l’humanité dans
sa progression.
Heureusement, il est impossible que les conditions actuelles perdurent
indéfiniment, car un nouveau facteur commence à s’imposer. Les choses vont
changer pour le mieux, c’est imminent, et je vais maintenant tenter de vous
montrer ce qui, selon moi, sera la première avancée vers l’instauration de
relations pacifiques entre les pays et par quels moyens elle pourra finalement
être réalisée.
Remontons aux tout débuts, lorsque la loi du plus fort était la seule loi.
L’étincelle de la raison n’existait pas encore et le faible était totalement à
la merci du plus fort. Le faible alors commença à apprendre à se défendre. Il se
servit d’une massue, de pierres, d’une lance, d’une fronde, d’un arc et de
flèches et, au fil du temps, l’intelligence vint remplacer la force physique
comme facteur décisif dans ses affrontements. Son caractère sauvage fut petit à
petit tempéré par l’apparition de sentiments plus nobles et ainsi,
imperceptiblement, après des siècles de progrès continus, nous avons passé de la
bataille sauvage de la bête aveugle à ce que nous appelons "la guerre civilisée"
d’aujourd’hui, au cours de laquelle les antagonistes se serrent les mains, se
parlent avec courtoisie et fument des cigares durant les trêves, prêts à
reprendre le conflit meurtrier au premier signal. Laissez dire les pessimistes,
car c’est la preuve manifeste que l’homme a fait de grands et heureux progrès.
Et maintenant, quelle est la prochaine étape dans cette évolution ? Il n’est pas
encore question de paix, loin de là. Le prochain changement qui devrait
naturellement suivre les développements modernes, est la réduction continue du
nombre d’individus engagés dans les guerres. Les dispositifs de guerre auront
une puissance extrêmement grande, mais ne demanderont que peu d’hommes pour les
manœuvrer. Cette évolution permettra la mise en place progressive d’une machine
ou d’un mécanisme nécessitant de moins en moins d’opérateurs militaires, et il
va de soi que les grandes unités lourdes, lentes et difficilement gérables
seront abandonnées. L’objectif principal sera d’obtenir un dispositif de guerre
ayant une vitesse et une puissance énergétique maximum. Les pertes humaines
deviendront toujours plus faibles et, finalement, le nombre des personnes
engagées dans les conflits diminuera ; le combat s’exercera alors seulement
entre les machines, il n’y aura plus de sang versé, et les nations en seront les
spectateurs concernés et présomptueux. Lorsque cette situation heureuse sera
effective, la paix sera assurée. Toutefois, quel que soit le degré de perfection
que l’on va apporter aux canons à tir rapide, aux canons de haute puissance, aux
projectiles explosifs, aux torpilleurs ou à d’autres dispositifs de guerre, quel
que soit leur degré de pouvoir destructif, cette condition ne pourra jamais être
atteinte avec ce type de développement. Tous ces instruments ont besoin
d’opérateurs : les machines ne peuvent pas se passer des hommes. Leur objectif
est de tuer et de détruire. Leur puissance réside dans leur capacité à faire le
mal. Aussi longtemps que les hommes se rencontreront sur des champs de bataille,
le sang sera versé. Et le sang versé entretiendra toujours des passions
barbares. Afin de briser cet esprit implacable, il faut renverser la vapeur,
faire adopter un tout nouveau principe, quelque chose qui n’a jamais existé en
temps de guerre : un principe qui, forcément, inévitablement, va transformer la
bataille en simple spectacle, en pièce de théâtre, un conflit sans sang versé.
Pour atteindre ce résultat, il faudra pouvoir se passer des hommes : les
machines devront se battre entre elles. Mais comment atteindre ce qui paraît
impossible ? La réponse est pourtant assez simple : construire une machine
capable de se comporter comme si elle faisait partie d’un être humain - pas un
simple appareil mécanique fait de leviers, de vis, de roues, de pièces
intermédiaires et rien de plus, mais une machine possédant un principe
supérieur, qui lui permettra de fonctionner comme si elle était pourvue
d’intelligence, d’expérience, de raisonnement, de jugement, bref, d’un cerveau !
Je suis arrivé à cette conclusion après une vie de réflexions et d’observations,
et je vais maintenant vous décrire brièvement comment j’ai réussi à accomplir ce
qui, au début, ne semblait être qu’un rêve irréalisable.
Il y a très longtemps, lorsque j’étais un petit garçon, je souffrais de troubles
singuliers qui, semble-t-il, étaient dus à une extraordinaire excitabilité de la
rétine. Je voyais apparaître des images qui étaient tellement persistantes
qu’elles troublaient ma vue des objets réels et entraient en interférence avec
mes pensées. Lorsqu’on prononçait un mot devant moi, l’image de son concept se
présentait alors de manière vivante devant mes yeux et, très souvent, il m’était
impossible de dire si l’objet que je voyais était réel ou non. Ce phénomène me
gênait beaucoup et m’angoissait, et j’ai tout essayé pour me débarrasser de ce
sort. Mes tentatives furent vaines pendant longtemps et, je m’en souviens très
bien, ce n’est que vers l’âge de 12 ans que j’ai réussi, pour la première fois,
à effacer par la force de ma volonté une image qui s’était présentée. Je n’ai
jamais été aussi heureux mais, malheureusement (du moins c’est ce que je pensais
à l’époque), mes troubles réapparurent et mon anxiété avec eux. C’est alors que
mes observations dont je parlais plus haut ont commencé.
Je remarquai, notamment, que chaque fois que l’image d’un objet apparaissait
devant mes yeux, j’avais vu auparavant quelque chose qui me faisait penser à
lui. Au début, je crus que c’était accidentel, cependant je me suis vite aperçu
qu’il n’en était rien. Une impression visuelle, reçue consciemment ou non,
précédait invariablement l’apparition de l’image. Peu à peu, mon désir de
trouver, à chaque fois, ce qui était à l’origine de cette apparition d’images,
se transforma bientôt en besoin. J’observai ensuite que, si ces images suivaient
ma perception de quelque chose, mes pensées, elles aussi, étaient conditionnées
de la même manière. Et là encore, j’eus le même désir de savoir quelle image
avait déclenché mes pensées ; la recherche de cette impression visuelle
originelle devint bientôt ma seconde nature. Cela devint un automatisme mental
pour ainsi dire et, au fil des ans, cette pratique continue et presque
inconsciente développa mon aptitude à localiser à chaque fois et, en règle
générale, instantanément l’impression visuelle qui déclenchait mes pensées.
Toutefois, ce n’est pas tout. Peu de temps après, je m’aperçus que mes
mouvements s’exécutaient de la même manière, et à force de recherches,
d’observations, de vérifications continues, année après année, je fus très
heureux de pouvoir prouver, quotidiennement, par chacune de mes pensées et
chacun de mes mouvements, que je suis un automate capable de se mouvoir, que ces
mouvements ne font que répondre à des stimuli externes qui impressionnent mes
organes sensoriels, et que je pense, agis et me déplace en conséquence. Je ne me
souviens que d’un cas ou deux dans toute ma vie, où je fus incapable de
localiser la première impression qui suggéra un mouvement, une pensée, ou même
un rêve.
Fort de ces expériences, il m’est tout naturellement venu l’idée, il y a très
longtemps, de construire un automate qui me représenterait d’un point de vue
mécanique et qui réagirait comme je le fais aux influences extérieures, mais
bien sûr d’une manière beaucoup plus primitive. Par ailleurs, il me fallait
équiper cet automate d’une force motrice, d’organes de mouvement, d’organes de
commande et d’un ou plusieurs organes sensoriels, adaptés de telle façon qu’ils
puissent être excités par des stimuli externes. Je pensais que cette machine
allait exécuter ses mouvements comme un être humain, dans la mesure où elle
possédait toutes ses principales caractéristiques, ou composants, mécaniques.
Pour compléter ce modèle, seules manquaient alors la capacité de croissance, de
propagation et, surtout, l’intelligence. Dans ce cas précis, néanmoins, la
capacité de croissance n’était pas nécessaire, puisque l’on peut construire une
machine dont le développement est terminé, pour ainsi dire. Quant à sa capacité
de propagation, on peut pareillement s’en passer, puisque dans un modèle
mécanique, elle concerne seulement le processus de fabrication. Peu importe que
l’automate soit constitué de chair et de sang ou de bois et de métal, pourvu
qu’il soit capable de remplir toutes les tâches d’un être intelligent. Pour
cela, il lui fallait un élément correspondant au mental qui contrôlerait tous
les mouvements et opérations, et le ferait agir en toutes circonstances
inattendues, en toute connaissance de cause, avec bon sens, jugeote et
expérience. Il m’était facile d’incorporer cet élément dans la machine, en lui
transmettant ma propre intelligence et ma propre compréhension. Je développai
donc cette invention, et une nouvelle science venait de naître, à laquelle on
donna le nom de "Téléautomatique", ce qui veut dire art de contrôler à distance
les mouvements et opérations des automates. (Nous dirions aujourd’hui la
robotique)
Ce principe pouvait évidemment être appliqué à tout type de machine se déplaçant
sur terre, sur mer ou dans les airs. Lorsque je le mis en pratique la toute
première fois, je choisis un sous-marin (voir figure 2). À l’intérieur, se
trouvait une batterie à accumulation qui fournissait la puissance motrice.
L’hélice, actionnée par un moteur, représentait l’organe de locomotion. Le
gouvernail, actionné par un autre moteur alimenté également par la batterie,
représentait les organes de commande. Quant à l’organe sensoriel, j’ai d’abord
pensé utiliser un dispositif sensible aux rayons lumineux, comme une pile de
sélénium, pour représenter l’œil humain. Toutefois, après réflexion suite à des
difficultés expérimentales et autres, j’en conclus que le contrôle de l’automate
ne pouvait pas s’effectuer de manière entièrement satisfaisante par la lumière,
la chaleur radiante, les radiations hertziennes, ou par des rayons en général,
c’est-à-dire par des perturbations qui passent en lignes droites à travers
l’espace. Une des raisons était que tout obstacle entrant dans le champ entre
l’opérateur et l’automate empêcherait le contrôle de ce dernier. Une autre
raison était que l’appareil sensitif, représentant l’œil, devait être placé dans
une position bien définie par rapport à l’appareil de contrôle à distance, et
cette obligation limitait grandement le contrôle. Une troisième raison très
importante était qu’avec l’utilisation de rayons il deviendrait difficile, voire
impossible, de transmettre à l’automate des caractéristiques personnelles ou qui
le distinguerait d’autres machines de ce type. Il fallait que l’automate réponde
à un seul signal, tout comme une personne répond à un nom. Tous ces facteurs
m’ont amené à penser que l’appareil sensoriel de la machine devait correspondre
à l’oreille plutôt qu’à l’œil d’un être humain, car dans ce cas, ses actions
pourraient être contrôlées indépendamment d’éventuels obstacles, sans avoir à
tenir compte de sa position par rapport à l’appareil de contrôle à distance et,
enfin et surtout, il resterait sourd et insensible, comme un serviteur fidèle, à
tous les signaux, sauf à celui de son maître. Donc, pour le contrôle de
l’automate, il devenait impératif d’utiliser à la place des rayons, des ondes ou
des perturbations qui se propagent dans toutes les directions à travers
l’espace, comme les sons, ou qui suivent des lignes de moindre résistance,
quoique courbes. Je suis arrivé à mes fins en utilisant un circuit électrique
placé à l’intérieur du bateau, et en l’ajustant ou en l’ "accordant" exactement
sur les vibrations électriques de même nature que celles qui lui étaient
transmises par un "oscillateur électrique" à distance. Ce circuit en réagissant,
quoique faiblement, aux vibrations transmises, influait sur des aimants et
d’autres dispositifs qui commandaient les mouvements de l’hélice et du
gouvernail, ainsi que les opérations de nombreux autres appareils.
2 : "Le premier Téléautomate utilisable en pratique". Machine dont tous les mouvements physiques et de translation, toutes les opérations du mécanisme intérieur sont contrôlés à distance, sans fil. Le sous-marin représenté sur la photo n’a pas d’équipage, il contient sa propre force motrice, son moteur à propulsion et de direction et de nombreux autres accessoires, qui sont tous contrôlés à distance et sans fil, par la transmission de vibrations électriques vers un circuit intégré dans le bateau et réglé de manière qu’il ne réponde qu’à ces seules vibrations.
C’est avec ces moyens très simples que je viens de décrire que
l’intelligence, l’expérience et la capacité de jugement de l’opérateur à
distance - son mental, pour ainsi dire - furent incorporés dans cette machine
qui, partant, devenait capable de se mouvoir et d’effectuer toutes ses
opérations avec bon sens et intelligence. Elle se comportait tout comme l’aurait
fait une personne qui, les yeux bandés, obéit aux directives qu’elle reçoit par
son ouïe.
Les automates qui ont été construits jusqu’à ce jour avaient "un mental
emprunté", si l’on peut dire, car chacun n’était qu’une partie de l’opérateur à
distance qui leur transmettait ses ordres intelligents ; toutefois cette science
est encore balbutiante. Bien que cela ne soit pas concevable à l’heure actuelle,
mon but est de démontrer que l’on peut inventer un automate qui aurait son
"propre mental", et par-là j’entends qu’il sera indépendant de tout opérateur,
livré entièrement à lui-même et capable de réagir à des facteurs externes
affectant ses organes sensoriels et d’effectuer une grande diversité d’actes et
d’opérations, comme s’il était pourvu d’intelligence. Il sera capable de suivre
un trajet préétabli, ou d’obéir à des ordres donnés longtemps à l’avance. Il
sera capable de discerner entre ce qu’il doit ou ne doit pas faire, de faire des
expériences ou, en d’autres termes, d’enregistrer des impressions qui auront un
rôle décisif dans ses actions subséquentes. En fait, j’ai déjà conçu un tel
plan.
Bien que j’aie construit cette invention il y a de nombreuses années, et que je
l’aie très souvent expliquée aux visiteurs lors de démonstrations dans mon
laboratoire, ce n’est que bien plus tard, et après que je l’eus perfectionnée,
qu’elle devint connue et que - et c’est tout naturel - elle donna lieu à des
polémiques et fut l’objet de rapports sensationnels. Cependant, la plupart des
gens n’ont ni saisi la véritable signification de cette nouvelle science, ni
reconnu l’immense potentiel du principe sous-jacent. Pour autant que j’aie pu en
juger des nombreux commentaires qui fusèrent alors, les résultats que j’ai
obtenus étaient considérés comme étant parfaitement impossibles. Même les rares
personnes qui étaient prêtes à admettre la faisabilité de mon invention, ne lui
accordaient pas plus de valeur qu’à une torpille autopropulsée, destinée à faire
sauter des navires de guerre, mais dont le succès n’était pas garanti. Comme il
existe des torpilles guidées par des fils électriques et des moyens de
communication sans fil, on en a déduit, d’une manière générale, que j’avais
simplement réussi à diriger un tel bateau avec des rayons hertziens ou autres.
Si mes résultats devaient se limiter à cela, mes progrès auraient, en effet, été
bien minces. Toutefois, la science que j’ai développée ne se contente pas de
faire changer de direction un navire en déplacement ; elle offre les moyens de
contrôler parfaitement, à tous égards, les innombrables mouvements de
translation, comme toutes les opérations de tous les organes internes d’un
automate individualisé, quel que soit leur nombre. Les critiques du contrôle de
l’automate à distance émanaient de personnes qui n’ont aucune idée des
merveilleux résultats que l’on peut obtenir en utilisant des vibrations
électriques. La science avance lentement, et il est difficile de faire face à,
et d’accepter, de nouvelles vérités. Évidemment, ce principe permet de
développer des armes tant pour la défense que pour l’attaque, et leur puissance
de destruction est d’autant plus grande que la méthode peut être utilisée aussi
bien dans les sous-marins que dans l’aéronavale. Il n’y a pratiquement pas de
limites quant à la quantité d’explosifs qu’une telle machine peut transporter,
ou à la distance à laquelle elle peut frapper, et il est quasiment impossible
d’échouer. En outre, la puissance de cette nouvelle méthode ne réside pas
uniquement dans son pouvoir de destruction. Elle introduit dans les guerres un
élément qui jusqu’ici n’a jamais existé : une machine de combat sans équipage,
qui peut servir les assaillants comme les défenseurs. Les développements
continus dans cette direction doivent finalement faire de la guerre un combat
entre machines, sans hommes et sans victimes - une situation qu’il est
impossible d’atteindre sans cette nouvelle invention mais qui, à mon avis, est
nécessaire en tant que préliminaire à une paix durable. L’avenir dira si j’ai eu
raison ou tort. J’ai exposé mes idées sur ce sujet avec une profonde conviction,
quoique en toute humilité.
L’instauration de relations pacifiques durables entre les pays serait le
meilleur moyen de réduire la force qui empêche l’humanité d’avancer et, partant,
serait la meilleure solution à cet important problème de l’humanité. Le rêve
d’une paix universelle se réalisera-t-il jamais ? Espérons-le. Lorsque toute
l’obscurité sera dissipée à la lumière de la science, lorsque toutes les nations
n’en feront qu’une et que le patriotisme sera l’égal de la religion, lorsque
tous parleront la même langue, qu’il n’y aura plus qu’un seul pays, un seul but,
alors le rêve sera devenu réalité.
Troisième question : comment augmenter la force d’accélération de la masse humaine ? - L’exploitation de l’énergie solaire.
Des trois solutions possibles au problème majeur de l’intensification de
l’énergie humaine, celle-ci est de loin la plus importante, non seulement à
cause de sa signification intrinsèque, mais aussi parce qu’elle est en rapport
intime avec tous les nombreux facteurs et conditions qui déterminent la marche
de l’humanité. Afin de procéder avec méthode, il va falloir que je m’étende sur
tous les facteurs qui, depuis le début de mes recherches, m’ont permis de
trouver une solution, et qui m’ont conduit, petit à petit, aux résultats que je
vais décrire maintenant. En ce qui concerne les forces majeures qui déterminent
la marche en avant, il serait intéressant de revenir, dans un premier temps, sur
l’étude analytique que j’ai faite, ne serait-ce que pour donner une idée de
cette "vitesse" hypothétique qui, comme cela a été dit au début, sert à mesurer
l’énergie humaine ; toutefois, si j’allais au fond de la chose maintenant, comme
je désirerais le faire, cela me conduirait hors du cadre du sujet présent. Il me
suffit de préciser que la résultante de toutes ces forces va toujours dans la
direction de la raison et que c’est donc elle qui détermine, à tout moment, la
direction de la marche de l’humanité. Cela signifie que tous les efforts
entrepris dans le domaine scientifique, qu’ils soient d’ordre rationnel, utile
ou pratique, doivent aller dans le sens dans lequel se déplace l’humanité.
L’homme pratique et rationnel, le scientifique, l’homme d’affaires, le
philosophe, le mathématicien ou le prévisionniste doit soigneusement planifier
son travail, pour que ses effets aillent dans la direction de ce mouvement, car
c’est alors qu’il sera le plus efficace ; c’est dans cette connaissance et cette
compétence que réside le secret de son succès. Toute nouvelle découverte, toute
nouvelle expérience ou tout nouveau facteur qui vient enrichir notre
connaissance et qui est du domaine de la raison, aura des répercussions sur ce
dernier et partant changera la direction du mouvement ; toutefois, celui-ci
devra toujours aller dans le sens de la résultante de tous ces efforts qu’à ce
moment-là nous estimons sensés, c’est-à-dire protecteurs de l’homme, utiles,
profitables ou pratiques. Ces efforts concernent notre vie quotidienne, nos
besoins et notre bien-être, notre travail et nos affaires, et ce sont eux qui
font avancer l’humanité.
Toutefois, lorsque nous regardons ce monde affairé tout autour de nous, cette
masse complexe qui journellement palpite d’activités, que voyons-nous, si ce
n’est un immense rouage d’horloge actionné par un ressort ? Dès que nous nous
levons le matin, nous sommes bien obligés de constater que tout ce qui nous
entoure a été fabriqué par des machines : l’eau que nous utilisons a été pompée
hors du sol par l’énergie vapeur ; notre petit-déjeuner vient de très loin par
train ; les ascenseurs dans nos maisons et bureaux, les voitures qui nous y
emmènent, fonctionnent tous à l’énergie ; lorsque nous faisons nos courses et
dans toutes nos occupations journalières, nous dépendons encore d’elle ; tous
les objets qui nous entourent nous en parlent ; et le soir, lorsque nous
rentrons dans nos habitations fabriquées par les machines, tout le confort
matériel de notre maison, notre poêle bien chaud et nos lampes nous rappellent,
de peur que nous ne l’oubliions, combien nous sommes dépendants de l’énergie. Et
si par malheur les machines s’arrêtent, lorsque la ville est paralysée par la
neige ou que les activités qui entretiennent la vie sont arrêtées par quelque
phénomène temporaire, nous réalisons avec effroi qu’il nous serait impossible de
vivre sans énergie motrice. Énergie motrice veut dire travail. C’est pourquoi
intensifier la force d’accélération de la marche de l’humanité signifie exécuter
plus de travail.
Nous pouvons donc dire que les trois solutions possibles au gros problème de
l’accroissement de l’énergie humaine, peuvent se résumer en trois mots :
nourriture, paix et travail. Pendant des années, j’ai réfléchi et médité, je me
suis égaré dans des spéculations et des théories en considérant l’humanité comme
une masse mue par une force, comparant son mouvement inexplicable avec un
mouvement mécanique ; cependant, en appliquant les lois rudimentaires de la
mécanique à l’analyse de ce dernier, j’ai finalement trouvé ces solutions, et
j’ai réalisé qu’elles m’avaient déjà été enseignées dans ma petite enfance. Ces
trois mots sont les piliers du christianisme. Leur signification scientifique et
leur sens sont devenus clairs pour moi : la nourriture doit augmenter la masse,
la paix doit ralentir la force de freinage, et le travail doit intensifier la
force d’accélération de la marche de l’humanité. Ce sont les trois seules
solutions possibles à cet important problème, et chacune d’elles a la même
fonction et vise le même but, à savoir l’intensification de l’énergie humaine. À
la lumière de ceci, nous serons obligés de reconnaître que la religion
chrétienne est remplie de sagesse, d’une profondeur scientifique et d’un grand
sens pratique, et qu’elle est en contraste très net avec les autres religions.
Elle est immanquablement le résultat d’expérimentations pratiques et
d’observations scientifiques conduites pendant des siècles, alors que d’autres
religions semblent issues de seuls raisonnements abstraits. Ses commandements
principaux et récursifs sont le travail, d’inlassables efforts utiles et
enrichissants, entrecoupés de périodes de repos et de récupération dans le but
d’atteindre une plus grande efficacité. C’est donc à la fois le christianisme et
la Science qui nous inspirent pour que nous donnions le meilleur de nous-mêmes,
afin d’augmenter les performances de l’humanité. C’est ce problème, qui est le
plus important de tous les problèmes de l’humanité, que j’aimerais approfondir
maintenant.
La source de l’énergie humaine - Les trois méthodes d’exploitation de l’énergie solaire.
Posons-nous tout d’abord la question suivante : d’où vient toute cette force
motrice ? Quel est le ressort qui fait tout avancer ? Nous voyons l’océan monter
et descendre, les rivières s’écouler, le vent, la pluie, la grêle et la neige
battre contre nos fenêtres, les trains et les bateaux à vapeur partir et revenir
; nous entendons le cliquetis des véhicules, les rumeurs dans les rues ; nous
touchons, sentons et goûtons, et nous philosophons sur tout cela. Tous ces
mouvements, depuis le flux de l’immense océan jusqu’à celui, très subtil,
engendré par notre pensée, ont tous la même origine. Toute cette énergie émane
d’un seul centre, d’une seule source : le soleil. Le soleil est le ressort qui
fait tout avancer. Le soleil entretient toutes les vies humaines et fournit aux
hommes leur énergie. Voici donc une nouvelle réponse à la grande question qui
nous préoccupe : pour augmenter la force d’accélération de la marche de
l’humanité, il faut mettre plus d’énergie solaire à son service. Nous honorons
et vénérons ces grands hommes du passé dont les noms rappellent leurs succès
immortels et qui furent des bienfaiteurs de l’humanité : le réformateur
religieux et ses maximes de vie remplies de sagesse, le philosophe et ses
profondes vérités, le mathématicien et ses formules, le physicien et ses lois,
l’explorateur avec ses principes et secrets arrachés à la nature, l’artiste et
ses œuvres d’art ; mais qui l’honore, lui, le plus grand de tous - qui connaît
seulement son nom ? - celui qui, pour la première fois, a utilisé l’énergie
solaire pour faciliter le travail d’un prochain plus faible que lui ? Ce fut le
premier acte philanthropique dans l’histoire de l’humanité et ses conséquences
furent inestimables.
L’homme disposait, depuis les tout débuts déjà, de trois possibilités pour
exploiter l’énergie solaire. L’homme des cavernes, quand il réchauffait ses
membres engourdis par le froid autour d’un feu qu’il avait réussi à allumer, se
servait de l’énergie solaire emmagasinée dans son combustible. Lorsqu’il portait
un fagot dans sa caverne pour y faire un feu, il transportait l’énergie solaire
emmagasinée d’un endroit à un autre pour ensuite l’utiliser. Lorsqu’il hissait
la voile sur son embarcation, il utilisait l’énergie solaire transmise à
l’atmosphère ou au milieu environnant. Il ne fait aucun doute que la première
utilisation citée est la plus ancienne. La découverte fortuite du feu apprit à
l’homme sauvage à apprécier sa chaleur bienfaisante. Ensuite est probablement
née en lui l’idée de transporter les braises rougeoyantes dans son abri. Et
finalement, il apprit à se servir de la force des courants rapides de l’eau et
de l’air. Il est caractéristique que dans les développements modernes les
progrès se soient effectués dans le même ordre. L’utilisation de l’énergie
emmagasinée dans le bois ou le charbon ou, d’une manière plus générale, dans les
combustibles, conduisit à l’invention de la machine à vapeur. Ensuite, de grands
progrès furent réalisés dans le cadre du transport de l’énergie, avec
l’utilisation de l’électricité, qui permettait de transmettre l’énergie d’un
point à un autre sans avoir à transporter le combustible. Mais pour ce qui est
de l’utilisation de l’énergie dans le milieu ambiant, il semblerait qu’aucun
progrès n’ait encore été réalisé.
Les derniers résultats des développements dans ces trois domaines sont :
premièrement, la combustion froide de charbon dans une pile ; deuxièmement,
l’utilisation efficace de l’énergie du milieu environnant ; et troisièmement, la
transmission de l’énergie électrique sans fil vers n’importe quel lieu. Quel que
soit le moyen pour arriver à ces résultats, leur application pratique nécessite
un emploi massif de fer, et ce métal inestimable jouera sans aucun doute un rôle
essentiel dans les développements à venir dans ces trois domaines. Si nous
réussissons à brûler du charbon par un processus froid et si nous obtenons donc
de l’énergie électrique d’une manière efficace et peu coûteuse, nous aurons
souvent besoin de moteurs électriques dans le cadre de nos utilisations
pratiques de cette énergie, c’est-à-dire de fer. Pour tirer l’énergie du milieu
et pour utiliser cette énergie, nous aurons besoin de machines, donc encore de
fer. Si nous voulons transmettre l’énergie électrique sans fil à une échelle
industrielle, nous serons appelés à utiliser de nombreux générateurs
d’électricité, donc encore une fois, du fer. Quoi que nous décidions de faire,
le fer sera vraisemblablement, encore plus que par le passé, la ressource
principale pour atteindre nos objectifs dans un futur proche. Il est difficile
de dire pendant combien de temps son règne durera, car aujourd’hui déjà
l’aluminium apparaît comme un rival menaçant. Pour le moment et parallèlement à
la recherche de nouvelles sources d’énergie, il est essentiel de progresser dans
la fabrication et l’utilisation du fer. De gros progrès sont possibles dans ces
derniers domaines et ils sont susceptibles d’augmenter considérablement la
productivité de l’humanité.
Les grandes possibilités offertes par le fer pour augmenter la productivité de l’humanité - Le terrible gaspillage dans la fabrication du fer.
De nos jours, le fer est de loin le facteur de progrès le plus important. Il
contribue, plus que tout autre produit industriel, à accélérer la marche de
l’humanité. L’utilisation de ce métal est devenue tellement courante et sa
relation avec tout ce qui concerne notre vie est si intime, qu’il nous est
devenu aussi indispensable que l’air que nous respirons. Son nom est synonyme
d’utilité. Bien que l’influence du fer soit importante dans le développement
actuel de l’humanité, sa contribution effective à la force poussant l’humanité
en avant, est largement inférieure à ce qu’elle pourrait être. Tout d’abord,
telle quelle est menée actuellement, sa fabrication engendre un énorme
gaspillage de combustible, c’est-à-dire d’énergie. Par ailleurs, une partie
seulement du fer obtenu est utilisée à des fins utiles. Une bonne partie va
créer des résistances de friction, tandis qu’une autre grande partie va servir à
développer des forces négatives qui retardent grandement l’avancée de
l’humanité. C’est ainsi que la force négative de la guerre est presque
entièrement constituée de fer. Il est impossible d’estimer avec précision
l’ordre de grandeur de cette force de freinage la plus importante de toutes,
mais elle est certainement très considérable. Si, par exemple, 10 représente la
force d’impulsion positive actuelle résultant de toutes les utilisations utiles
du fer, je ne pense pas exagérer en estimant la force négative de la guerre
autour de 6, en considérant toutes ses influences et résultats négatifs. Sur la
base de ces estimations, la force d’impulsion effective du fer agissant dans la
bonne direction, sera la différence entre les deux nombres, soit 4. Mais si la
fabrication des machines de guerre cessait, par le biais de l’instauration de la
paix universelle, et si toutes les luttes pour la suprématie entre les pays se
transformaient en compétition commerciale productive, durable et saine, la force
d’impulsion positive apportée par le fer se mesurerait par la somme des deux
nombres, soit 16, ce qui veut dire que cette force serait du quadruple de sa
valeur actuelle. Bien sûr, cet exemple est juste donné pour que l’on ait une
idée de l’énorme augmentation de la productivité de l’humanité, qui pourrait
résulter d’une réforme radicale des industries sidérurgiques fournissant
l’artillerie.
Une autre économie d’énergie tout aussi inestimable pourrait être obtenue en
parant à l’énorme gaspillage de charbon qui est inévitablement lié aux
techniques de production de fer actuelles. Dans certains pays, comme la Grande
Bretagne, on commence à ressentir les douloureux effets de ce gaspillage de
combustible. Le prix du charbon ne cesse d’augmenter et les pauvres en souffrent
de plus en plus. Bien que nous soyons loin de "l’épuisement des mines de
charbon" tant redouté, la charité nous ordonne d’inventer de nouvelles méthodes
de production de fer, qui n’impliqueront pas de gaspillage barbare de ce
matériau précieux, dont nous tirons aujourd’hui la plus grande partie de notre
énergie. Il est de notre devoir de réserver ces stocks d’énergie aux générations
futures, ou du moins, de ne pas y toucher aussi longtemps que nous n’avons pas
trouvé le moyen de brûler le charbon de manière plus économique. Nos descendants
auront besoin de plus de combustible que nous. Nous devrions être capables de
fabriquer le fer dont nous avons besoin en utilisant l’énergie solaire, en ne
gaspillant pas de combustible du tout. L’idée de faire fondre le minerai de fer
avec des courants électriques obtenus à partir de chutes d’eau a, évidemment,
déjà surgi dans l’esprit de ceux qui travaillent dans ce sens. J’ai moi-même
passé beaucoup de temps à tenter de développer un procédé qui soit fonctionnel
et qui permettrait de produire du fer à peu de frais. Après avoir étudié ce
sujet plus à fond, j’ai découvert qu’il n’était pas rentable de fondre le
minerai directement avec le courant électrique et, partant, j’ai développé une
méthode qui est beaucoup plus économique.
Un nouveau procédé permettant une production économique du fer.
Avec ce projet industriel, tel que je l’avais développé il y a six ans, il
s’agissait d’utiliser le courant électrique obtenu à partir de chutes d’eau, non
pour faire fondre directement le minerai, mais pour décomposer l’eau dans un
premier temps. Afin de réduire les coûts de l’installation, je voulais produire
le courant dans des dynamos simples et très bon marché, que j’avais conçues
spécialement dans ce but. Il s’agissait de brûler ou de re-combiner l’hydrogène
libéré lors de la décomposition par électrolyse, avec l’oxygène de l’air, et non
avec l’oxygène dont il venait d’être séparé. De cette manière, la presque
totalité de l’électricité qui avait servi à la fission de l’eau était regagnée
sous forme de chaleur grâce à sa liaison avec l’hydrogène. C’est cette chaleur
qui devait servir à faire fondre le minerai. J’avais l’intention d’utiliser
l’oxygène obtenu comme sous-produit lors de la fission de l’eau, à d’autres fins
industrielles, ce qui aurait été certainement très rentable d’un point de vue
financier, car c’est le moyen le plus économique pour obtenir ce gaz en grandes
quantités. En tout cas, il aurait pu servir à brûler toutes sortes de déchets,
les hydrocarbures bon marché ou le charbon de mauvaise qualité que l’on ne peut
ni brûler à l’air libre, ni utiliser à d’autres fins utiles, ce qui permettait,
par ailleurs, d’obtenir beaucoup de chaleur pour faire fondre le minerai. Pour
que le procédé soit encore plus économique, j’envisageai, en outre, de prendre
des dispositions pour que le métal chaud et les produits de la combustion, en
sortant du feu, viennent chauffer le minerai avant qu’il ne soit placé dans le
feu, ce qui permettait de réduire considérablement la perte de chaleur lors de
la fonte. J’ai calculé que l’on pouvait fabriquer approximativement 20 000 kilos
de fer par cheval-vapeur, par an, avec ce procédé. J’en ai largement déduit les
pertes inévitables et la quantité citée ne représente que la moitié de celle que
l’on pourrait obtenir en théorie. Me basant sur des estimations et sur des
données pratiques se référant à un type de sable à minerai que l’on trouve en
grandes quantités dans la région des Grands Lacs et même en comptant les frais
de transport et de main d’œuvre, j’en conclus qu’en certains endroits, le fer
pouvait être fabriqué à bien moindre coût qu’avec toutes les autres méthodes
utilisées. Ce résultat pouvait s’obtenir d’autant plus facilement que l’oxygène,
obtenu à partir de l’eau, pouvait servir à d’autres fins plus profitables que
celle de faire fondre le minerai. L’installation augmenterait encore ses revenus
si la demande de ce gaz devenait plus forte et, partant, le fer deviendrait
encore meilleur marché. J’ai développé ce projet en visant essentiellement les
intérêts industriels et j’espère qu’un jour un merveilleux papillon industriel
sortira de la chrysalide poussiéreuse et endormie.
La production de fer à partir de sable à minerai par un principe de séparation
magnétique est en soi très avantageuse, puisqu’il n’y a aucune perte en charbon
; mais l’utilité de cette méthode est limitée car il faut ensuite faire fondre
le fer. Quant au concassage du minerai de fer, je pense que la seule manière
intelligente d’y procéder, serait d’utiliser la force hydraulique ou une autre
énergie obtenue autrement, sans brûler de combustible. Ce serait une grande
avancée dans la fabrication du fer, si on utilisait un procédé électrolytique
froid, car il permettrait d’extraire le fer à moindre coût et aussi de le fondre
en formes voulues, sans recourir à un combustible. Le fer, tout comme certains
autres métaux, n’a jusqu’ici pas pu être traité par électrolyse, mais il ne fait
aucun doute que ce type de procédé froid va finir par remplacer la méthode
actuelle grossière de coulée dans la métallurgie et ainsi mettre un terme à
l’énorme gaspillage de combustible nécessaire aux réchauffements répétés du
métal dans les fonderies.
Il y a quelques décennies encore, l’utilité du fer était basée presque
uniquement sur ses remarquables propriétés mécaniques ; toutefois, depuis
l’avènement de la commercialisation à grande échelle de la dynamo et des moteurs
électriques, sa valeur pour l’humanité a augmenté considérablement à cause de
ses qualités magnétiques uniques. Ces dernières ont encore été améliorées
dernièrement ; tout a commencé il y a treize ans, lorsque je découvris que la
performance d’un moteur alternatif pouvait être doublée en utilisant de l’acier
doux Bessemer, au lieu du fer laminé comme à l’accoutumée. J’ai fait remarquer
ceci à M. Albert Schmid, alors directeur d’une corporation industrielle
travaillant dans ce domaine, dont les efforts inlassables et les compétences ont
largement contribué à la suprématie de l’industrie électrique américaine. Il a
suivi mes suggestions et a construit des transformateurs en acier, qui se sont
avérés bien meilleurs. Les recherches ont alors continué sous la direction de M.
Schmid et les impuretés de "l’acier" furent éliminées petit à petit (de l’acier
il n’en portait que le nom, car, en réalité, c’était du fer doux) ; il en
résulta bientôt un produit qu’il était difficile de vouloir encore améliorer.
L’ère imminente de l’aluminium - Le déclin de l’industrie du cuivre - Le grand potentiel économique de ce nouveau métal.
Les progrès réalisés ces dernières années sur la qualité du fer ne nous
permettent pratiquement plus d’aller plus loin. Nous ne pouvons pas espérer
augmenter sa limite de rupture, son élasticité, sa dureté ou sa malléabilité ;
quant à ses qualités magnétiques, elles sont aujourd’hui imperfectibles. Une
amélioration notoire lui a été apportée récemment, en mélangeant un faible
pourcentage de nickel au fer, mais il n’y a plus beaucoup de marge de manœuvre
pour d’autres avancées dans cette direction. De nouvelles découvertes
éventuelles, si elles ne peuvent pas augmenter de beaucoup les propriétés qui
font la valeur de ce métal, pourraient toutefois en réduire les coûts de
fabrication. Le futur immédiat du fer est assuré par son bas prix et ses
qualités mécaniques et magnétiques hors pair. Elles sont d’un ordre tel qu’aucun
autre produit ne peut le concurrencer aujourd’hui. Toutefois, il ne fait aucun
doute que d’ici quelque temps, le fer, dans beaucoup de ses domaines aujourd’hui
incontestés, devra passer le sceptre à un autre métal : l’ère future sera l’ère
de l’aluminium. Il y a 70 ans seulement que ce merveilleux métal fut découvert
par Woehler, et l’industrie de l’aluminium, qui n’a guère plus de 40 ans, attire
déjà l’attention du monde entier. Une croissance aussi rapide n’a jamais été
enregistrée dans l’histoire de la civilisation. Il y a peu de temps encore,
l’aluminium se vendait au prix exorbitant de 30 à 40 dollars la livre ;
aujourd’hui, on peut l’avoir, à volonté, pour quelques cents. Néanmoins, ce prix
sera bientôt considéré tout aussi exorbitant, car il est possible de faire de
grands progrès dans ses méthodes de fabrication. La plupart du métal est
aujourd’hui fabriquée dans de hauts-fourneaux électriques par un procédé
combinant la fusion et l’électrolyse, ce qui permet d’obtenir un certain nombre
de caractéristiques avantageuses, mais qui, bien sûr, implique une grande perte
d’électricité. Mes calculs montrent que le prix de l’aluminium pourrait être
réduit considérablement si, dans sa fabrication, on utilisait une méthode
similaire à celle que j’ai proposée pour la fabrication du fer. La fusion d’une
livre d’aluminium ne demande que 70% de la chaleur nécessaire à faire fondre une
livre de fer et comme son poids est seulement du tiers de ce dernier, on
pourrait obtenir quatre fois plus d’aluminium que de fer à partir d’une énergie
thermique donnée. Cependant, la solution idéale serait un processus de
fabrication électrolytique à froid, et j’ai misé tous mes espoirs là-dessus.
Les progrès réalisés dans l’industrie de l’aluminium vont inévitablement avoir
pour conséquence l’anéantissement de l’industrie du cuivre. Elles ne peuvent
exister et prospérer ensemble, et la dernière est condamnée sans aucun espoir de
retour. Aujourd’hui déjà, il est moins cher de transporter le courant électrique
dans des fils d’aluminium que de cuivre ; le coulage de l’aluminium est moins
onéreux et le cuivre n’a aucune chance de rivaliser dans des utilisations
domestiques ou autres. Une nouvelle baisse du prix de l’aluminium ne pourra être
que fatale pour le cuivre. Toutefois, les progrès du premier ne se feront pas
sans résistance, car, comme toujours dans des cas semblables, les grands
complexes industriels absorberont les plus petits : les énormes puissances économiques du cuivre prendront le contrôle de l’industrie de l’aluminium encore
insignifiante et l’industrie du cuivre qui tournera au ralenti va freiner
l’envolée de l’industrie de l’aluminium. Cependant, cela ne fera que retarder,
et non empêcher, la révolution imminente.
Toutefois, l’aluminium ne s’attaquera pas seulement au cuivre. Dans un futur
relativement proche, il s’engagera dans une bataille sans merci avec le fer et
ce dernier se montrera un adversaire difficile à terrasser. L’issue de ce combat
dépendra du degré de nécessité du fer dans la fabrication des machines
électriques. L’avenir seul le dira. Le magnétisme intrinsèque du fer, est un
phénomène isolé dans la nature. Bien que différentes théories aient déjà été
avancées, on ne sait toujours pas pourquoi ce métal se comporte de manière aussi
radicalement différente des autres métaux dans ce domaine. Pour ce qui est du
magnétisme, les molécules des différentes substances se comportent comme des
faisceaux creux partiellement remplis d’un liquide lourd, qui restent en
équilibre au milieu, à la manière d’un jeu de bascule en équilibre sur son
pivot. Il existe évidemment des facteurs perturbateurs dans la nature qui vont
faire que chaque molécule, ou que ce faisceau, va basculer soit dans un sens,
soit dans l’autre. Si les molécules partent dans un sens, la substance sera
magnétique ; si elles partent dans l’autre, elle ne le sera pas. Mais dans les
deux cas il y a stabilité, tout comme c’est le cas dans le faisceau creux, et
cela est dû au fait que le liquide se précipite vers la partie la plus basse. Ce
qu’il y a d’extraordinaire, c’est que les molécules de toutes les substances
connues partent dans une direction, tandis que celles du fer partent dans
l’autre. Il semble que ce métal ait une origine tout à fait différente de celle
des autres sur cette terre. Il est peu vraisemblable que l’on découvrira quelque
autre matériau meilleur marché, susceptible de rivaliser ou de surpasser le fer
quant à ses qualités magnétiques.
À moins que nous ne nous mettions à utiliser un courant électrique aux
caractéristiques radicalement différentes, le fer nous restera indispensable.
Pourtant, les avantages qui y sont liés ne sont qu’apparents. Aussi longtemps
que nous utilisons des forces magnétiques faibles, il sera de loin supérieur à
tout autre matériau ; mais si nous trouvons des moyens de produire des forces
magnétiques plus importantes, on obtiendra de meilleurs résultats sans lui. En
fait, j’ai déjà construit des transformateurs électriques dans lesquels je
n’utilise pas de fer et qui sont capables de faire dix fois plus de travail par
livre que ceux qui contiennent du fer. J’ai obtenu ces résultats en utilisant
des courants électriques de vibration très élevée, produits par une nouvelle
méthode, à la place des courants ordinaires utilisés actuellement dans
l’industrie. J’ai également réussi à faire marcher des moteurs électriques sans
fer avec ces courants à haute vibration, mais jusqu’ici, les résultats ont été
inférieurs à ceux obtenus avec les moteurs habituels contenant du fer, bien
qu’en théorie, les premiers dussent être capables de faire beaucoup plus de
travail par unité de poids que les derniers. Toutefois, les difficultés
apparemment insurmontables, qui font obstacle aujourd’hui, pourraient finalement
être surmontées, ce qui marquera la fin de l’utilisation du fer ; toutes les
machines électriques seront alors construites en aluminium et, selon toute
probabilité, à un prix ridiculement bas. Ce serait un coup sévère, voire fatal,
pour le fer. Dans d’autres branches de l’industrie, telle la construction navale
et dans tous les domaines où les structures doivent être le plus léger possible,
le progrès de ce métal sera plus rapide. Comme il convient parfaitement pour ce
type de construction, il est certain qu’il va supplanter le fer tôt ou tard. Il
est fort probable qu’au fil du temps, nous serons capables de lui donner
beaucoup de ces qualités qui font du fer un matériau de valeur.
Bien qu’il soit impossible de dire quand cette révolution industrielle aura
lieu, il ne fait aucun doute que le futur appartient à l’aluminium et qu’il
deviendra le facteur essentiel dans l’augmentation de la productivité de
l’humanité. Dans ce domaine, il a des capacités bien supérieures à celles de
tout autre métal. J’estime son potentiel économique à plus de cent fois celui du
fer. Bien qu’elle soit surprenante, cette estimation n’est pas exagérée. Tout
d’abord, il faut se rappeler que le stock d’aluminium disponible est trente fois
supérieur à celui du fer, ce qui, en soi, offre de grandes possibilités. Par
ailleurs, je le répète, ce métal est beaucoup plus maniable que le fer, ce qui
augmente sa valeur. Bon nombre de ses caractéristiques le rapprochent d’un métal
précieux, ce qui lui donne encore plus de prix. Sa conductivité électrique à
elle seule, qui est, pour un poids donné, supérieure à celle de tout autre
métal, suffirait pour qu’il soit considéré comme un des plus importants facteurs
de progrès de l’humanité. Comme il est extrêmement léger, le transport des
objets manufacturés demande beaucoup moins d’efforts. En vertu de cette
propriété, il va faire la révolution dans la construction navale et comme il va
faciliter les transports et les déplacements, il va contribuer à augmenter
sérieusement la productivité de l’humanité. Toutefois, je crois que son plus
grand potentiel économique se situera dans le domaine de l’aéronautique, car il
contribuera grandement à son avènement. Les instruments télégraphiques vont,
petit à petit, aider au développement des hommes les moins civilisés. Les
moteurs électriques et les ampoules le feront encore plus vite, cependant, les
plus grands progrès seront réalisés dans l’aviation. Les voyages vont devenir de
plus en plus faciles et ils vont être le meilleur moyen de réunir les éléments
hétérogènes de l’humanité. Nous devons, comme première étape vers ce but,
construire un accumulateur plus léger ou obtenir plus d’énergie à partir du
charbon.
Travaux visant à obtenir plus d’énergie à partir du charbon - La transmission de l’électricité - Le moteur à gaz - La pile à charbon froid (soit une pile à combustible à oxydation lente).
Je me souviens d’un temps où je considérais la production d’électricité à
partir de la combustion de charbon dans une pile, comme la meilleure
contribution pour faire avancer l’humanité, et je suis surpris de constater
combien mon point de vue a été modifié à mesure que j’avançais dans mes travaux
dans ce domaine. Il me semble aujourd’hui que le fait de faire brûler du charbon
dans une pile - avec plus ou moins d’efficacité - n’est qu’un simple expédient,
une étape dans l’évolution vers quelque chose de plus parfait. Après tout, en
générant de l’électricité par ce moyen, nous détruisons de la matière, ce qui
est un procédé barbare. Nous devrions être capables d’obtenir de l’énergie sans
brûler de matière première. Toutefois, je suis loin de sous-estimer la valeur
d’une telle méthode de combustion. Aujourd’hui, la plupart de l’énergie motrice
vient du charbon et, soit directement, soit par ses sous-produits, il intensifie
énormément l’énergie de l’humanité. Malheureusement, dans tous les procédés
utilisés de nos jours, la majeure partie de l’énergie du combustible est
dissipée inutilement. Les meilleures machines à vapeur n’utilisent qu’une petite
fraction de l’énergie totale. Même dans les moteurs à gaz avec lesquels on peut
obtenir de meilleurs résultats - surtout avec les derniers modèles -, il y a
toujours un gaspillage barbare. Dans nos systèmes d’éclairage électrique, nous
n’utilisons que 0,33 % de toute l’énergie du combustible, et encore moins dans
l’éclairage au gaz. Dans nos diverses utilisations du charbon sur la planète,
nous n’utilisons, tout bien considéré, certainement pas plus de 2% de toute
l’énergie disponible en théorie. Celui qui arrivera à mettre un terme à ce
gaspillage fou serait un grand bienfaiteur de l’humanité, bien que la solution
qu’il apportera ne puisse pas être permanente, car elle conduirait finalement à
l’épuisement des stocks de la matière première. Des efforts sont entrepris,
principalement dans deux directions, afin d’obtenir plus d’énergie à partir du
charbon, à savoir dans la production d’électricité et celle de gaz comme
énergies motrices. Des succès notoires ont déjà été enregistrés dans ces deux
domaines.
L’arrivée des systèmes à courant alternatif pour la transmission de
l’électricité, marque le début d’une époque où l’énergie du charbon disponible
pour l’humanité devient plus économique. Évidemment, toute l’énergie obtenue à
partir de chutes d’eau permet d’économiser autant de combustible et profite à
l’humanité, et est d’autant plus rentable qu’elle ne demande que peu d’efforts
de la part de l’homme ; dans la mesure où ce procédé est le plus parfait de tous
ceux que l’on connaisse pour exploiter l’énergie solaire, il contribue de bien
des façons, à l’avancement de la civilisation. En outre, l’électricité nous
permet d’extraire beaucoup plus d’énergie du charbon que par le passé. Au lieu
de transporter le charbon vers de lointaines destinations de consommation, nous
le brûlons près des mines, produisons de l’électricité dans les dynamos et
envoyons le courant vers les villes lointaines : donc nous faisons de sérieuses
économies. Au lieu de faire fonctionner les machines à l’usine, selon la vieille
manière peu économique avec courroies et arbres, nous produisons de
l’électricité avec la vapeur et faisons marcher des moteurs électriques. C’est
ainsi qu’il n’est pas rare d’obtenir deux à trois fois plus d’énergie motrice
effective à partir du combustible, en plus de nombreux autres avantages
importants. C’est dans ce domaine, ainsi que dans celui de la transmission
d’énergie sur de grandes distances, que le système alternatif, avec sa mécanique
idéalement simple, va entraîner une révolution dans l’industrie. Toutefois, ces
progrès n’ont pas encore été ressentis dans beaucoup de domaines. Par exemple,
dans les bateaux à vapeur et les trains, les arbres et essieux sont toujours
actionnés par la puissance de la vapeur. Un plus grand pourcentage de l’énergie
thermique du charbon pourrait être transformé en énergie motrice en utilisant, à
la place des machines navales et des locomotives actuelles, des dynamos
actionnées par des machines à gaz ou à vapeur de haute pression spécialement
conçues, et en utilisant l’électricité obtenue pour la propulsion. De cette
manière, on pourrait obtenir entre 50% et 100% de plus d’énergie effective à
partir du charbon. On a du mal à comprendre pourquoi les ingénieurs n’accordent
pas plus d’attention à un fait aussi simple et évident. Ce type d’amélioration
serait particulièrement bénéfique aux bateaux à vapeur au long cours, car elle
supprimerait le bruit et augmenterait leur vitesse et leur tonnage.
Le rendement énergétique du charbon a été encore amélioré grâce aux derniers
moteurs à gaz plus perfectionnés qui, en moyenne, produisent deux fois plus
d’énergie que les meilleurs moteurs à vapeur. L’introduction des moteurs à gaz
est facilitée par l’importance de l’industrie du gaz. Comme l’utilisation de la
lumière électrique augmente, on utilise de plus en plus le gaz pour obtenir de
l’énergie thermique et motrice. Le gaz est très souvent fabriqué près des mines
de charbon et envoyé vers les lieux de consommation lointains, ce qui permet de
réaliser des économies à la fois sur les frais de transport et sur l’utilisation
de l’énergie du combustible. Les conditions actuelles en mécanique et en
électrotechnique font que la manière la plus sensée de produire de l’énergie à
partir du charbon est, bien sûr, de fabriquer le gaz près du gisement de charbon
et de l’utiliser, soit sur place, soit à distance, afin de produire de
l’électricité pour l’industrie avec des dynamos actionnées par des moteurs à
gaz. Le succès commercial d’une telle installation est largement fonction de la
construction de moteurs à gaz à grande puissance nominale de CV qui, à en juger
par les gros efforts fournis dans ce domaine, ne tarderont pas à envahir le
marché. Au lieu d’utiliser directement le charbon, comme à l’accoutumée, le gaz
sera fabriqué à partir de lui et brûlé pour économiser de l’énergie.
Néanmoins, toutes ces améliorations ne seront que des étapes intermédiaires dans
l’évolution vers quelque chose de plus parfait car, finalement, nous devrons
réussir à obtenir de l’électricité à partir du charbon d’une manière plus
directe, sans perdre beaucoup de son énergie thermique. On ne sait toujours pas
si le charbon peut être oxydé par un processus froid. Sa combinaison avec
l’oxygène produit invariablement de la chaleur et la question de savoir si
l’énergie de cette combinaison du carbone avec un autre élément peut être
transformée directement en énergie électrique, reste ouverte. Sous certaines
conditions, l’acide nitrique brûle le carbone en générant de l’électricité, mais
la solution ne reste pas froide. D’autres moyens pour oxyder le charbon ont été
proposés, toutefois, ils ne garantissent pas d’aboutir à un procédé efficace.
Moi-même ai complètement échoué dans ce domaine, mais peut-être moins que
certains qui ont "perfectionné" la pile à charbon froid. C’est au chimiste de
résoudre ce problème, et non au physicien, car celui-ci détermine à l’avance
tous ses résultats, de manière que lorsqu’il en vient aux expérimentations, il
ne peut que réussir. En chimie, bien que ce soit une science exacte, les
méthodes sûres, comme celles qui sont disponibles en physique et qui permettent
de résoudre de nombreux problèmes, n’existent pas. Dans ce domaine, les
résultats s’obtiennent plus après des expérimentations menées avec patience, que
par déduction ou calcul. Toutefois, le temps est proche où le chimiste pourra
suivre clairement une voie soigneusement tracée à l’avance et où la méthode, qui
lui permettra d’arriver aux résultats désirés, sera purement déductive. La pile
à charbon froid (soit à combustible à oxydation lente), est susceptible de
donner une grosse impulsion au développement d’appareils électriques ; elle
pourrait conduire en peu de temps à la construction d’avions d’utilisation plus
pratique et favoriser énormément l’avènement de l’automobile. Néanmoins, tous
ces problèmes et bien d’autres seraient mieux réglés - et de manière plus
scientifique - avec un accumulateur léger.
L’énergie du milieu - Le moulin-à-vent et le moteur solaire - L’énergie motrice extraite de la chaleur terrestre - L’électricité issue de sources naturelles.
En plus des combustibles, il existe beaucoup d’autres matières dont nous
pourrions tirer de l’énergie. Par exemple, une immense quantité d’énergie est
emprisonnée dans le calcaire et on pourrait faire marcher des moteurs, si on
libérait l’acide carbonique avec de l’acide sulfurique ou d’une autre manière.
J’ai déjà construit un tel moteur et il a fonctionné de manière très
satisfaisante.
Toutefois, quelles que soient les sources d’énergie primaires dont nous allons
nous servir à l’avenir, si nous voulons être rationnels, il faudra chercher à la
produire sans brûler de matière première. Il y a longtemps que je suis arrivé à
cette conclusion, et pour obtenir ce résultat, seules deux possibilités
s’offrent à nous, comme je l’ai déjà dit plus haut : soit exploiter l’énergie
solaire existant dans le milieu environnant, soit transmettre cette énergie
solaire à distance et à travers ce milieu, depuis un endroit où elle aura pu
être obtenue sans brûler de matière première. À cette époque, j’ai tout de suite
rejeté la deuxième solution puisqu’elle est totalement inconcevable dans la
pratique, et je me suis mis à étudier les possibilités de la première.
Bien que ce soit difficile à croire, il est néanmoins un fait que l’homme,
depuis des temps immémoriaux, disposait d’un assez bon appareil qui lui
permettait d’utiliser l’énergie du milieu environnant : c’est le moulin-à-vent.
Contrairement aux idées reçues, le vent peut fournir une énergie très
considérable. Toute une série d’inventeurs, en proie à des illusions, ont passé
des années de leur vie à chercher à "exploiter les marées", et certains ont même
proposé de comprimer l’air avec l’énergie du flux et du reflux pour en obtenir
de l’énergie, sans jamais comprendre les signes que leur faisait le vieux
moulin-à-vent sur la colline, alors qu’il agitait tristement ses bras en les
priant de s’arrêter. Le fait est qu’un moteur actionné par de l’énergie
marémotrice aurait, en règle générale, une bien petite chance de rivaliser
commercialement avec le moulin-à-vent qui est, de loin, le meilleur appareil,
puisqu’il permet d’obtenir beaucoup plus d’énergie d’une manière bien plus
simple. Autrefois, l’énergie éolienne avait une valeur inestimable pour les
hommes, ne serait-ce que parce qu’elle leur permettait de traverser les mers et
les océans ; aujourd’hui, elle joue toujours un rôle très important dans les
voyages et les transports. Cependant, cette méthode idéalement simple
d’exploitation de l’énergie solaire connaît de sérieuses limites. Les appareils
sont gros par rapport à un rendement donné, et l’énergie est produite par
intermittence, ce qui nécessite son stockage et augmente les frais de
l’installation.
Toutefois, une autre manière plus intéressante pour obtenir de l’énergie, est
l’exploitation de l’énergie des rayons solaires qui, sans cesse, viennent
frapper la Terre, et dont la puissance énergétique dépasse les quatre millions
de CV par 2,5 km2. Bien que l’énergie moyenne, reçue où que ce soit chaque année
par km2, ne soit qu’une petite fraction de cette somme globale, nous
disposerions d’une source d’énergie inépuisable, si nous pouvions découvrir une
méthode efficace pour utiliser l’énergie des rayons. Le seul moyen rationnel que
je connaissais, alors que j’entamai mes investigations dans ce domaine, était
d’utiliser un type de moteur thermique ou thermodynamique, actionné par un
fluide volatil s’évaporant dans une chaudière sous la chaleur des rayons
solaires. Cependant, mes recherches plus approfondies et mes calculs ont montré
que, malgré la très grosse quantité d’énergie apparemment reçue des rayons
solaires, cette méthode ne permettait d’utiliser en pratique qu’une infime
partie de cette énergie. Par ailleurs, l’énergie fournie par le rayonnement
solaire est irrégulière et j’ai rencontré le même type de limitations qu’avec
l’utilisation du moulin-à-vent. Après avoir longuement étudié ce mode de
production d’énergie motrice à partir du soleil et compte tenu de la nécessité
d’une chaudière de gros volume, du faible rendement de la machine thermique, des
coûts supplémentaires pour stocker l’énergie et d’autres inconvénients, je suis
arrivé à la conclusion que le "moteur solaire", dans la majeure partie des cas,
ne pouvait pas être exploité à l’échelle industrielle avec succès.
Une autre manière d’obtenir de l’énergie motrice à partir du milieu sans avoir à
brûler de matière première, serait d’utiliser la chaleur emmagasinée dans la
terre, l’eau ou l’air pour faire marcher un moteur. Tout le monde sait que les
profondeurs du globe sont très chaudes ; les observations ont montré que la
température augmente d’1° C tous les 30 m. Il n’est pas inconcevable de pouvoir
surmonter les difficultés à creuser des puits et de mettre en place des
chaudières à une profondeur de quelque 3650 mètres - ce qui correspond à une
augmentation de la température d’environ 120° C - et nous pourrions certainement
exploiter la chaleur interne du globe terrestre. En fait, il ne serait même pas
nécessaire de creuser en profondeur pour utiliser la chaleur emmagasinée. Les
couches supérieures de la terre et les couches d’air qui se trouvent juste
au-dessus, ont une température suffisamment élevée pour pouvoir libérer
certaines substances extrêmement volatiles, qui pourraient remplacer l’eau dans
nos chaudières. Il ne fait aucun doute qu’un bateau puisse avancer sur l’océan
grâce à un moteur actionné par ce type de fluide volatil, sans aucune autre
énergie si ce n’est la chaleur extraite de l’eau. Toutefois, la puissance
obtenue par ce procédé serait très faible, à moins de prendre des mesures
complémentaires.
L’électricité produite par des phénomènes naturels est une autre source
d’énergie exploitable. Les éclairs contiennent d’énormes quantités
d’électricité, susceptible d’être transformée et stockée pour une utilisation
future. Il y a quelques années, j’ai publié une méthode de transformation de
l’électricité qui faciliterait la première étape de ce travail ; cependant, il
sera plus difficile de stocker l’énergie des décharges des éclairs. En outre, il
est connu que des courants électriques circulent constamment à travers la terre
et qu’il existe, entre la terre et l’air, une différence de tension électrique
qui varie en fonction de l’altitude.
À ce propos, j’ai découvert, lors d’expérimentations récentes, deux nouveaux
faits très importants. Premièrement, le mouvement axial de la Terre et
probablement aussi son mouvement de translation, génèrent de l’électricité dans
un fil qui part du sol et qui monte très haut dans les airs. Toutefois, la
quantité d’électricité qui passe continuellement dans ce fil reste minime, tant
que l’électricité ne peut pas s’écouler dans l’air. Cet écoulement sera
grandement facilité si on place, au sommet du fil, un terminal conducteur de
grande surface et comportant beaucoup d’arêtes acérées ou des pointes. Nous
pouvons donc obtenir de l’électricité de manière continue avec un simple fil qui
s’élance dans les airs, mais malheureusement, en faible quantité.
Deuxièmement, les couches supérieures de l’atmosphère sont continuellement
chargées d’électricité dont la polarité est à l’inverse de celle de la Terre.
C’est du moins ainsi que j’ai interprété mes observations, et il semblerait que
la Terre, avec son enveloppe isolante et conductrice, constitue un condensateur
électrique de grande charge contenant, probablement, une grande quantité
d’énergie électrique qui pourrait être mise au service de l’humanité si on
pouvait l’atteindre avec un fil qui monte très haut dans les airs.
Il est possible, voire probable, que d’autres sources d’énergie seront
découvertes au fil du temps, dont nous n’avons aujourd’hui aucune idée. Nous
pourrions même trouver des méthodes de mise en application de forces comme le
magnétisme ou la gravité, pour actionner des machines sans utiliser d’autres
moyens. De tels exploits, bien que très improbables, ne sont pas impossibles. Je
vais citer un exemple pour donner une parfaite idée de ce que nous pourrions
espérer, mais que nous n’atteindrons jamais. Imaginons un disque constitué d’un
quelconque matériau homogène qui tourne, en équilibre parfait et sans
frottement, sur un axe horizontal au-dessus du sol. Dans de telles conditions,
ce disque peut s’arrêter dans n’importe quelle position. Il se pourrait que l’on
découvre comment faire tourner un tel disque de manière continue et lui faire
faire un travail grâce à la force de gravité, sans aucune autre intervention de
notre part. Toutefois, il est impossible que ce disque tourne tout seul et
travaille sans l’intervention d’une force extérieure. Car si c’était possible,
nous aurions affaire à ce que l’on appelle scientifiquement un "perpetuum
mobile", une machine créant sa propre force motrice. Pour faire tourner ce
disque par la force de gravité, il suffit d’inventer un écran contre cette
force. Un tel écran empêcherait cette force d’agir sur une moitié du disque, qui
alors se mettrait à tourner. Nous ne pouvons pas renier cette possibilité, du
moins pas avant de connaître la nature exacte de la force de gravité. Supposons
que cette force soit due à un mouvement comparable à celui d’un courant d’air
venant du haut et se dirigeant vers le centre de la Terre. L’impact d’un tel
courant sur les deux moitiés du disque serait identique et c’est pourquoi,
normalement, le disque ne se mettrait pas à tourner ; mais si une moitié était
protégée par une plaque qui arrête le mouvement, alors il tournerait.
L’abandon des méthodes connues - Les possibilités d’un moteur ou d’une machine "automatique", inanimé, et néanmoins capable, telle une créature vivante, de puiser de l’énergie dans le milieu - La méthode de production idéale d’une force motrice.
Au début de mes recherches à ce sujet et lorsque les concepts que je viens
de citer ou d’autres analogues se présentèrent à mon esprit pour la première
fois, et bien que j’ignorasse un certain nombres de faits que j’ai cités
ci-dessus, l’étude des différents moyens d’utiliser l’énergie ambiante m’a
néanmoins convaincu qu’il fallait abandonner radicalement les méthodes alors
connues, si on voulait arriver à une solution pratique parfaitement
satisfaisante. Le moulin-à-vent, le moteur solaire, la machine actionnée par la
chaleur terrestre ne permettaient d’obtenir qu’une énergie en quantité très
limitée. Il fallait découvrir un autre moyen qui permettrait d’obtenir plus
d’énergie. Il y a suffisamment d’énergie thermique dans le milieu, toutefois,
les méthodes alors connues ne permettaient que d’en extraire une petite quantité
pour alimenter un moteur. Par ailleurs, le débit de l’énergie était très faible.
En d’autres termes, le problème était de découvrir quelque nouvelle technique
qui permettrait à la fois d’utiliser plus d’énergie thermique du milieu et de
l’en extraire plus vite.
J’essayais vainement d’imaginer comment atteindre ces objectifs, lorsque je
tombai sur certaines déclarations de Carnot et de Lord Kelvin (qui, à l’époque,
s’appelait toujours Sir William Thomson) qui disaient qu’il fût pratiquement
impossible à un mécanisme inanimé ou à une machine automatique de faire
descendre la température d’une partie de l’air en dessous de celle du milieu
environnant, et de fonctionner avec la chaleur récupérée. Ces affirmations
m’intéressèrent au plus haut point. Une créature vivante pouvait, de toute
évidence, réaliser ces choses-là, et comme mes expériences passées m’ont
convaincu qu’une créature vivante n’est pas autre chose qu’un automate ou, en
d’autres termes, une "machine automatique", j’en conclus qu’il était possible de
construire une machine qui agirait pareillement. Je conçus donc le mécanisme
suivant, comme première étape pour atteindre cet objectif. Imaginons une
thermopile constituée d’un certain nombre de tiges de métal qui, posée sur le
sol atteindrait l’espace, au-delà de l’atmosphère. La chaleur d’en bas véhiculée
vers le haut par ces tiges de métal, refroidirait la terre, les mers ou les
airs, selon l’emplacement de la partie inférieure des tiges, avec comme résultat
bien connu, la génération d’un courant électrique circulant dans ces tiges. Les
deux terminaux de la thermopile pourraient alors être reliés par un moteur
électrique qui, en théorie, devrait pouvoir fonctionner sans cesse, jusqu’à ce
que le milieu en bas refroidisse au point d’atteindre la température de celle de
l’espace. Nous aurions donc un moteur inanimé qui, de toute évidence, serait
capable de refroidir une partie du milieu jusqu’en dessous de la température
ambiante et de fonctionner avec la chaleur récupérée.
Toutefois, serait-il possible d’obtenir des conditions similaires sans devoir
monter aussi haut ? Imaginons, pour les besoins de la cause, une enceinte T,
illustrée dans le diagramme B, dans laquelle l’énergie pourrait uniquement
circuler à travers un canal O, et que, d’une manière ou d’une autre, il y ait à
l’intérieur de cette enceinte un milieu possédant très peu d’énergie, tandis
qu’elle baigne dans le milieu ambiant ordinaire ayant beaucoup d’énergie. Dans
de telles conditions, l’énergie passera par le canal O, tel que l’indique la
flèche, et elle sera convertie en une autre sorte d’énergie. La question était
de savoir si de telles conditions pouvaient être obtenues ? Pourrions-nous
produire artificiellement une telle "dépression" dans laquelle l’énergie du
milieu environnant pourrait s’écouler ? Supposons que l’on puisse maintenir une
température extrêmement basse, par un procédé quelconque, dans un espace donné ;
le milieu environnant serait alors appelé à libérer de la chaleur qui pourrait
être convertie en énergie mécanique ou autre, puis utilisée. Si nous pouvions
mettre ce concept en application, nous pourrions obtenir de l’énergie de façon
continue, en tout point du globe, nuit et jour. En outre, dans l’abstrait, il
semblerait possible de créer une compensation rapide de la perturbation du
milieu et donc de puiser très rapidement de l’énergie.
Voici donc un concept qui, s’il était réalisable, offrirait une solution
heureuse au problème de l’extraction de l’énergie du milieu. Mais l’est-il
vraiment ? J’étais convaincu qu’il le fût, d’une manière ou d’une autre, et
voici l’une d’entre elles. Imaginons que nous nous trouvions à une altitude - ou
niveau - élevée, ce qui peut être représenté par la surface d’un lac de
montagne, très haut au-dessus du niveau de la mer ; ce niveau représente le zéro
absolu de la température dans l’espace interstellaire. La chaleur s’écoule avec
l’eau du niveau supérieur à un niveau inférieur et, partant, si nous pouvons
laisser s’écouler l’eau du lac jusque vers la mer, nous pouvons aussi laisser
monter la chaleur de la surface de la Terre jusque dans les régions froides
supérieures. La chaleur, tout comme l’eau, peut faire un travail en s’écoulant
vers le bas, et si nous doutions tout à l’heure de pouvoir obtenir de l’énergie
du milieu avec une thermopile, l’analogie que voilà va dissiper tout doute.
Toutefois, pouvons-nous refroidir un espace donné et faire couler en permanence
de la chaleur à l’intérieur ? Pour créer une telle "dépression" ou "trou froid",
pour ainsi dire, dans le milieu, cela reviendrait à créer dans le lac un espace
soit vide, soit rempli d’une substance beaucoup plus légère que l’eau. C’est ce
que l’on obtiendrait en plaçant une cuve dans le lac et en pompant toute l’eau
de cette dernière. Nous savons que, si ensuite
on fait retourner l’eau dans la cuve, elle serait capable de faire exactement la même quantité de travail que celle qui fut nécessaire pour le pompage, mais rien de plus. Par conséquent, cette double opération qui consiste d’abord à faire sortir l’eau, puis à la laisser retomber, n’offre aucun avantage. Cela voudrait donc dire qu’il est impossible de créer une telle dépression dans le milieu. Mais réfléchissons un instant. La chaleur, bien que respectant certaines lois générales de la mécanique, comme tout fluide, ne se comporte pas comme un fluide ; c’est de l’énergie qui peut être transformée en d’autres formes d’énergie, à mesure qu’elle passe d’un niveau supérieur à un niveau inférieur. Pour que notre analogie mécanique soit correcte et complète, nous devons donc partir du principe que l’eau, lors de son passage dans la cuve, est convertie en quelque chose d’autre que nous pourrions extraire sans utiliser d’énergie, ou alors très peu. Par exemple, si la chaleur est représentée dans cette analogie par l’eau du lac, l’oxygène et l’hydrogène qui composent l’eau peuvent illustrer les autres formes d’énergie par lesquelles passe la chaleur quand elle passe du chaud vers le froid. Si ce processus de transformation de la chaleur était absolument parfait, aucune chaleur n’arriverait au niveau inférieur, puisqu’elle serait entièrement transformée en d’autres formes d’énergie. Donc selon ce cas idéal, toute l’eau qui rentrerait dans la cuve serait décomposée en oxygène et hydrogène avant d’atteindre le fond de la cuve, avec comme résultat, que l’eau ne cesserait de couler dans la cuve qui, elle, resterait toujours vide, puisque les gaz formés s’en seraient échappés. Nous pourrions donc produire - moyennant initialement un certain travail pour créer la dépression afin que la chaleur ou, en l’occurrence, l’eau puisse y entrer - des conditions qui nous permettent d’obtenir n’importe quelle quantité d’énergie sans aucun autre travail. Ce serait une méthode idéale pour obtenir de l’énergie motrice. Nous ne connaissons aucun processus de conversion de chaleur aussi parfait dans l’absolu, et par conséquent, un peu de chaleur va toujours finir par atteindre le niveau inférieur, ce qui revient à dire que, dans notre analogie mécanique, un peu d’eau va arriver au fond de la cuve, qui va se remplir petit à petit, et qu’il va falloir pomper continuellement. Mais bien évidemment, la quantité d’eau à pomper sera plus faible que celle qui y entre ou, en d’autres termes, l’énergie nécessaire à maintenir les conditions initiales sera moindre que celle qui est produite par la chute de l’eau, ce qui signifie qu’une certaine énergie pourra être récoltée du milieu. Ce qui n’est pas converti en coulant vers le bas peut être remonté avec sa propre énergie, et ce qui est converti est pur bénéfice. Donc l’efficacité du principe que j’ai découvert est uniquement fonction de la conversion de l’énergie dans son écoulement vers le bas.
Premiers efforts pour construire un moteur automatique - L’oscillateur mécanique - Les travaux de Dewar et Linde - L’air liquide.
Fort de cette découverte, je commençai à imaginer des moyens pour réaliser
mes plans et, après de longues réflexions, j’ai finalement conçu un ensemble
d’appareils qui devaient permettre d’obtenir de l’énergie du milieu par un
processus de refroidissement permanent de l’atmosphère. Ce dispositif, en
transformant en permanence la chaleur en travail mécanique, devenait de plus en
plus froid et, s’il était possible d’atteindre une température très basse de
cette manière, alors il devenait possible de produire une dépression pour cette
chaleur et d’extraire de l’énergie du milieu. Ceci semblait en contradiction
avec les affirmations de Carnot et de Lord Kelvin, que j’ai cités plus haut ;
toutefois, la théorie de ce procédé me fit penser que ce résultat pouvait être
atteint. Je crois que je suis arrivé à cette conclusion à la fin de 1883, alors
que j’étais à Paris ; c’était à une époque où mon esprit était obnubilé par une
invention que j’avais développée l’année précédente et qui, depuis, a été connue
sous le nom de "champ magnétique en rotation". Durant les années suivantes, j’ai
continué à perfectionner le projet que j’avais imaginé et à étudier ses
conditions de fonctionnement, sans faire de grands progrès toutefois.
L’introduction commerciale de l’invention que je viens de citer dans ce pays,
m’a réclamé un très gros investissement personnel jusqu’en 1889, l’année où je
repris l’idée du moteur automatique. Contrairement à ce que je croyais
initialement, l’étude des principes impliqués et mes calculs me montrèrent que
je ne pouvais pas arriver au résultat escompté dans la pratique avec les
appareils classiques. Cela me conduisit, dans un deuxième temps, à l’étude d’un
type de moteur appelé généralement "turbine" qui, de prime abord, semblait
offrir les meilleures chances pour réaliser mon idée. Toutefois, j’eus vite fait
de découvrir que la turbine non plus ne convenait pas. Mes conclusions me
montrèrent cependant que si un moteur pouvait être amené à un haut degré de
perfection, le plan, tel que je l’avais conçu, devenait réalisable, et je
décidai de développer ce type de moteur, dont l’objectif principal était de
transformer la chaleur en énergie mécanique avec le moins de perte possible. Une
propriété caractéristique de ce moteur était que le piston, qui devait faire le
travail, n’était relié à rien d’autre et qu’il était parfaitement libre de
vibrer à une vitesse énorme. Les difficultés mécaniques que je rencontrai dans
la construction de ce moteur étaient plus grandes que je ne l’avais imaginé, et
les progrès furent lents. Je continuai mes travaux jusqu’au début de 1892, date
à laquelle je me rendis à Londres pour assister aux expériences admirables du
professeur Dewar avec des gaz liquéfiés. D’autres avaient déjà liquéfié des gaz,
et notamment Ozlewski et Pictet avaient mené des expériences remarquables dans
ce domaine ; cependant, il y avait une vigueur dans le travail de Dewar qui
tenait du prodige. Ses expériences montrèrent, quoique d’une manière différente
de celle que j’avais envisagée, qu’il était possible d’atteindre de très basses
températures en transformant la chaleur en énergie mécanique et je m’en
retournai, très impressionné par ce que j’avais vu, et convaincu plus que jamais
que mon plan était réalisable. Je repris à zéro les travaux que j’avais
temporairement abandonnés et je finis bientôt par développer un moteur d’un haut
degré de perfection, que j’appelai "l’oscillateur mécanique". Dans cet appareil,
je réussis à me passer des garnitures, des soupapes et de tout graissage, et à
produire une vibration du piston tellement rapide que les arbres en acier très
résistant, qui y étaient rattachés et qui vibraient longitudinalement, se
déchirèrent en deux. En combinant ce moteur avec une dynamo d’un design spécial,
j’obtins un générateur électrique très efficace qui, grâce à la vitesse
d’oscillation invariable qu’il permettait d’atteindre, était d’une valeur
inestimable pour mesurer et déterminer les propriétés physiques. J’ai exposé
différents types de ce moteur appelé "oscillateur électrique et mécanique" au
Congrès Électrotechnique à l’exposition universelle de Chicago durant l’été
1893, lors d’une conférence dont je n’ai jamais publié le contenu, ayant été
débordé par d’autres obligations professionnelles. À cette occasion, j’ai exposé
les principes de l’oscillateur mécanique, toutefois, les fonctions originelles
de cet appareil sont publiées ici, pour la première fois.
Tel que je l’avais conçu initialement, il y avait, dans ce processus
d’utilisation de l’énergie du milieu, une combinaison de cinq éléments
essentiels et chacun d’eux dut être étudié et développé, car il n’existait aucun
appareil de ce type. L’oscillateur mécanique était le premier élément de cet
ensemble et lorsque je l’eus perfectionné, je commençai à travailler au
deuxième, qui était un compresseur à air, dont le design ressemblait à certains
égards à celui de l’oscillateur mécanique. Je rencontrai des difficultés
similaires lors de leur construction ; je m’acharnai néanmoins dans mon travail
et, vers 1894, ces deux éléments de l’ensemble étaient fin prêts. J’avais ainsi
obtenu un appareil pour comprimer l’air, pratiquement à n’importe quelle
pression, un dispositif incomparable avec les appareils ordinaires, car beaucoup
plus simple, plus petit et plus efficace. Je venais d’entamer les travaux du
troisième élément qui, en association avec les deux premiers, devait donner une
machine de réfrigération d’une simplicité et d’une efficacité exceptionnelles,
lorsque par malheur mon laboratoire fut détruit par un incendie, ce qui paralysa
mes travaux et me fit prendre du retard. Peu de temps après, le Dr Carl Linde
annonça la liquéfaction de l’air par un procédé d’auto-refroidissement,
démontrant qu’il était possible de procéder au refroidissement de l’air jusqu’à
ce qu’il devienne liquide. C’était exactement la seule preuve expérimentale dont
j’avais encore besoin pour montrer que l’on pouvait obtenir de l’énergie à
partir du milieu, de la manière dont je l’avais envisagé.
La liquéfaction de l’air obtenue par auto-refroidissement ne fut pas, comme cela
fut dit, une découverte accidentelle, mais un résultat scientifique que l’on ne
pouvait plus cacher plus longtemps et qui, selon toute vraisemblance, n’a pas pu
échapper à Dewar. Je pense que cette avancée fascinante est largement due aux
travaux extraordinaires de ce grand Écossais. Malgré tout, l’œuvre de Linde est
restée légendaire. La production de l’air liquide a été menée pendant quatre ans
en Allemagne, à une échelle beaucoup plus importante que dans tout autre pays et
cet étrange produit a été utilisé dans des buts variés. On en attendait beaucoup
à l’origine, mais jusqu’à ce jour, son utilisation est restée très modérée dans
le milieu industriel. En utilisant le type d’appareil que je suis en train de
mettre au point, les coûts deviendront probablement largement plus abordables,
toutefois, son succès commercial restera discutable. S’il est utilisé comme
réfrigérant, il n’est pas économique, sa température étant trop basse. Il est
tout aussi coûteux de maintenir un corps à basse température qu’il l’est de le
maintenir à une température très élevée ; il faut du charbon pour que l’air
puisse rester froid. L’air liquide ne peut pas encore rivaliser avec
l’électrolyse dans la fabrication de l’oxygène. Il ne convient pas comme
explosif, parce que sa basse température le rend, encore une fois, peu efficace,
et il est toujours beaucoup trop cher pour servir d’énergie motrice. Il est
cependant intéressant de relever qu’en faisant tourner un moteur à l’air
liquide, on peut gagner une certaine quantité d’énergie à partir de ce moteur
ou, en d’autres termes, à partir du milieu environnant qui maintient la chaleur
du moteur, puisque 200 livres de fonte de fer de ce dernier fournissent une
énergie d’1 CV effectif par heure. Mais ce gain du consommateur est annulé par
une perte égale du producteur.
Ces travaux, pour lesquels je m’investis depuis si longtemps, sont loin d’être
terminés. Il reste à perfectionner un certain nombre de détails mécaniques et à
maîtriser certaines difficultés d’une autre nature, et je ne peux pas espérer
construire un moteur automatique capable de tirer de l’énergie du milieu
environnant avant longtemps, même si toutes mes attentes devaient se
concrétiser. J’ai été victime, dernièrement, de circonstances qui ont retardé
mes travaux ; toutefois, ce délai fut bénéfique pour diverses raisons.
Une de ces raisons est que j’ai eu largement le temps de réfléchir à ce que
pourraient être les applications finales de ce développement. J’ai travaillé
pendant longtemps, parfaitement convaincu que la mise en pratique de cette
technique pour obtenir de l’énergie à partir du soleil, serait d’une valeur
inestimable pour l’industrie ; cependant, mes recherches incessantes dans ce
domaine ont révélé que, bien que mes attentes soient légitimes, elle sera moins
rentable commercialement que je ne le pensais.
La découverte de propriétés inattendues de l’atmosphère - Des expériences étranges - Transmission d’électricité à travers un fil, sans retour - Transmission sans fil à travers la Terre.
Une autre raison est que je fus amené à reconnaître que la transmission de
l’électricité, à n’importe quelle distance dans le milieu, était de loin la
meilleure solution au problème de l’exploitation de l’énergie solaire pour le
bien-être de l’humanité. J’ai cru fermement, pendant de nombreuses années, que
ce type de transmission était irréalisable à l’échelle industrielle, toutefois,
je fis une découverte qui m’a fait changer d’avis. J’ai remarqué que sous
certaines conditions, l’atmosphère qui, normalement, est un très bon isolant,
revêt des propriétés conductrices et devient donc capable de transporter
n’importe quelle quantité d’énergie électrique. Néanmoins, il me semblait que la
mise en pratique de cette découverte, soit de transporter de l’électricité sans
fil, comportait des difficultés insurmontables. Il s’agissait de produire et de
gérer des tensions électriques de plusieurs millions de volts ; il fallait
inventer et mettre au point des générateurs d’un nouveau type, capables de
résister à l’énorme stress électrique, et il fallait obtenir une sécurité totale
contre tous les dangers des courants de haute tension dans le système, avant
même de pouvoir concevoir sa mise en pratique. Tout cela demandait beaucoup de
temps et ne pouvait se faire en quelques semaines, mois ou même années. Les
travaux demandaient de la patience et des efforts soutenus et les progrès furent
lents. J’ai toutefois pu obtenir d’autres résultats de valeur au cours de ces
longs travaux, desquels je vais m’efforcer de rendre compte, en énumérant dans
l’ordre les avancées principales qui ont été réalisées .
Bien qu’inattendue, la découverte de la conductivité de l’air ne fut que le
résultat d’expériences que j’avais menées dans un domaine spécifique quelques
années auparavant. Je crois que ce fut en 1889 que des oscillations électriques
excessivement rapides m’ont offert certaines possibilités, qui m’ont déterminé à
concevoir un certain nombre d’appareils spéciaux adaptés à leur étude. La
construction de ces machines fut très difficile en raison des exigences
particulières et demanda énormément de temps et d’efforts ; toutefois mon
travail fut largement récompensé, car il m’a permis d’obtenir plusieurs
résultats tout à fait nouveaux et d’une grande importance. Une des premières
observations que je fis avec ces nouvelles machines, c’est que les oscillations
électriques d’un taux extrêmement élevé, agissent d’une manière extraordinaire
sur l’organisme humain. C’est ainsi que j’ai pu démontrer, par exemple, que de
puissantes décharges électriques de plusieurs centaines de milliers de volts,
qui alors étaient considérées comme mortelles, pouvaient traverser le corps sans
désagrément et sans conséquences préjudiciables. Ces oscillations produisirent
d’autres effets physiologiques spécifiques et, après que je les eus rendus
publics, de très bons médecins s’en emparèrent avec empressement pour les
étudier plus à fond. Ce nouveau domaine s’est montré profitable au-delà de toute
espérance et durant les quelques années qui ont suivi, les développements ont
été tels, qu’il est devenu un département important et légitime en médecine. Ces
oscillations permettent aujourd’hui d’obtenir facilement des résultats qui
auparavant étaient impossibles et elles permettent de faire facilement beaucoup
d’expériences qui, jusqu’ici, étaient du seul domaine du rêve. Je me rappelle
toujours avec délectation comment, il y a neuf ans, j’ai fait passer une
décharge d’une puissante bobine d’induction sur mon corps, pour démontrer à une
assemblée de scientifiques que ces courants électriques aux vibrations très
rapides étaient relativement inoffensifs et je me souviens de l’étonnement de
mon public. Je serais prêt aujourd’hui, avec beaucoup moins d’appréhension qu’à
cette époque, à faire passer sur mon corps toute l’énergie électrique de toutes
les dynamos aujourd’hui en fonctionnement au Niagara, soit entre 40 000 et 50
000 CV. J’ai produit des oscillations électriques d’une intensité telle, que
lorsqu’elles passaient à travers mes bras et mon buste, des fils qui étaient
reliés par mes mains se mirent à fondre et pourtant, je n’en ressentais aucune
gêne. J’ai énergisé avec ces oscillations un circuit, constitué d’épais fils de
cuivre, de manière tellement puissante que des masses de métal et même des
objets, dont la résistance électrique était bien plus grande que celle du tissu
humain, approchés ou placés dans le circuit, s’échauffèrent à une très haute
température et fondirent, souvent avec la violence d’une explosion, et pourtant,
j’ai souvent avancé ma tête dans ce même espace où régnait ce tumulte
terriblement destructeur, sans ressentir quoi que ce soit et sans effets
secondaires préjudiciables.
Par ailleurs, j’ai constaté qu’avec ce type d’oscillations on pouvait produire
de la lumière d’une manière nouvelle et plus économique, ce qui permettait
d’obtenir un système idéal d’éclairage électrique avec des tubes à vide, qui
rendait superflu le remplacement des ampoules ou des filaments incandescents, et
peut-être même l’utilisation de fils à l’intérieur d’un bâtiment. La luminosité
augmente proportionnellement à la vitesse des oscillations et, partant, son
succès commercial dépendra de la production économique de vibrations électriques
de vitesse extrêmement élevée. Dernièrement, j’ai eu beaucoup de succès dans ce
domaine et la mise sur le marché de ce nouveau système d’éclairage ne saurait
tarder.
Mes recherches m’ont conduit à de nombreux autres observations et résultats
notoires, dont l’un des plus importants fut la démonstration de la faisabilité
d’alimenter en énergie électrique un fil, sans retour. Au début, je pouvais
seulement faire passer des petites quantités d’électricité de cette nouvelle
façon, mais dans ce domaine aussi mes efforts furent couronnés de succès.
La figure 3 est une photo qui montre, comme son titre l’indique, une véritable
transmission de ce type, effectuée avec des appareils qui ont été utilisés pour
d’autres expériences, que je décris ici. On jugera du degré de perfectionnement
de mes dispositifs, car lors de ma première démonstration au début de 1891, mon
appareil ne fut capable que d’allumer une seule ampoule (ce qui alors, dit-on,
tenait du merveilleux), alors qu’aujourd’hui, je peux affirmer être capable
d’allumer, avec cette méthode, 400 à 500 ampoules, voire beaucoup plus, sans
problème. En fait, cette méthode permet de produire une quantité d’énergie
illimitée et faire fonctionner tout type d’appareil électrique.
3 : "Expérience illustrant une alimentation en électricité avec un seul fil, sans retour". Une ampoule à incandescence toute simple, dont un ou les deux terminaux sont reliés au fil à l’extrémité supérieure de la bobine montrée sur cette photo, est allumée par les vibrations électriques transmises à travers la bobine par un oscillateur électrique qui ne fonctionne qu’avec 5% de sa puissance maximale.
Après avoir démontré la faisabilité de ce type de transmission, il m’est bien sûr tout naturellement venu à l’esprit d’utiliser la Terre comme conducteur, ce qui rendait tous les câbles électriques superflus. Quelle que soit la nature de l’électricité, elle se comporte comme un fluide incompressible, et la Terre peut être considérée comme un immense réservoir d’électricité, que je pensais pouvoir modifier efficacement avec un appareil électrique soigneusement conçu. C’est pourquoi mon nouvel objectif fut de mettre au point un dispositif spécial, susceptible d’être très efficace pour créer une perturbation de l’électricité dans la Terre. Les progrès dans cette nouvelle direction furent évidemment lents et les travaux décourageants, jusqu’à ce que, finalement, je réussisse à perfectionner un nouveau type de transformateur, ou bobine d’induction, spécialement adapté à ce but spécifique. La figure 4 vous montrera qu’il devient ainsi possible non seulement de transmettre d’infimes quantités d’électricité pour faire fonctionner des appareils sensibles - ce qui fut mon premier objectif -, mais aussi des quantités appréciables d’électricité ; cette photo illustre une expérience de ce type, menée avec le même appareil. Les résultats furent d’autant plus remarquables que la partie supérieure de la bobine n’était pas reliée à un fil ou à une plaque pour amplifier les effets.
4 : " Expérience illustrant la transmission d’énergie électrique sans fil à travers la Terre." La bobine représentée ici, dont l’extrémité - ou terminal - inférieure est reliée à la terre, est parfaitement réglée sur les vibrations d’un oscillateur électrique à distance. L’ampoule est reliée à un fil indépendant en forme de boucle et alimentée par induction par la bobine excitée par les vibrations électriques qui lui sont transmises à travers le sol par un oscillateur qui ne fonctionne qu’avec 5% de sa puissance maximale.
La télégraphie "sans fil" - Le secret du réglage - Des erreurs dans les études hertziennes - Un récepteur d’une merveilleuse sensibilité.
Mes expériences dans ce dernier domaine furent fructueuses et elles m’ont permis, dans un premier temps, de mettre au point un système de télégraphie sans fil que j’ai décrit lors de deux conférences scientifiques, en février et mars 1893. Le diagramme C illustre la mécanique du système ; la partie supérieure montre le dispositif électrique tel que je l’avais alors décrit, tandis que la partie inférieure montre son équivalent en mécanique. Le système est extrêmement simple dans son principe. Imaginons deux diapasons F et F1, l’un dans la station émettrice et l’autre dans la station réceptrice ; leur branche inférieure est reliée à un minuscule piston p qui est intégré dans un cylindre.
Les deux cylindres communiquent avec un réservoir R aux parois élastiques,
qui doit être fermé et rempli d’un fluide léger et incompressible. En butant une
des branches du diapason F de manière répétée, le petit piston p entre en
vibration, et ses vibrations se transmettent à travers le fluide jusqu’au
diapason F1 qui est "accordé" sur le diapason F, ou, en d’autres termes, qui a
la même fréquence que ce dernier. Le diapason F1 entre alors en vibration, et
cette vibration sera intensifiée par l’action continue du diapason F jusqu’à ce
que sa branche supérieure se mette à osciller fortement et établisse une
connexion électrique avec un contact fixe c’’ qui excite un dispositif
électrique ou autre, servant à enregistrer les signaux. C’est de cette manière
très simple que des messages peuvent être échangés entre les deux stations, car
un autre contact similaire c’ est prévu dans ce but, près de la branche
supérieure du diapason F, de manière que le dispositif puisse être utilisé dans
chaque station, soit comme récepteur, soit comme émetteur.
Le système électrique représenté dans la partie supérieure du diagramme C est le
même dans son principe, les deux fils ou circuits ESP et E1S1P1 qui montent à la
verticale représentent les deux diapasons et les pistons qui leur sont
rattachés. Ces circuits sont en connexion avec le sol par deux plaques E et E1
et avec deux feuilles métalliques aux sommets P et P1 qui emmagasinent
l’électricité et donc amplifient considérablement les effets. Le réservoir fermé
R, aux parois élastiques, est remplacé dans ce cas par la Terre, et le fluide
par l’électricité. Ces deux circuits sont "accordés" et opèrent exactement de la
même manière que les deux diapasons. Au lieu d’exciter le diapason F dans la
station émettrice, on génère des oscillations électriques dans le fil vertical
transmetteur ESP grâce à une source S contenue dans ce fil, qui se propagent
dans le sol et qui viennent toucher le fil vertical récepteur E1S1P1 en y
excitant les oscillations électriques correspondantes. Ce dernier fil, ou
circuit, inclut un appareil sensible ou récepteur S1 qui est alors activé et qui
active à son tour un relais ou tout autre appareil. Chaque station est
évidemment pourvue d’une source d’oscillations électriques S et d’un récepteur
sensible S1, et un dispositif simple permet d’utiliser alternativement les deux
circuits pour envoyer ou recevoir des messages.
L’accord exact entre les deux circuits garantit de gros avantages et, en fait, il est essentiel pour l’utilisation pratique du système. À cet égard, il existe
des erreurs fort répandues dans les rapports techniques concernant ce sujet qui,
en règle générale, décrivent ces circuits et dispositifs comme ayant ces atouts,
alors que visiblement leur construction même prouve que c’est impossible. Pour
atteindre des résultats maximums, il est essentiel que la longueur de chaque fil
ou circuit, depuis sa connexion avec la terre et le sommet, soit du quart de la
longueur d’onde de la fréquence électrique dans le fil ou, en d’autres termes,
égale à cette longueur multipliée par un nombre impair*. Si cette règle n’est
pas respectée, il est pratiquement impossible de prévenir les interférences et
d’assurer l’intimité des conversations. C’est en cela que réside le secret du
réglage. (* il est tout de même curieux que Tesla insiste sur ce point, car les
scientifiques d’aujourd’hui sont formels : le nombre doit être PAIR)
Pour obtenir les résultats les plus satisfaisants, il est toutefois nécessaire
de recourir à des vibrations électriques de basse fréquence. Le dispositif à
étincelles de Hertz, que les expérimentateurs utilisent généralement et qui
produit des oscillations de très haute fréquence, ne permet pas un réglage
effectif, et de légères perturbations suffisent à rendre un échange de messages
impossible. Toutefois, il existe des dispositifs efficaces, conçus par des
scientifiques, qui permettent d’obtenir un réglage presque parfait. La figure 5
montre une expérience réalisée avec le dispositif amélioré, auquel je fais
souvent référence, qui donne une idée de cette caractéristique ; elle est très
figurative et bien expliquée dans sa légende.
5 : "Photo de bobines réagissant à des oscillations électriques". Cette image montre un certain nombre de bobines au réglage distinct, répondant aux vibrations qui leur sont transmises à travers la terre depuis un oscillateur électrique. La grande bobine à droite montrant une puissante décharge, est accordée à la vibration de base qui est de 50 000/s ; les deux grandes bobines verticales à deux fois plus ; la bobine blanche plus petite à quatre fois plus et les autres bobines plus petites à des fréquences encore plus élevées. Les vibrations produites par l’oscillateur furent tellement intenses qu’elles influencèrent même une petite bobine accordée à une fréquence 26 fois supérieure à celle de la fréquence de base.
Depuis que j’ai décrit les principes simples de la télégraphie sans fil,
j’ai eu de maintes occasions de remarquer que des éléments aux caractéristiques
identiques avaient été utilisés, parce qu’on pensait sincèrement que les signaux
sont transmis à des distances considérables par des rayons "hertziens". Ceci
n’est qu’un des nombreux malentendus qu’ont fait naître les études de physiciens
regrettés. Il y a environ 33 ans, Maxwell, reprenant une expérience prometteuse
que Faraday avait menée en 1845, développa une théorie idéalement simple, qui
reliait intimement la lumière, la chaleur radiante et des phénomènes
électriques, en prétendant qu’ils étaient tous dus aux vibrations d’un fluide
hypothétique d’une finesse inconcevable, appelé éther. Il n’a été fait aucune
vérification expérimentale avant que Hertz, sur les bons conseils de Helmholtz,
entreprît une série d’expérimentations à ce sujet. Hertz procéda avec une
ingéniosité et une perspicacité extraordinaires, mais ne consacra que peu
d’énergie à la perfection de son dispositif démodé. Par conséquent, il manqua
d’observer le rôle important de l’air dans ses expériences, un point que je
découvris plus tard. En répétant ses expériences, j’obtins des résultats
disparates, donc je me risquai à signaler cet oubli. La force des preuves
avancées par Hertz pour appuyer la théorie de Maxwell, résidait dans la juste
estimation des fréquences de vibration des circuits qu’il utilisait. Je maintins
néanmoins qu’il ne pouvait pas avoir obtenu les fréquences qu’il croyait. Les
vibrations obtenues avec le type d’appareils qu’il utilisait sont, en règle
générale, beaucoup plus faibles à cause de la présence de l’air, qui provoque un
effet amortissant sur les circuits électriques de vibration très rapide et de
haute tension, de la même manière qu’un fluide agit sur un diapason en
vibration. J’ai toutefois, depuis cette époque, découvert d’autres erreurs, et
je considère depuis très longtemps que ses résultats ne sont rien d’autre que
des vérifications expérimentales des conceptions poétiques de Maxwell. Les
travaux de ce grand physicien allemand furent un immense stimulus pour la
recherche actuelle en électricité, mais en même temps, ils ont dans une certaine
mesure paralysé les esprits scientifiques parce qu’ils fascinaient, et ont donc
gêné les recherches indépendantes. Chaque nouvelle découverte était présentée de
manière à correspondre avec sa théorie, et de ce fait, la vérité a souvent été,
inconsciemment, déformée.
En développant ce système de télégraphie, je n’avais qu’une idée en tête :
effectuer des communications à n’importe quelle distance sur Terre ou dans le
milieu environnant ; j’estimai cette application pratique d’une importance
transcendante, principalement à cause de l’effet psychologique qu’il ne
manquerait pas d’avoir sur toute la planète. Pour atteindre cet objectif je
pensai, dans un premier temps, utiliser des stations relais aux circuits
accordés, dans l’espoir de pouvoir envoyer des signaux sur de très grandes
distances, même avec les appareils de puissance très modérée dont je disposais
alors. J’étais persuadé, toutefois, que des appareils conçus avec soin pouvaient
envoyer des signaux en tout point du globe, quelle que fût la distance, sans
avoir à passer par des stations intermédiaires. J’ai eu cette conviction lorsque
je fis la découverte d’un singulier phénomène électrique, que j’ai décrit en
1892 lors de conférences données pour des scientifiques à l’étranger, et que
j’ai appelé le "balai en rotation". Il s’agit d’un faisceau de lumière qui se
forme, sous certaines conditions, dans une ampoule à vide et dont la sensibilité
aux influences magnétiques et électriques alentour frise, pour ainsi dire, le
surnaturel. Ce faisceau lumineux est mis en rotation par le magnétisme de la
Terre à raison de 20 000 fois par seconde ; le sens de la rotation est ici à
l’inverse de ce qu’il serait dans l’hémisphère sud, tandis que dans la région de
l’équateur magnétique, le faisceau ne tournerait pas du tout. Dans son état le
plus sensible, quoique difficile à atteindre, il répond aux influences
magnétiques et électriques à un degré incroyable. La simple contraction des
muscles du bras, soit le plus léger changement électrique dans le corps d’un
observateur debout à une certaine distance, l’affectera de manière très
perceptible. C’est dans cet état de très haute sensibilité qu’il sera également
capable d’indiquer les moindres changements magnétiques ou électriques dans la
Terre. L’observation de ce merveilleux phénomène m’impressionna outre mesure,
tant et si bien que je fus convaincu qu’il permettait d’établir facilement des
communications à n’importe quelle distance, à condition toutefois que l’appareil
soit perfectionné au point de pouvoir produire un changement d’état magnétique
ou électrique, même faible, dans le globe terrestre ou dans le milieu
environnant.
Développement d’un nouveau principe - L’oscillateur électrique - Production de "mouvements" électriques immenses - La Terre répond à l’homme - La communication interplanétaire entre dans le domaine de la probabilité.
Je décidai de concentrer tous mes efforts sur cette tâche délicate, bien
qu’elle me demandât des sacrifices énormes, car les difficultés qu’il fallait
surmonter étaient telles que je savais qu’il me faudrait des années de travail.
Cela voulait dire que je devais toutefois reporter d’autres travaux dans
lesquels j’aurais préféré m’investir, mais j’avais la conviction que mes
énergies ne pouvaient pas servir un but plus noble que celui-ci ; car je pris
conscience qu’un appareil efficace de production d’oscillations électriques
puissantes était non seulement nécessaire pour atteindre mon but, mais qu’il
était aussi la clé d’autres problèmes électriques, voire humains, de la plus
haute importance. Il devait non seulement permettre de communiquer à n’importe
quelle distance sans fil, mais aussi de transmettre de grandes quantités
d’énergie, de brûler l’azote dans l’air, de produire un éclairage efficace et
d’obtenir beaucoup d’autres résultats de valeur scientifique et industrielle
inestimable. En fin de compte, j’eus la satisfaction de réaliser ce travail en
utilisant un nouveau principe, qui a le mérite d’être basé sur les merveilleuses
propriétés du condensateur électrique, l’une d’elles étant qu’il peut se
décharger ou faire exploser l’énergie emmagasinée en un laps de temps
incroyablement court. C’est pourquoi il n’a pas de rival pour sa violence
explosive. Comparée à sa décharge, une explosion de dynamite est un souffle de
phtisique. Il permet de produire les courants et les tensions électriques les
plus élevés, et la plus grande agitation dans le milieu. Une autre de ses
propriétés de valeur égale, est que sa décharge peut vibrer à la fréquence
voulue, jusqu’à atteindre plusieurs millions d’oscillations par seconde.
J’étais arrivé à la limite des fréquences productibles par d’autres moyens,
lorsque j’eus la bonne idée de recourir au condensateur. Je l’adaptai de manière
qu’il puisse se charger et se décharger alternativement très vite par une bobine
comprenant quelques tours de fil résistant, qui représentait l’enroulement
primaire d’un transformateur ou d’une bobine d’induction. Chaque fois que le
condensateur se déchargeait, le courant passait en tremblotant dans le fil
primaire et entraînait des oscillations correspondantes dans le secondaire. Je
venais donc de développer un transformateur ou bobine d’induction, basé sur un
nouveau principe, que j’appelai "l’oscillateur électrique", qui partageait les
qualités uniques caractérisant le condensateur, et permettait d’atteindre des
résultats inespérés par d’autres moyens. Ce type d’appareil perfectionné permet
aujourd’hui d’obtenir facilement des effets électriques de tout type et des
intensités inimaginables jusque-là. Cet appareil a déjà souvent été mentionné et
ses parties essentielles sont montrées sur la figure 6. Pour certains objectifs,
un puissant effet d’induction est nécessaire, pour d’autres, une montée rapide
du courant, ou une fréquence très élevée, tandis que d’autres encore
nécessiteront des "mouvements" (amplitudes) électriques immenses. Les photos des
figures 7, 8, 9 et 10 sont celles d’expériences menées avec un oscillateur de ce
type ; elles peuvent servir à illustrer certaines de ces caractéristiques et
donner une idée de l’ampleur des effets réellement produits. La légende de ces
photos me dispense de tout autre commentaire.
6 : "Photo des parties essentielles de l’oscillateur électrique utilisé dans les expériences décrites."
7 : "Expérimentation qui illustre l’effet d’induction d’un oscillateur électrique de forte puissance." La photo montre trois ampoules à incandescences ordinaires allumées à pleine puissance par du courant induit dans une boucle locale, constituée d’un seul fil formant un carré de 15 m de côté et qui inclut les ampoules, placée à 30 m du circuit primaire alimenté en énergie par l’oscillateur. La boucle inclut également un condensateur électrique et est exactement accordée aux vibrations de l’oscillateur, qui fonctionne à moins de 5% de sa puissance maximale.
8 : "Expérimentation cherchant à démontrer que l’oscillateur peut provoquer des explosions électriques de grande puissance." La bobine, qui est partiellement représentée sur cette photo, crée, entre la Terre et un immense réservoir, un courant électrique alternatif d’une fréquence de 100 000 cycles par seconde. Les réglages sont tels que le réservoir se remplit complètement et éclate à chaque alternance au moment précis où la tension électrique atteint son maximum. La décharge fait un bruit assourdissant, vient frapper une bobine non reliée à près de 7 m de là, et entraîne une telle agitation électrique dans le sol qu’il se forme des étincelles de 2,5 cm de long autour d’une conduite d’eau à 90 m du laboratoire.
9 : "Expérimentation servant à montrer la capacité de l’oscillateur à créer un grand courant électrique." La boule sur la photo, recouverte de métal poli d’une surface de près de 2 m2, représente un gros réservoir d’électricité, et la casserole en cuivre retournée en dessous au bord tranchant est une grande ouverture par laquelle l’électricité peut s’échapper avant d’aller remplir le réservoir. La quantité d’électricité créée est si importante que, bien que la majeure partie s’écoule par les bords de la casserole ou par l’ouverture, la boule ou réservoir est néanmoins vidée et remplie jusqu’à déborder en alternance (comme le montre la décharge au sommet de la boule) 150 000 fois par seconde.
10 : "Expérimentation illustrant l’effet d’un oscillateur électrique produisant une énergie de 75 000 CV." La décharge qui crée un grand courant d’air, à cause du réchauffement de l’air, est entraînée vers le haut à travers l’ouverture dans le toit du bâtiment. Sa largeur atteint jusqu’à plus de 21 m. La tension est de plus de 12 millions de volts et le courant alterne à raison de 130 000 fois par seconde.
Même si les résultats montrés peuvent paraître extraordinaires, ils sont
négligeables comparés à ceux que l’on peut obtenir avec des appareils conçus
selon ces mêmes principes. J’ai produit des décharges électriques dont
l’ampleur, d’un bout à l’autre, était probablement de plus de 30 m ; il ne
serait toutefois pas difficile d’obtenir des longueurs cent fois plus grandes.
J’ai produit des "mouvements" électriques d’une puissance d’environ 100 000 CV,
mais il serait facile d’obtenir des puissances de 1, de 5 ou de 10 millions CV.
Lors de ces expérimentations, j’ai obtenu des effets plus importants que tout ce
qui a jamais été produit par l’homme, et pourtant, ces résultats ne sont que
l’embryon de ce qui reste à venir.
Il est inutile de démontrer que la communication sans fil peut se faire vers
tout point du globe avec un tel dispositif et j’en ai eu la certitude absolue
par une de mes découvertes. En voici une analogie : lorsque nous parlons très
fort et que nous entendons un écho de notre voix, nous savons que les sons de la
voix ont atteint un mur à distance, ou une frontière, d’où ils ont été
réfléchis. Une onde électrique est réfléchie de la même manière qu’un son et le
même signe que transmet l’écho est transmis par un phénomène électrique appelé
onde "stationnaire", c’est-à-dire une onde dont les ventres et nœuds sont fixes.
Au lieu d’envoyer des ondes sonores vers un mur à distance, j’ai envoyé des
vibrations électriques vers un lointain obstacle sur la Terre et, au lieu que ce
soit le mur, c’est la Terre qui a répondu. À la place de l’écho, j’ai obtenu une
onde électrique stationnaire, une onde réfléchie par un point éloigné.
Les ondes stationnaires dans la terre autorisent non seulement la télégraphie
sans fil à toutes distances, mais elles nous permettront également d’obtenir des
résultats spécifiques très importants, qu’il serait impossible d’atteindre d’une
autre manière. Grâce à elles par exemple, nous pourrons produire à volonté, à
partir d’une station émettrice, un effet électrique dans toute région
particulière du globe ; nous pourrons déterminer la position relative ou le
parcours d’un objet en déplacement, comme ceux d’un bateau sur l’océan, la
distance qu’il a parcourue ou sa vitesse ; ou nous pourrons encore envoyer une
onde électrique par-dessus la Terre à la vitesse voulue, de celle d’une tortue à
celle de la lumière.
Grâce à ces développements, nous avons toutes les raisons de penser que, dans un
futur relativement proche, la plupart des messages télégraphiques
transocéaniques seront transmis sans câbles. Pour des distances plus courtes, un
téléphone "sans fil" permettra de communiquer sans l’intervention de
spécialistes. Plus la distance à franchir sera grande, plus la communication
sans fil deviendra rationnelle. Le câble est non seulement un outil fragile et
coûteux, mais il nous limite également dans la vitesse des transmissions, à
cause d’un certain facteur électrique inhérent à sa physique. Une centrale
destinée aux communications sans fil soigneusement conçue, doit pouvoir
effectuer plusieurs fois la quantité de travail d’un câble, et parallèlement,
elle sera bien moins coûteuse. Je pense que d’ici quelque temps, la
communication par câbles deviendra obsolète, car cette nouvelle méthode
permettra non seulement d’envoyer des messages plus vite et à un moindre coût,
mais elle sera aussi beaucoup plus sûre. Si l’on utilise certains moyens que
j’ai inventés pour encoder les messages, les transmissions pourront s’effectuer
dans une intimité presque parfaite.
Jusqu’à ce jour, j’ai observé les effets ci-dessus sur une distance limitée à
quelque 1000 km, mais dans la mesure où la puissance des vibrations productibles
avec un oscillateur de ce type est quasi illimitée, je suis plutôt confiant
quant à la réussite d’une telle centrale à effectuer des communications
transocéaniques. Et ce n’est pas tout. Mes mesures et calculs ont montré, qu’en
utilisant ces principes, il est parfaitement possible de produire, sur ce globe,
un " mouvement " électrique d’une telle ampleur, qu’il ne fait aucun doute qu’il
puisse être perceptible sur quelques-unes des planètes les plus proches de nous,
comme Mars ou Vénus. Cela signifie que les communications interplanétaires sont
passées du stade de la possibilité à celui de la probabilité. En fait, il ne
fait aucun doute que nous puissions produire un effet précis sur une de ces
planètes avec cette nouvelle méthode, c’est-à-dire en perturbant les conditions
électriques de la Terre. Ce moyen pour effectuer de telles communications est
toutefois fondamentalement différent de tous les autres qui ont déjà été avancés
par les scientifiques. Dans tous les cas antérieurs, l’observateur ne pouvait
utiliser dans son instrument qu’une infime partie de toute l’énergie qui arrive
sur la planète, c’est-à-dire la quantité qu’il est possible de concentrer dans
un réflecteur. Toutefois, grâce à la méthode que j’ai développée, il pourra
concentrer dans son instrument la majeure partie de toute l’énergie transmise à
la planète et les chances de pouvoir établir une communication seront alors
multipliée des millions de fois.
En plus des machines pour produire les vibrations de la puissance voulue, nous
avons besoin de moyens sensibles, capables de révéler les effets des faibles
influences exercées au-dessus de la Terre. C’est dans ce but que j’ai inventé de
nouvelles méthodes. Elles vont, entre autres, nous permettre de détecter la
présence d’un iceberg ou d’un autre objet sur la mer à une distance
considérable. Elles m’ont également permis de découvrir un phénomène terrestre
jusque là inexpliqué. Il est certain que nous pouvons envoyer un message vers
une planète et il est probable que nous obtenions une réponse, car l’homme n’est
pas la seule créature dans l’Infini, possédant un cerveau.
La transmission sans fil de l’électricité à toutes distances entre dans le domaine de la faisabilité - Les meilleurs moyens pour accroître la force d’accélération de la masse humaine.
L’observation la plus importante que j’ai faite au cours de mes recherches,
était celle du comportement extraordinaire de l’atmosphère relatif aux
impulsions électriques de force électromotrice excessive. Les expériences
montrèrent que l’air à la pression ordinaire devenait nettement conducteur, ce
qui permettait d’envisager le projet séduisant de pouvoir envoyer, sans fil et à
de grandes distances, de grosses quantités d’électricité à des fins
industrielles ; un rêve scientifique allait donc se réaliser. D’autres études
révélèrent le fait important que la conductivité de l’air, obtenue par ces
impulsions électriques de plusieurs millions de volts, augmentait très vite à
mesure que l’air se raréfiait, ce qui veut dire que les couches d’air aux
altitudes modérées, donc facilement accessibles, sont une région parfaitement
conductrice - surpassant le cuivre - pour toutes sortes d’expérimentations avec
des courants de ce type.
La découverte de ces nouvelles propriétés de l’atmosphère permettait non
seulement d’envisager la transmission de grandes quantités d’énergie sans fil,
mais aussi, et c’est encore plus important, elle donnait la certitude que
l’énergie pouvait être transmise de cette manière plus économiquement. Avec ce
nouveau système, il importe peu - voire pas du tout - que la transmission se
fasse sur quelques kilomètres ou sur plusieurs milliers de kilomètres.
Jusqu’ici, je n’ai pas encore effectué de transmission d’une quantité
considérable d’énergie, - soit significative d’un point de vue industriel - à
une distance éloignée avec cette nouvelle méthode, cependant, j’ai fait
fonctionner plusieurs maquettes de centrales dans, précisément, les mêmes
conditions que celles qui existent dans une grande centrale de ce type, et la
faisabilité du système est parfaitement prouvée. En fin de compte, les
expériences ont montré qu’avec deux terminaux placés à pas plus de 9000 à 10 600
mètres d’altitude, ayant une tension électrique entre 15 et 20 millions de
volts, il est possible d’envoyer des milliers de CV d’énergie à des centaines
et, au besoin, à des milliers de kilomètres. Toutefois, j’espère pouvoir réduire
considérablement la hauteur des terminaux qui est aujourd’hui indispensable et,
pour ce faire, j’ai un plan qui est très prometteur. Il existe évidemment un
préjudice pour la population si l’on utilise une tension électrique de millions
de volts, car des étincelles pourraient voler jusqu’à des centaines de mètres,
mais, paradoxalement, le système, tel que je l’ai décrit dans une de mes
publications techniques, est beaucoup moins dangereux pour la population que la
plupart des circuits de distribution courants utilisés dans nos villes. Cela est
en partie confirmé par le fait que je n’ai jamais été blessé et aucun de mes
assistants non plus, bien que je mène ce type d’expériences depuis plusieurs
années.
Avant de procéder à une introduction pratique du système, il est nécessaire de
répondre à un certain nombre d’exigences essentielles. Il ne suffit pas de
construire des dispositifs capables d’effectuer ces transmissions. Les machines
doivent être telles que la transformation et la transmission de l’énergie
puissent se faire dans des conditions très économiques et pratiques. En outre,
il faut encourager les personnes qui s’engagent dans l’exploitation industrielle
des sources d’énergie naturelles, comme l’énergie hydraulique, en leur
garantissant un bénéfice sur le capital qu’ils investissent, plus grand que
celui qu’ils toucheraient en le plaçant dans l’immobilier local.
À partir du moment où l’on s’est aperçu que, contrairement aux idées reçues, les
couches facilement accessibles de l’atmosphère pouvaient être conductrices
d’électricité, la transmission d’électricité sans fil a commencé à être étudiée
rationnellement par les ingénieurs ; les travaux dans ce domaine ont, pour eux,
une importance capitale. Sa mise en pratique signifierait que l’énergie sera
disponible pour l’homme en tout point du globe, non en petites quantités comme
celles que l’on pourrait extraire du milieu environnant avec les dispositifs
adéquats, mais en quantités quasi illimitées, à partir des chutes d’eau.
L’exportation de l’énergie pourrait alors devenir la principale source de
revenus de nombreux pays bien situés comme les États-Unis, le Canada, l’Amérique
centrale et du Sud, la Suisse et la Suède. Les gens pourraient aller habiter
n’importe où, fertiliser et irriguer la terre sans difficultés, convertir des
déserts stériles en jardins, et tout le globe pourrait ainsi être transformé et
devenir un lieu plus adapté à l’humanité. S’il existe des créatures
intelligentes sur Mars, il est fort probable qu’elles ont mis cette idée en
pratique depuis longtemps, ce qui pourrait expliquer les changements à la
surface de la planète que les astronomes ont relevés. Comme l’atmosphère de
cette planète est de densité nettement inférieure à la nôtre, les travaux sont
bien plus faciles.
Il est probable que nous aurons bientôt un moteur thermique automatique
susceptible de tirer des quantités d’énergie modérées du milieu environnant. Et
la possibilité existe - quoique faible - que nous puissions obtenir de l’énergie
électrique directement du soleil. Ce serait le cas si la théorie de Maxwell
était exacte et selon laquelle des vibrations électriques de toutes les
fréquences seraient émises par le soleil. Je n’ai pas terminé mes investigations
à ce sujet. Sir William Crookes a démontré avec sa belle invention, connue sous
le nom de "radiomètre", que l’impact des rayons produirait un effet mécanique,
et cela pourrait conduire à quelques révélations importantes quant à
l’utilisation des rayons solaires par de nouveaux moyens. On est susceptible de
découvrir de nouvelles sources d’énergie et de nouvelles techniques pour puiser
l’énergie solaire, mais aucune d’elles, ni aucun développement similaire,
n’auraient autant d’importance que la transmission d’énergie à toutes distances
à travers le milieu. Je n’arrive pas à imaginer une autre avancée technique
capable de réunir les éléments variés de l’humanité de manière plus efficace que
celle-ci, ou quelque chose qui apporterait plus à l’énergie humaine ou qui
pourrait faire qu’elle soit mieux employée. Ce serait le meilleur moyen
d’augmenter la force d’accélération de l’humanité. La seule influence morale
d’un changement aussi radical serait inestimable. Néanmoins, si en tout point du
globe il devient possible de puiser de l’énergie en quantités limitées dans le
milieu environnant avec un moteur thermique automatique ou autre, les conditions
ne changeront pas. Les performances humaines seront amplifiées, mais les hommes
resteront des étrangers les uns pour les autres, comme aujourd’hui.
Je m’attends à ce que beaucoup de gens qui n’auront pas été préparés à concevoir
ces possibilités, pensent qu’elles sont loin de pouvoir être mises en pratique,
bien que, pour moi, ce soit simple et évident, parce que cela fait longtemps
qu’elles me sont familières. La réserve, voire le rejet, de certains est aussi
utile et nécessaire pour le progrès humain que la sensibilisation trop rapide ou
l’enthousiasme d’autres. Une masse qui se montre d’abord résistante à une force,
une fois mise en mouvement, contribue à accroître son énergie. Le scientifique
ne cherche pas à obtenir un résultat immédiat. Il ne s’attend pas à ce que ses
idées avancées soient acceptées facilement. Son travail est comparable à celui
du jardinier : il œuvre pour l’avenir. Sa mission est de poser les fondations
pour ceux qui lui succèderont et de montrer la voie. Il vit, il travaille et il
espère, comme ce poète qui a dit :
Schaff’, das Tagwerk meiner Hände,
Hohes Glück, dass ich’s vollende !
Lass, o lass mich nicht ermatten !
Nein, es sind nicht leere Träume :
Jetzt nur Stangen, diese Bäume
Geben einst noch Frucht und Schatten !
Mes mains, sans relâche, font leur travail quotidien,
Pouvoir l’accomplir, quel grand bonheur que le mien !
Oh, pourvu que jamais mon énergie ne sombre !
Non, ce ne sont pas seulement des rêves creux :
Si aujourd’hui ces arbres ne sont que des pieux,
Ils donneront un jour des fruits et de l’ombre !
"Espoir" de Goethe
source : http://quanthomme.free.fr/energieli...CHERCHEURS3.htm